Pierre Hazan, dans son livre titré « Juger la guerre juger l’histoire » disait : « La justice transitionnelle inaugure un avant et un après le crime, il marque l’an zéro d’une ère nouvelle ». Après le travail de la CVJR, qui a remis le mardi 3 avril 2012 son rapport final au chef de l’Etat, les Togolais se demandent s’ils se sont réconciliés. La réponse est évidemment non ; les Togolais ne se sont pas réconciliés.
Au vu de cette réponse, il est possible d’affirmer que la réconciliation initiée par le régime de Faure Gnassingbé n’est pas sortie de la comédie que les régimes antérieurs avaient servie au Peuple dans le passé.
Est-il besoin de rappeler que c’est en 1963, après le coup d’Etat au cours duquel le président Sylvanus Olympio a été assassiné, que les dirigeants politiques ont commencé à parler de réconciliation. Ramené de Cotonou (Bénin) pour prendre la direction du régime de la IIème République, Nicolas Grunitzky a parlé de la nécessité pour les Togolais de se réconcilier. Un processus de réconciliation a été initié par son régime, sans qu’il ait éradiqué les germes de la division ensemencés par le coup d’Etat sanglant du 13 janvier 1963. Arrivé au pouvoir après un second coup d’Etat qui a mis fin au régime de Grunitzky, en 1967, Gnassingbé Eyadéma va mettre en œuvre une série de réconciliations moins sincères que celle initiée par son prédécesseur. La paix, l’unité nationale, la réconciliation armée-nation, etc., étaient autant de phraséologies vides de contenu, ressassées par le pouvoir RPT pour faire accroire à la réconciliation. Après trente-huit ans de règne, la réconciliation n’a pas été faite par le régime RPT. Pire, son souci de contrôler la succession, après la mort d’Eyadéma, a créé une situation qui a rendu nécessaire et prégnante l’idée de réconcilier les filles et fils du Togo.
Installé au pouvoir dans les conditions exécrables que tout le monde connaît, Faure Gnassingbé va reprendre à son compte l’œuvre jamais achevée au Togo de la réconciliation. Ce travail lui a été surtout imposé par la commission d’établissement des faits envoyée dans le pays par les Nations Unies pour investiguer sur les événements qui ont marqué le scrutin présidentiel du 24 avril 2005. Ainsi, en 2009 le nouveau régime a mis en place une commission qui devait conduire un processus de réconciliation. Cette nouvelle entreprise va susciter de l’espoir dans le peuple, d’autant plus qu’elle a été initiée avec une solennité sans précédent et qu’elle a mobilisé d’importants moyens. Les populations qui étaient très enthousiastes au début ont commencé à déchanter dès que le chef de l’Etat a nommé les commissaires de la CVJR. La nomination de Mgr Nicodème Barrigah, évêque d’Atakpamé, à la tête de la commission a reçu l’adhésion ; en revanche celles de Mme Kissem Tchangaï-Walla, d’Agboli Agokoli IV et d’Ogamo Bagna, dignitaires du RPT, étaient apparues comme la volonté du régime de contrôler la commission. Le désenchantement des populations qui croyaient au nouveau processus de réconciliation s’est poursuivi quand le régime a exprimé, à travers des forfaitures et des actes répréhensibles de tous genres, son refus de changer et de se reconvertir.
La réconciliation commence par un changement de comportement! Le pouvoir RPT ne peut pas prôner la réconciliation et continuer à réprimer les manifestations pacifiques, à voler les élections, à refuser de répartir à tous les richesses nationales, et pour couronner le tout, à expulser des députés de l’Assemblée nationale. Le désenchantement a atteint son paroxysme quand la CVJR (Commission Vérité-Justice-Réconciliation) s’est montrée incapable de faire connaître la vérité sur les faits qui ont endeuillé les populations et surtout d’obliger les auteurs à se dévoiler. Tous ceux qui sont passés devant la commission ont déclaré n’être responsables de rien, alors que les événements faisaient peser des présomptions de culpabilité sur certains. De Lomé à Dapaong, en passant par Aného, Atakpamé, Kara, etc., les « présumés bourreaux » ont été introuvables, puisque tout le monde est innocent. Comment faire pour réconcilier des personnes qui ne se connaissent pas ? De plus, comment faire émerger la vérité des faits ? Cette vérité qui permet la catharsis et amène les victimes à pardonner, souvent après que les bourreaux ont reconnu leur culpabilité et demander pardon. Le processus de réconciliation conduit par la CVJR a raté le coche ; il n’a pas réussi à mettre en œuvre la trilogie : vérité, pardon et réconciliation.
L’échec de la mission de la CVJR est dû au fait qu’elle ne s’est pas entourée de certaines précautions. Une commission de cette stature avec une mission aussi difficile aurait dû avoir les pouvoirs de réquisition et d’amnistie. Le pouvoir de réquisition devait permettre à la commission de citer devant elle toute personne dont elle juge le témoignage nécessaire pour la manifestation de la vérité. Ce pouvoir qui met en œuvre la contrainte, aurait obligé des gens, surtout des présumés bourreaux à témoigner devant la commission. Le pouvoir d’amnistie aurait eu pour effet de rassurer ceux qui avaient peur de dire la vérité, par crainte d’éventuelles poursuites judiciaires. Il était nécessaire, d’autant plus que le processus de réconciliation au Togo comportait le volet justice et n’obstruait pas la voie à des poursuites contre les bourreaux.
En dépit des nombreux ratés, la CVJR a bouclé son travail et remis son rapport au gouvernement. Sur le fond, ce rapport n’a rien d’original par rapport aux aspirations populaires qui s’expriment depuis longtemps. Il suffit de reprendre tous les accords politiques signés entre le pouvoir et l’opposition, les différentes missions d’observation de l’UE, les 22 engagements signés par le pouvoir RPT à Bruxelles en 2004, les divers rapports d’institutions et d’enquêtes pour savoir que le rapport de la CVJR est la compilation de tous ces documents. Avait-on besoin de mettre trois ans et d’engloutir tous ces moyens pour aboutir à ce résultat ? La réconciliation au Togo est-elle à refaire ?
Fulbert Attisso ( journal La Nouvelle )