Gerry Taama tire sur Gilbert Bawara : Monsieur Bawara, le statut d’opposant n’est pas une carte biométrique

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Monsieur le ministre, j’ai choisi de m’adresser à vous à travers mon blog, en espérant pouvoir en débattre plus tard avec vous, si jamais l’occasion se présente. Et je m’adresse à vous non pas avec mon statut de président d’un parti politique d’opposition, auquel cas je vous aurai envoyé un courrier officiel, mais comme un citoyen togolais, amoureux de son pays, et persuadé, comme tous nos compatriotes, que nous pouvons transformer ce coin de terre en un espace où il fait bon vivre, un territoire où les plus industrieux parmi nous pourrons créer la richesse et en jouir, alors que les plus vulnérables bénéficieront du soutien de l’État.

En 2007, grâce à l’APG dont vous êtes un ouvrier, nous avons pu organiser l’une des toutes premières élections pacifiques et non contestées de notre pays, scrutin dont tous les observateurs ont salué la transparence, même si plusieurs observations et recommandations ont été faites ici et là, par nos différentes partenaires techniques et financières. L’organisation de cette élection nous a permis de renouer rapidement avec la coopération internationale, qui contribue aujourd’hui à hauteur de 40% à notre budget national. Même s’il convient de soulever que cette reprise de la coopération ne conduit nullement à l’amélioration des conditions de vie des Togolais (une étude de la banque mondiale avait même conclu à une augmentation de 500 000 pauvres en plus au Togo sur les cinq dernières années) on remarque néanmoins que sur le plan macroéconomique, les données sont stabilisées, et que la réalisation de certaines infrastructures commence à mettre le pays sur les rails du progrès.

Monsieur le ministre, votre gouvernement a décidé de lancer les opérations portant organisation des élections législatives et locales au Togo, notamment l’élection des membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Ces préparatifs se font de façon unilatérale, sans associer les partis qui animent l’opposition au Togo. Est-ce légal ? Assurément, l’Assemblée nationale, que votre parti domine, est fondée pour désigner les membres de la CENI suivant un code électoral adopté par la même Assemblée. Est-ce légitime ? Surement pas. Parce que les deux derniers scrutins pacifiques organisés au Togo ont toujours fait l’objet d’un accord politique entre les principaux acteurs de la scène politique togolaise, signé sous l’égide d’un facilitateur international (le Président Blaise Compaoré en l’occurrence). Il est évident qu’en décidant d’aller au forceps comme vous le faites, et en méprisant (comme vous le faites aussi) les mouvements politiques qui secouent notre pays, de même que la voix des 18 députés ayant refusé de s’associer au vote de vos députés, vous portez une lourde responsabilité sur l’avenir de ce pays. Enfin, est-ce juste ? Nullement. Voyez-vous, monsieur le ministre, je suis un ferme partisan du dialogue. J’appartiens à un parti qui depuis plus d’un mois a lancé une initiative visant à inciter tous les acteurs à accepter le principe de s’asseoir sur une table de négociation. Et il se trouve que tout le monde s’accorde sur le principe,  mais hésite à y aller sous le prétexte que vous et votre parti ne faites preuve d’aucune sincérité. Tout le monde est convaincu que pour vous, le dialogue n’est qu’un ornement pour attenter une énième forfaiture. Vous opposez à ces accusations les multiples initiatives que vous avez initiées en faveur du dialogue. Soit. Mais prenons le temps d’étudier la composition de la CENI que vous avez unilatéralement mise en place, pour démontrer votre  supercherie.

