En 1981, François Mitterrand chargeait Jean-Pierre Cot, ministre délégué de la Coopération et du Développement, de prendre ses distances avec la Françafrique. Il le remercie un an plus tard, et termine son mandat avec son fils, Jean-Christophe Mitterrand, à la tête de la cellule Afrique de l’Elysée. « Papa m’a dit », comme le surnommaient les chefs d’Etat africains, sera condamné à deux ans de prison avec sursis en 2009, dans l’affaire de l’Angolagate pour recel d’abus de biens sociaux.
Alors que François Hollande reçoit vendredi 6 juillet le Sénégalais Macky Sall, après le Guinéen Alpha Condé lundi et le Gabonais Ali Bongo jeudi, FTVi se penche sur les premiers pas africains du nouveau président français.
• La fin de la cellule africaine de l’Elysée et du ministère « Afrique »
La réorganisation des institutions françaises en charge du continent est le premier acte tangible de la politique africaine de François Hollande. Contrairement à leurs prédécesseurs, les conseillers Afrique de l’Elysée, Hélène Le Gal et Thomas Mélonio, ne dépendent plus directement du président, mais sont placés sous la tutelle de son conseiller diplomatique, Paul Jean-Ortiz.
Au Quai d’Orsay, le ministère délégué à la Coopération devient le ministère délégué au Développement et son décret d’attribution ne comporte plus le mot « Afrique ». « Cela veut dire que, petit à petit, on se défait de ce système franco-africain, qui a une histoire lourde, analyse Jean-Pierre Dozon, anthropologue spécialiste des relations franco-africaines à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Le ministère de la Coopération était l’héritier du ministère de la France d’Outre-mer, lui-même héritier du ministère des Colonies. »
• Un personnel renouvelé
Cette divorce institutionnel se retrouve dans le choix des collaborateurs du président. « Les personnes nommées à l’Elysée et au ministère du Développement ont très nettement une position de rupture avec ce qui pouvait rester de la Françafrique », observe Philippe Hugon, chargé de l’Afrique à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). A l’inverse, « les hommes des grands réseaux africains comme Jack Lang ou Roland Dumas ne sont pas sur le devant de la scène actuellement », ajoute-t-il.
Secrétaire national de l’UMP en charge de l’Afrique subsaharienne, le sénateur Jacques Legendre observe d’un œil bienveillant cette réorganisation. « J’ai toujours pensé que l’Afrique devait être gérée en liaison étroite avec les affaires étrangères », rappelle-t-il. Mais il attend de voir si le dispositif résiste à l’usage. « Les chefs d’Etat africains vont sans doute souhaiter avoir des contacts directs », glisse-t-il. Jean-Pierre Dozon partage cet avis: « Il y aura encore des relations particulières tout simplement parce qu’un certain nombre de chefs d’Etat sont demandeurs ».
• Un homme qui connaît peu l’Afrique
François Hollande lui même n’entretient pas de liens particuliers avec le continent, au contraire de Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand ou Jacques Chirac. « François Hollande n’a jamais fait danser les masques africains, il n’a pas de relations personnelles avec les chefs d’Etat », résume Antoine Glaser, écrivain et ancien rédacteur en chef de la Lettre du Continent. Son expérience du continent se limite à l’Algérie, et à un stage en Somalie à l’époque où il étudiait à l’ENA, rappelle Jeune Afrique.
« Cela peut être une qualité, il a un regard neuf, dépourvu de toute charge émotive », avance Pouria Amirshahi, député de la 9e circonscription des Français de l’étranger et secrétaire national du Parti socialiste à la coopération, à la francophonie et aux droits de l’homme.
De fait, si certains membres du Parti socialiste ont tardé à condamner leur camarade de l’Internationale socialiste Laurent Gbagbo, François Hollande a rapidement pris ses distances avec l’ex-président ivoirien, soupçonné de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale lors de la crise en Côte d’Ivoire (2002-2011).
