Le général Sassou N’Guesso, qui a régné sur le Congo de 1979 à 1992 et a repris le pouvoir à l’issue d’une terrible guerre civile financée par Elf en 1997, entend bien conserver son fauteuil présidentiel. Sur un modèle désormais classique en Françafrique, il dit faire face à une opportune « volonté populaire » qu’il puisse se présenter à la prochaine élection présidentielle, en 2016, bien qu’il aura dépassé l’âge limite (70 ans) et le nombre maximum de deux mandats prévus par la Constitution de 2002.
Raison pour laquelle le Parti Congolais du Travail (PCT), son parti-État, laisse depuis de nombreux mois se propager la rumeur d’un nécessaire changement de constitution : sa révision sur ces seuls points serait sans doute trop voyante. Le rapport rendu le 30 avril dernier par une commission spécifiquement mise en place au sein de la majorité présidentielle déroule un large argumentaire, selon la version qui aurait fuité dans la presse, au milieu duquel il est assumé d’une part que « la limitation de l’âge des candidats à l’élection présidentielle » est contraire à un autre article de la Constitution qui stipule que « tous les citoyens sont égaux devant la loi », et d’autre part que « la limitation à deux mandats du Président de la République, viole le principe constitutionnel d’équité puisque ne s’appliquant pas aux autres élus ». Avec de tels arguments, il va falloir changer de constitution dans bon nombre de pays !
C’est en tout cas, sans surprise, la conclusion concernant la Constitution congolaise, « une solution imposée par le contexte et la sagesse » à en croire la version en ligne de ce rapport.
Faire progresser la démocratie…ou pas
Comme nombre de ses pairs, le président congolais a été ravi d’honorer l’invitation au sommet ÉtatsUnis – Afrique, du 4 au 6 août, se rendant même à Washington en avance. L’occasion pour un journaliste de RFI (2/08) de lui rappeler d’anciens propos de Barack Obama selon lequel « Quand un homme ou une femme reste trop longtemps au pouvoir, il ou elle agit surtout pour durer et non pour le bien du pays ».
Mais Sassou refuse d’engager une polémique sur cette question (sic !), se bornant à s’abriter derrière « la volonté populaire », car « de toute façon, la Constitution, si elle doit être changée, elle ne peut l’être qu’à travers un référendum. Et s’il y a référendum populaire, je ne vois pas quelle est la force de la démocratie qui pourrait être déçue de la volonté du peuple exprimé par référendum ». Avec Jacques Toubon et Patrick Gaubert comme observateurs électoraux, comme lors de sa dernière «élection » en juillet 2009 ? Dans la même interview, il déclare qu’évidemment, la question de sa propre candidature « n’est pas à l’ordre du jour. La question qui est à l’ordre du jour, c’est celle de savoir si on change la Constitution dans l’intérêt du pays pour faire progresser les institutions et la démocratie, ou pas ».
Démocratie apaisée
Pour son retour de Washington, une banderole portant l’emblème de son parti politique affichait à Brazzaville un menaçant « Baméka SASSOU té, Bakéba na bango » qui, en langue nationale, signifie « Ne touchez pas à Sassou, vous êtes avertis ». Pas besoin d’être plus explicite, pour un peuple encore traumatisé par la guerre civile de 1997 à l’issue de laquelle le général-président reprit le pouvoir que les urnes lui avaient retiré 5 ans plus tôt. Mais au cas où le message ne serait pas clair, il s’est permis de stigmatiser, le 12 août, dans un de ces discours très inspirés dont les tyrans et leurs conseillers ont le secret, « la démocratie de l’invective. Celle qui se nourrit du sang et des larmes ».
Une réponse à l’opposition politique et civile, qui mettait très justement en garde dans un manifeste publié en mai sur « les velléités de tripatouillage de la Constitution [qui]créent les conditions de guerre». Critiquer le régime, un crime de guerre ? Le dictateur préfère évidemment la « démocratie apaisée, fraternelle, où chaque citoyen exprime librement ses opinions ; où les grands débats qui déterminent la vie de la nation sont tranchés par le peuple ». Comme un référendum bidon lui permettant de rester au pouvoir après 2016, par exemple.
L’allié français
En mai, une trentaine de personnalités et de représentants d’associations, de syndicats et de partis politiques se sont regroupés au sein du « mouvement citoyen pour le respect de l’ordre constitutionnel», en publiant un manifeste dénonçant les risques de « monarchisation du Congo », liés au «processus de modification ou de changement de Constitution » que le pouvoir aurait engagé depuis 2008. Le respect de l’ordre lié à la Constitution de 2002 s’y traduit par un triple slogan : « Non à son changement, Non à sa révision et Non à un troisième mandat pour le président de la République actuel ».