Il faudrait peut-être que je rappelle aux lecteurs qu’en réalité, la désignation des membres de la CENI depuis 2010 est fondée sur de mauvaises bases, ceci du fait de… l’UFC. En effet, selon les dispositions de l’Accord politique global (Apg) du 20 août 2006, et nommément son annexe 1, « la CENI est composée de façon équilibrée entre la mouvance présidentielle, les partis d’opposition et la société civile ». En 2007, lors des élections législatives, cette CENI était composée de 5 membres désignés par la mouvance présidentielle ; 10 membres désignés  par l’opposition ; 2 membres désignés par la société civile ;  2 membres désignés par le gouvernement et  ne disposant pas de voix délibérative. À l’époque, on aurait même pu arguer que cette composition était à l’avantage de l’opposition, mais la confiance était revenue entre les Togolais, et tout le monde s’était bien accommodé de cette composition. Le remodelage du paysage politique suite aux élections législatives de 2007 a conduit à une autre composition de la CENI en 2010. Initialement, elle devait être faite de la façon suivante : 5 représentants RPT, 5 pour l’opposition parlementaire, 3 pour les partis extraparlementaires, trois pour la société civile, et un pour l’administration sans voix délibérative. Le principe était que chaque entité désigne ses représentants devant siéger à la CENI. L’UFC a crié au scandale, arguant qu’avec cette composition, les partis extraparlementaires et la société civile seraient automatiquement du côté du pouvoir (ce qui était une hérésie intellectuelle). À la fin, on a donc adopté la composition suivante 5 pour le RPT, 5 pour l’opposition, trois des partis extra parlementaires (dont un parrainé par l’opposition et 2 par le RPT) 3 de la société civile (dont 1 parrainé par le RPT et 2 par l’opposition), et un membre de l’administration. Ceci avait l’avantage d’équilibrer le nombre de représentants entre l’opposition et le parti au pouvoir, mais ôtait du coup à la société civile la neutralité qui est la sienne. La mort de notre société civile une initiative des politiques.

Avec la loi portant code électoral votée le 25 mai 2012, la CENI a la composition suivante: -cinq (05) membres désignés par la majorité parlementaire ; –  cinq (05) membres désignés par l’opposition parlementaire ; –  trois  (03)  membres  des  partis  politiques  extra-parlementaires  élus par l’Assemblée nationale ;-  trois  (03)  membres  de  la  société  civile  élus  par  l’Assemblée nationale ; –  un (01) membre désigné par l’administration. Monsieur le ministre, quand l’opposition dit que vous n’êtes pas de bonne foi, vous prétendez le contraire, or cette proposition de composition est la manifestation même de votre mauvaise foi. Toutes les CENI précédentes, obtenues sur consensus, demandaient plutôt aux différentes entités de désigner leurs représentants. Par conséquent, dans la CENI de 2012, les partis extraparlementaires auraient dû avoir le droit de désigner leurs représentants, sur un critère assez élémentaire comme la représentativité aux dernières élections législatives, (comment imaginer que la CPP, quatrième force politique, n’y soit pas présente) et les associations de la société civile auraient pu aussi désigner leur représentant, avec peut-être l’accompagnement du PNUD qui travaille avec elles au quotidien.

Et comme il fallait s’y attendre, le 15 octobre 2012, les députés pro-Unir ont voté à l’unanimité les six membres de la CENI pour le compte des partis extra-parlementaires et la société civile, sans avoir consulté les CV des candidats, et en choisissant à l’unanimité les mêmes personnes, sur des listes présentant des dizaines de candidats. Monsieur le ministre, cela vous semble-t-il juste ?

Revenons si vous le voulez bien sur la composition définitive de la CENI, en nous basant sur les accointances connues des membres ainsi élus.

De la Société civile :

Mme AGUIGAH Dola (REFAMP-TOGO) (elle anime des meetings partout pour Unir et s’est présentée au nom du RPT dans les lacs en 2007, donc, Pouvoir)

DATE Yao (COPED) (le Coped est proche du CAR, dont le président est même un membre du bureau national de celui-ci, donc, opposition)

TABIOU IssifouTaffa (AEP).(Il avait

été copté par le RPT pour le compte de la société civile en 2010. Depuis, son association ne peut pas se prévaloir d’une activité terrain médiatiquement connue. Donc, pouvoir)

Des partis extra-parlementaires :

AKPOTSUI Koku Adanu (ID)( depuis 2010 où ce parti nous avait habitué à ses analyses sur les médias, l’ID n’a plus fait parler de lui, de moins, aucune critique contre le gouvernement, pour pouvoir se réclamer de l’opposition, donc, Pouvoir

