Lynx.info : A qui profite le crime avec le rapport de la CNDH truqué par le gouvernement de Lomé ?
Agbéyomé Messan Kodjo : On serait tenté de dire que la réponse est dans la question ! Mais d’abord il convient de replacer ce scandale dans son contexte pour mieux aider à déconstruire les nœuds de cette tragédie familiale, où l’instinct de domination de l’un a fait voler en éclat, la fragile unité de la fratrie, orpheline du Chef de famille, qui au surplus était Chef de l’Etat.
Au début de ce feuilleton, cette histoire nous a paru romanesque, tant la ficelle est grosse. Elle n’est pas sans rappeler, bien entendu dans une moindre mesure, les fausses graves accusations dont je fus souvent victime. Connaissant les habitudes de la maison, les suites de cette intrigue politico-familiale ne peuvent empêcher de penser à un scénario dont l’ultime finalité était l’élimination d’un adversaire politique.
Aujourd’hui plus que jamais, les doutes ne font que se dissiper ; et tout laisse croire qu’on a voulu
se débarrasser de Kpatcha, parce qu’il gênait le souverain, et au-delà, empiétait sur l’ambition des courtisans et autres pontes du pouvoir qui n’avaient qu’un seul souci : prendre en otage et mieux instrumentaliser, celui qui subitement sans les prérequis, se retrouvait au sommet de l’Etat, Je vous avoue qu’ils y ont excellé, pour mieux appauvrir le peuple togolais, le soumettre à la dictature néocolonialiste et devenir ainsi des oligarques du nouveau régime.
Par ailleurs, tout indique qu’on ne devrait être plus loin de l’aveu d’un faux coup d’état inventé pour enfoncer Kpatcha Gnassingbé à qui on a vite fait de coller des complices dont le choix ne fut pas si difficile, tant le cercle de ses proches militaires et civils fut un bon vivier. Cette situation n’a fait que rendre plausible ce qui est qualifié de « tentative d’attentat contre la sûreté de l’Etat »
32 personnes au total furent donc appréhendées, détenues au Camp Régiment Inter-armées du Togo désormais appelé Camp Général Eyadema,et à l’Agence Nationale de Renseignements, lieux illégaux de détention et ce pendant deux ans. Ils y ont été torturés, cela relève d’une lapalissade. Je compte parmi les détenus un proche qui en estsorti sourd, avec des dents en moins.
Dans le déroulé du procès, les juges de la Cour ont paradoxalement refusé de prendre en compte les
témoignages des prévenus torturés dont les ondes de choc ont traversé le Togo, pour se répandre
partout dans le monde, suscitant un concert de condamnation et d’indignation.
Rappelons que Kpatcha GNASSINGBE croupit en prison sans la levée de son immunité parlementaire.
C’est assez cocasse dans un pays où le souverain est faussement crédité de bonnes intentions de s’inscrire dans une rupture aux viles pratiques de l’ancien régime.
La sentence du Bâtonnier Me Charrière Christian BOURNAZEL Avocat au Barreau de Paris, empêché de faire le déplacement de Lomé pour assister son client, l’honorable député est sans appel. Dans un courrier qu’il adressa au Président de la Cour Suprême, Abalo KPETCHELABIA, l’avocat dit en substance ceci : « Ce procès scelle votre déshonneur, rien ne vous a arrêtés, ni la vacuité du dossier ni les témoignages poignants d’hommes montrant les marques des tortures qu’ils avaient subies pour arracher des aveux ni l’outrecuidance du Colonel Katagan venu comme témoin à la barre mais en réalité vous donnant des ordres pour condamner sans que vous émettiez la moindre protestation »
Il s’agit ni plus ni moins d’une parodie judiciaire qui couvre de déshonneur la justice togolaise, et qui confirme l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, dont moi-même et la formation politique que je dirige avons fait l’amère expérience.
C’est donc avec raison que le verdict de ce procès a suscité condamnations et indignations au sein de la communauté internationale, surtout que la preuve des cas de torture a été apportée devant le
tribunal sans que cela n’ait pu émouvoir les juges et les conduire à s’en inquiéter, et à ouvrir une
enquête avant de poursuivre le jugement.
Pourtant le Togo est partie à la Convention contre la torture depuis le 18 novembre 1987. Ladite convention dispose dans son article 15 que : « Tout Etat partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure ». Les témoignages et les aveux recueillis sur la base de la torture, ne sauraient donc être de sources légitimes de preuves devant les tribunaux !
Face à ce grave déni de justice, la pression internationale et l’action concertée des ODDH ont conduit à l’ouverture d’une enquête sur lesallégations de torture, dont la charge fut confiée à la CNDH.
Les tribulations qui ont entouré la publication de ce rapport signalaient l’embarras dans lequel se trouvait le pouvoir, qui n’avait trouvé d’autres issues que de falsifier le rapport et d’extorquer la
signature du Président de cette institution, sous la menace, en vue de protéger les tortionnaires.
Il fallait montrer à la face du monde que le Togo, n’avait pas son Guantanamo, surtout quand le
Chef de l’Etat se préparait à prendre la parole à la Présidence du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Résolu à rendre hommage à la vérité et à l’éthique,Mr KOUNTE rend public sur le site de la CNDH le
rapport authentique, avant de prendre la fuite. Cet acte courageux est un pied de nez à la propagande gouvernementale qui affirmait partout que le rapport de la CNDH conclut à l’absence des cas de torture. Malgré ses multiples dénégations pour prouver sa bonne foi et son attachement à la protection des droits humains, le Gouvernement fut contraint par l’éclat de la vérité suite à la confirmation par la CNDH de l’authenticité du Rapport publié sur le site de la CNDH, à se rendre à l’évidence.