Jacques Legendre ne reproche pas au nouveau président son manque d’expérience sur le continent, à condition que cela ne se double pas d’un manque d’intérêt. « Il faut qu’il ait un vrai intérêt pour l’Afrique, parce qu’il y a des dossiers très lourds », prévient-il, en citant l’exemple de la crise malienne.
• La Françafrique, une époque révolue
Les relations franco-africaines n’ont pas attendu François Hollande ou même Nicolas Sarkozy pour évoluer. « Si ces relations changent, c’est moins le fait d’une volonté politique qu’une question d’histoire, estime Antoine Glaser. L’Afrique se mondialise et la France a perdu de l’influence sur un continent où elle se pensait chez elle. » Dans les anti-chambres des chefs d’Etat africains, les Français doivent désormer composer avec les Chinois, les Russes ou les Américains.
« La France est un partenaire parmi d’autres, les relations des pays africains sont très diversifiées », abonde Philippe Hugon. Le chercheur de l’Iris explique également cette évolution par une question de générations. Ali Bongo est ainsi beaucoup moins francophile que ne l’était son père, Omar Bongo, connu pour avoir soutenu financièrement la carrière de certains hommes politiques français.
De la même manière, la France associe de plus en plus l’Union européenne à sa diplomatie africaine. « La France n’a plus les moyens d’une politique bilatérale, juge Antoine Glaser. Il y a déjà des communiqués du Quai d’Orsay qui reprennent carrément le communiqué de la délégation européenne. »
L’affaire des biens mal-acquis, qui met en cause depuis 2007 différents chefs d’Etat africains et leurs propriétés achetées en France avec l’argent public, est un autre exemple de ce changement d’époque. « La page a été tournée. On a bien vu que l’exécutif n’avait pas la main sur le judiciaire, et l’affaire s’est poursuivie », constate Antoine Glaser.
• La realpolitik va l’emporter
Si les relations vont peu à peu se normaliser sur le plan institutionnel, la politique africaine de François Hollande ne devrait guère différer de celles menées par ses prédécesseurs, comme l’illustre la réception d’Ali Bongo, dont François Hollande avait pourtant critiqué l’élection. « S’il s’agit de réaffirmer les nouveaux principes politiques de la diplomatie française, c’est bien que ce soit dit à Bongo », relativise Pouria Amirshahi. Mais, « si nous n’avons pas le compte-rendu, ce n’est pas bon signe », ajoute-t-il.
« Il va falloir qu’il jongle entre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et les intérêts militaires et financiers de la France, ce n’est pas gagné« , prédit Antoine Glaser. « Ce qui va l’emporter comme toujours, c’est la realpolitik, acquiesce Philippe Hugon. Le chercheur n’imagine pas François Hollande se passer de diplomatie parallèle pour traiter la question des otages français du Sahel.
• Prendre en compte les intérêts français
François Hollande devrait aussi composer avec les intérêts de la France sur le continent. « Il y aura obligatoirement une intervention politique pour défendre les intérêts économiques des firmes françaises, sur le pétrole ou l’uranium », ajoute Philippe Hugon, qui précise cependant que ces enjeux sont moins importants qu’à l’époque d’Elf. « Il ne va pas pouvoir ne pas tenir compte de la présence militaire française au Gabon et à Dijbouti », juge Antoine Glaser. Ces intérêts économiques et militaires sont autant de moyens de pression sur François Hollande dans les mains des chefs d’Etat du continent, qui peuvent désormais faire jouer la concurrence.
Le président de la République aura donc fort à faire s’il veut mettre en place une nouvelle relation avec le continent africain. « Une politique, cela se juge à la pratique, pas sur les déclarations d’intentions », rappelle Jacques Legendre. « On voit bien qu’il veut marquer une différence, mais elle est symbolique, résume Jean-Pierre Bozon. Il y aura aussi de la continuité, il ne faut pas se leurrer. »
Thomas Baïetto