12) KOLANI Kinam Lardja (PDR) (depuis 2007, le PDR s’est associé au RPT pour le partage du pouvoir, et son soutien n’a jamais fait défaut, donc, pouvoir

13) SIBABI Boutchou (CDPA). (Après avoir participé au gouvernement de Faure Gnassingbé à deux reprises, la CDPA a rejoint l’opposition depuis plusieurs années, et anime avec détermination la flamme de la résistance. Donc, Opposition)

Nous sommes donc, sur les six membres élus par les députés pour siéger à la CENI au titre les partis extra parlementaires et de la société civile, à un ratio de 2 pour l’opposition, contre six pour la coalition gouvernementale.

Des partis parlementaires.

Monsieur le ministre, le code électoral voté le 25 mai, pour lequel votre parti n’a accepté aucune autre proposition, malgré celles multiples de l’opposition (c’est vous qui dites que l’opposition ne propose rien) dit, en sont article 12: La CENI est composée de dix-sept (17) membres :

–  cinq (05) membres désignés par la majorité parlementaire ;

–  cinq (05) membres désignés par l’opposition parlementaire ;

–  trois  (03)  membres  des  partis  politiques  extra-parlementaires  élus par l’Assemblée nationale ;

–  trois  (03)  membres  de  la  société  civile  élus  par  l’Assemblée nationale ;

–  un (01) membre désigné par l’administration.

Ces  membres  sont  désignés  en  raison  de  leur  compétence  et  de  leur probité.

Tous les membres de la CENI ont voix délibérative.

Nulle part il n’est écrit, dans cet article, que les 10 membres des formations parlementaires sont élus par les députés, contrairement à ce qui s’est passé le 17 octobre à l’Assemblée nationale. Si on respectait vos propres textes, il revenait à la majorité parlementaire de désigner ses membres, puis à l’opposition parlementaire de le faire de son côté. De ce fait, l’élection des membres de l’opposition parlementaire (trois de l’UFC) est en tout point illégale. Et même, et même mon cher grand frère, si d’ordinaire il fallait élire les membres de l’opposition parlementaire, comment pouvez-vous, avec votre excellent bagage intellectuel, prétendre que l’UFC fait partie de l’opposition ? Monsieur le ministre, le statut d’opposant n’est pas une carte biométrique, avec des données uniques permettant d’identifier un individu une fois pour toutes. Être opposant n’est pas un statut ex nihilo, mais se définit par rapport au gouvernement. En temps normal, un parti politique est soit de la coalition gouvernementale, soit de l’opposition, et non des deux à la fois. Mais par contre, ces positions sont en perpétuel changement. Dans les démocraties parlementaires par exemple, les alliances changent régulièrement, c’est ainsi que plusieurs partis de l’opposition peuvent s’allier avec d’autres partis présents dans le gouvernement pour constituer une nouvelle majorité parlementaire, et basculer ainsi du jour au lendemain de l’opposition au gouvernement. Il n’y a pas de position figée. C’est d’ailleurs ce nomadisme parlementaire qui a fragilisé la quatrième République française (multiplication de cabinets au gré des alliances entre partis politiques) conduisant de Gaulle à instaurer la cinquième république et un président élu au suffrage universel. Vous avez, dans une interview sur les médias, essayé de justifier cette forfaiture en faisant un parallèle avec la situation de Me Agboyibo en 2006, quand il fut premier ministre d’un gouvernement d’Union. Monsieur le ministre, il faut que vous vous entendiez avec votre premier ministre. L’un dit que le pays n’est pas en crise, vous vous semblez dire le contraire, car la seule fois où un opposant peut garder son statut tout en étant au gouvernement est justement le cas de transition ou de sortie de crise majeure. Cette situation prévalait en 91-92 avec le gouvernement de transition, en 2006 avec le gouvernement d’union nationale, et certainement pas en 2010 où Faure est supposé avoir gagné des élections saluées par la communauté internationale. L’accord du 26 mai 2010 n’est pas celui d’une sortie de crise, mais bien celui d’un partage de pouvoir. M Gilchrist Olympio a été désigné longtemps comme l’opposant historique, mais ce titre n’est pas une identité. Aujourd’hui, il est le collaborateur historique, et cautionner le contraire pour faire plaisir à un allié politique restera une tache indélébile à votre probité intellectuelle. Que voulez-vous que les enseignants disent à leurs étudiants à l’université ? Qu’on peut être au gouvernement, voter tous les projets de loi durant deux ans, voter tous les budgets, et subitement, à l’approche des élections, s’opposer simplement à une loi sur le découpage électoral pour automatiquement redevenir opposant?