Ce scandale au sommet de l’Etat doit démontrer aux yeux de la communauté internationale les pires
ignominies dont ce régime est capable pour semaintenir, envers et contre tout.
Il lui appartient désormais de tirer toutes ses conclusions sur la nature du régime qui nous gouverne et dont nous n’avons de cesse de dénoncer l’œuvre de prédation des ressources publiques, des libertés et des droits humains.
Le discrédit de ce pouvoir, est à son comble, et son désaveu énorme. Le peuple a raison ; il est
temps que justice lui soit faite, et que les cris de son exaspération soient entendus.
Le crime ne peut donc profiter qu’aux tortionnaireset à leur donneur d’ordre qui les couve et les
protège ! Mais pour combien de temps ?
Lynx.info : Le Ministre François Boko disait en 2005 que le pouvoir de Faure a tous les signes d’un Étatvoyou. Le rapport truqué de la CNDH l’atteste aujourd’hui?
AMK : L’histoire a donné raison à François BOKO. Le risque du scrutin à haut risque qu’il appréhendait en avril 2005 s’est vérifié ; plus de cinq cents morts, et les scandales à répétition qui marquent la gouvernance de Faure, illustrent la pertinence de son jugement.
Lynx.info : Maintenant que l’ANR est indexée comme lieu de torture, que faut-il faire pour que les bourreaux ne se sentent pas tranquilles ?
L’ANR est une émanation de Faure GNASSINGBE qui en est l’autorité hiérarchique administrative. A mon sens, il y a deux mesuresimportantes et urgentes à prendre : d’abord dissoudre l’ANR, c’est plus urgent que la dissolution du RPT, et ensuite sanctionner les auteurs des crimes commis, conformément aux lois de la République.
Lynx.info : Le rapport truqué innocente l’ANR que dirige le colonel Massina Yetroféi. Comment le politique que vous êtes décrit cet officier qui n’est quand même pas un soldat de rang ?
C’est un officier de valeur que je connais personnellement, qui affiche une humanité avenante. Il a été grisé par le pouvoir et l’argent, et a sombré dans l’illusion d’une impunité absolue.
Il est jeune et j’espère qu’il tirera de cette épreuve, les leçons de la vie : l’humilité et la vertu de l’Amour.
Lynx.info : Alors Kpatcha et co-accusés avaient raison de dire qu’‘ils ont été torturés. C’est ça ?
Ils ont décrit au cours de la procédure dans le menu détail ce qu’ils ont vécu, c’est le droit
qui leur en donne les moyens. Dès lors que la procédure est constituée de témoignages obtenus sous le coup de la torture, il ne reste qu’à Faure GNASSINGBE de les libérer immédiatement et de mettre en place les mesures de leur indemnisation et de réintégrer dans les effectifs de l’armée ceux
qui dans ce complot contre Kpatcha, ont été abusivement radiés, dans les différents corps de
nos services de sécurité.
Lynx.info : Finalement ce n’est pas la docilité de l’UE, de la CDEAO et de l’UA avec le pouvoir de
Faure qui fait qu’il se sente tout permis ?
C’est un fait que l’hypocrisie de certains membres de la communauté internationale est
un signe d’encouragement de la forfaiture. Il est inadmissible que les choses demeurent ainsi ; à
présent qu’elle découvre la face hideuse cachée du régime, la communauté internationale doit en tirer
les conclusions qui s’imposent, pour l’avenir.
Lynx.info : Comment expliquez-vous que le gouvernement de Gilbert Houngbo très affaibli ne démissionne toujours pas ?
Tout dépend du contrat qui lie Gilbert Houngbo à Faure GNASSINGBE. Dans tous les cas, Faure GNASSINGBE ne pourra imposer plus que de raison au peuple togolais, cette équipe, qui a montré sa médiocrité et son mépris de l’éthique et des lois de la République.
Lynx.info : Finalement, le mensonge sur le rapport du gouvernement n’entache pas aussi la crédibilité des AGO de l’UFC proches du RPT ?
Evidemment, ils sont dans la coalition gouvernementale qui est prise en flagrant délit
de mensonge et de falsification d’un rapport qui établit la culpabilité absolue des tortionnaires qui se considèrent comme la clé de voute des institutions républicaines. Le déshonneur qui couvre la haute hiérarchie dupouvoir les ensevelit.
Lynx.info : Vos cris et communiqués à OBUTS votre parti semblent avoir eu raison du pouvoir togolais.
Quel message personnel avez-vous pour Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio?
La devise de OBUTS c’est Justice, Paix et Progrès. C’est le sens du combat que nous menons aux côtés des forces de changement et de l’Alternance. Je demande à Faure et à Gilchrist de sortir de leurs bulles pour apprécier la désespérance du peuple togolais qui subit l’arrogance et le mépris de ceux qui les entourent. Il est encore temps qu’ils se retirent pour ne pas subir le moment venu la révolte populaire. Les signes d’une amorce du printemps togolais sont tousréunis.
Lynx.info: Merci Mr Agbéyomé Kodjo
AMK: C’est moi qui vous remercie pour votre excellent travail.
Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info