Le manifeste se conclut par un appel « à l’implication de la Communauté Internationale dans le combat du peuple congolais pour le respect de l’ordre constitutionnel établi au Congo, de façon à faire obstacle au coup d’Etat constitutionnel en pleine organisation par le pouvoir en place au Congo ». Peu probable que cela soit entendu du côté de Paris : si Hollande et ses conseillers ont certes rechigné un temps à inviter à l’Elysée le vieux criminel de guerre, celui-ci a su se positionner et se relégitimer à l’occasion de la crise centrafricaine. Tentant jusqu’ici vainement de reprendre la main face au puissant parrain tchadien, il a réussi, à l’instar du burkinabè Blaise Compaoré pour la crise malienne, et comme feu Omar Bongo pour la guerre civile congolaise de 1997, à se faire désigner dès janvier 2013 comme médiateur régional pour tenter de ramener la paix en Centrafrique. Reçu trois mois plus tard à l’Elysée, il a depuis fourni des effectifs à la mission africaine de maintien de la paix (MISCA), qui va bientôt passer sous le giron onusien. Les autorités françaises, toujours en recherche de supplétifs africains pour offrir une vitrine multilatérale à leur ingérence militaire, lui en savent gré.
Le vieux Sassou a donc continué de s’agiter auprès de la diplomatie française, en accueillant début juillet à Brazzaville un sommet sur la crise centrafricaine, dont il n’est d’ailleurs rien sorti de concret, en dépit des effets d’annonce. Mais cela suffit à le rendre incontournable pour la gauche au pouvoir à Paris. Quant à la droite française, alliée de longue date de cet ex-marxiste-léniniste, elle n’a cessé de maintenir des relations amicales, et parfois bien rémunératrices.
Paranoïa aiguë
Tous les Français ne sont pas pour autant les bienvenus au Congo, comme l’a appris à ses dépens Jérémy Filippi. Après avoir travaillé de juin 2011 à juin 2013 pour l’ambassade de France à Brazzaville, en tant que volontaire international en administration (sorte de « coopérant junior »), le jeune homme est revenu en juin 2014 à Brazzaville dans le cadre d’une courte mission pour une société d’édition. Le problème, c’est que pour le compte de l’ambassadeur de France, qui ne se permet pas de rencontrer trop régulièrement des opposants pour ne pas froisser le régime, le jeune coopérant avait multiplié de 2011 à 2013 les tête à tête avec des personnalités politiques congolaises, pour alimenter les fiches de la diplomatie française. Son retour à Brazzaville, un an plus tard, a donc déplu en haut lieu. Il a rapidement été prévenu, via l’ambassade, qu’un des principaux piliers du système sécuritaire de Sassou, le secrétaire général du Conseil National de Sécurité Jean-Dominique Okemba, exigeait qu’il quitte le Congo à cause de ses « contacts subversifs avec les membres de l’opposition » (RFI, 22/07).
Le vice-amiral Okemba, neveu et conseiller spécial du président, a l’oreille de la diplomatie française : décoré de la Légion d’Honneur par l’ambassadeur de France le 10 février 2011, à contretemps de l’histoire qui venait de balayer les dictatures tunisienne et égyptienne, son nom fait partie de la liste de « porteurs de valises » à destination de la droite française que le conseiller occulte Robert Bourgi a lâchée à la presse en octobre 2011 (Médiapart, 26/10/11). Jérémy Filippi, qui nie avoir recontacté le moindre opposant lors de ce nouveau séjour, sera finalement convoqué 3 fois début juillet par le directeur des Affaires intérieures de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), le colonel Elie AtipoEtou. La troisième fois, ça sera pour le placer en garde à vue, et l’expulser vers la France le 9 juillet.
« Problème d’ordre privé » ou « crispation »
Pour le Quai d’Orsay, interrogé par RFI, « c’est un problème d’ordre privé. Ce que les autorités du Congo lui reprochent c’est une affaire de justice et nous n’avons pas à nous en mêler ». Bienvenu Okiemy, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement congolais, explique au même journaliste de RFI (22/07) : « il lui est reproché d’avoir développé une intelligence, visant à dresser les Congolais les uns contre les autres. Il lui est reproché aussi de s’être immiscé, sans aucun titre, dans la vie politique de notre pays. En somme, ce monsieur a développé des activités qui étaient tout sauf commerciales. Et il aura foulé au pied le droit congolais ». Le « droit » d’isoler et museler toute opposition ?
Car le ministre est évidemment bien en peine de faire autre chose que de la gesticulation pour tenter de justifier, sans aucune base légale, une telle expulsion. Mais cela suffit visiblement à l’ambassade de France et au Quai d’Orsay, qui acceptent de griller un ex-fusible pour l’occasion : aucune réaction, aucun soutien. Contacté par RFI, un diplomate européen précise que « le pays est dans un contexte spécial, avec la perspective d’élections. Il y a une certaine crispation concernant tout ce qui va à l’encontre du pouvoir ».
Qu’en des termes diplomatiques tout cela est bien dit !
Thomas Noirot
Billets d’Afrique