Monsieur le ministre, je constate d’ailleurs que le paysage politique est largement pollué par le désir de l’UFC, d’annihiler l’ANC, son rival, et que vous et votre gouvernement avez décidé de prendre le parti de votre allié, au détriment de la démocratie au Togo qui était pourtant bien amorcée avec l’APG. Toutes les crises qui ont émaillé l’actualité politique depuis ces deux dernières années sont liées au péché originel du 22 décembre 2010, lorsque contre la raison et la loi, 9 députés pro-ANC ont été renvoyés du parlement. Cette décision, votre parti n’en voulait pas, la Cour Constitutionnelle n’en voulait pas, mais l’UFC la voulait, pour punir l’ANC, et vous l’avez entérinée. Une fois encore, l’UFC veut empêcher l’ANC de siéger à la CENI, et vous semblez vouloir vous en accommoder. Mais monsieur le ministre, n’oubliez pas qu’il y a six millions de Togolais qui observent votre jeu. Ces six millions ne vont pas rester indéfiniment inactifs, ne l’oubliez surtout pas.

Pour finir monsieur le ministre, je voudrais vous parler de décentralisation. Aujourd’hui, sur toutes les lèvres, il n’est question que d’élections législatives. Quid des élections locales? Personnellement, si j’avais comme vous, la capacité de changer les choses, j’irais d’abord aux élections locales, et si nous en avons les moyens, nous irons aux législatives. En effet, nos 81 députés n’ont fait aucune proposition de loi en 5 ans, le gouvernement peut bien fonctionner par ordonnances, parce qu’au même moment, nos localités se meurent.

Monsieur le ministre, nous étions ensemble à Siou (notre village commun) la semaine dernière. Il y a un ponceau en reconstruction dont la partie maçonnerie est achevée depuis le mois de juillet. Il ne reste que les travaux de remblai. Et ça fait quatre mois que tout est arrêté. Les autorités de la localité, interrogées, ne savent pas qui a donné l’ordre de construire ce ponceau, ni pourquoi les travaux sont arrêtés. Ni le chef canton, ni le préfet ne savent qui est responsable du chantier.  Il n’y a pas de signalisation de déviation, et il y a deux semaines, un gendarme à moto y a fait un grave accident. Il n’y a aucun contact avec l’entrepreneur qui selon nos informations n’aurait pas été suffisamment payé et aurait suspendu les travaux. Voila pourquoi il faut décentraliser, et vite, monsieur le ministre. Pour que Siou, gros village de 15 000 habitants, comme d’autres centaines d’autres villages et villes du Togo puissent disposer de maires responsables devant les populations, de maires disposant de réels pouvoirs de contrôle administratif. Si nous avions eu un maire à Siou, cette situation n’aurait pas isolé ce grand village, permettant uniquement à ceux qui ont des 4 x 4 de passer aisément par les déviations possibles, puisque les routes de ces déviations sont aussi abimées par des camions délivrant de la latérite à des chantiers dont la nature est impossible à identifier, tellement cela est protégé.

Monsieur le ministre, nous aimons tous ce pays, nous voulons son bien. Si vous cessez de prendre tous les acteurs de la scène politique de haut, si vous vous mettez à la hauteur des 6 millions de Togolais pour lesquels vous contribuez à présider la destinée, vous comprendrez comme la misère est crue et universelle au Togo. Et vous serez vite habité par la compassion. Je vous remercie.

Gerry Taama

 

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