Et si ATT avait été victime d’un complot ?

0

  

« Les faits sont têtus… » Lénine

Alors que tous les regards étaient orientés vers les prochaines élections présidentielles, un coup d’Etat de trop vient de se produire au Mali. Ce vaste pays qui plonge sa frontière nord dans le Sahara, ne s’imaginait pas un seul instant voir des soldats s’emparer du trône. Le fait est que le Mali est présenté, à l’instar du Ghana, comme un exemple de démocratie en Afrique. Néanmoins, depuis Janvier 2012, sa stabilité politique s’est vue  menacer par la rébellion touareg (au repos depuis 2009) localisée au nord du pays. Les attaques répétées du MNLA (Mouvement National pour la Libération de l’Azawad) qui se sont souvent soldées par des victoires, ont perturbé la tranquillité du peuple malien avec à sa tête le Président Amadou Toumani Touré. En vue de trouver une solution à cette énième crise militaire de l’Afrique de l’Ouest, le chef de la diplomatie française, ainsi que l’Union africaine se sont succédés aux chevets du pays de Soundjata Kéita. C’est dans ce contexte d’appel à la négociation avec les rebelles touareg que le Jeudi 22 Mars, des soldats affirment avoir pris le contrôle du pouvoir. Comment donc comprendre ce changement anticonstitutionnel ?
La réponse à cette question invite à passer à la loupe la revendication des putschistes qui finit par révéler le jeu trouble de la France, lequel masque ceux de la CEDEAO et de l’UA.

La revendication des putschistes

La principale revendication des putschistes se résume en l’incapacité du régime du président Amadou Toumani Touré à gérer la crise au Nord. L’une des déclinaisons de cette revendication principale est l’absence de moyens militaires efficaces. En filigrane, les militaires expriment leur urgent besoin d’en découdre avec la rébellion touareg. Mais ce besoin urgent est-il réglé par le coup d’Etat? Absolument non. C’est tout le contraire et ce, pour diverses raisons.

Première raison, le coup d’état ouvre une période de transition dont la période est non déterminée. En général, la transition sert à restaurer les institutions, ressouder les liens cassés entre les citoyens, créer des conditions d’une transition pacifique. Or cette tâche est plus difficile que réussir un coup d’état. Alors, les nouveaux hommes forts du pays seront-ils partagés entre cette tâche et l’offensive contre la rébellion touareg ? C’est dire que les opérations militaires envisagées prendront du temps. Et là encore, rien ne dit que les rebelles, durant cette période, calmeront leurs ardeurs où attendront d’être attaqués.
 
Deuxième raison, le Mali était à quelques mois des élections présidentielles, qui devaient se tenir sans Toumani Touré. Alors si Toumani Touré est incompétent, c’est que le problème est réglé puisqu’il n’est pas candidat à ces élections. Il suffisait pour les putschistes de choisir parmi les candidats, celui qui pouvait gérer la crise.

La troisième raison est que ce coup d’Etat va isoler le Mali, qui officiellement, n’aura pas d’aide militaire pour combattre les rebelles. En théorie tous les appuis budgétaires, les financements extérieurs seront gelés et le peu de moyens internes dont dispose ce pays, devrait servir à autre chose qu’à faire la guerre. On pourrait même être poussé à se poser la question de savoir si les militaires seront sur la même longueur d’onde. Cette question mérite d‘être posée parce que le Président déchu n’est pas un homme isolé, il a des sympathies au sein de l’armée malienne.
Au regard de ces trois raisons, nous osons affirmer que cette revendication est farfelue et contraire au bon sens. Elle est inopportune et ne répond à aucune stratégie sérieuse de reprise du contrôle des zones sous la main des rebelles. Précisons au passage que les rebelles Touareg ont salué la chute de l’incompétent ATT. Curieux quand même!

La vacuité de la revendication fait naître depuis le changement de régime, la thèse de l’échec du mandat du Président déchu. Cette thèse est honteusement portée par des analystes fournis par les médias français. Si nous prenons en compte la présente thèse, il est clair qu’elle ne peut prospérer, du coup, nous nous retrouvons sur le point de départ. Dans un état, la meilleure manière de sanctionner un Président incompétent, c’est de lui offrir la porte de sortie par les urnes. N’étant pas candidat à sa propre succession, les putschistes ne font que tirer dans le vide.
 De tout ce qui est dit sur l’incompétence de ATT, rien ne peut humainement expliquer un coup d’Etat. Alors, il convient de rechercher les raisons de cette déstabilisation ailleurs.
Le jeu trouble de la France

Il est un truisme de dire que le Sahara est aujourd’hui l’engrais du terrorisme en Afrique subsaharienne. Les nombreuses prises d’otage de ressortissants occidentaux par AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont fini par imposer à la France la nécessité d’installer une base militaire dans la région en vue de combattre ces terroristes. Le lieu stratégique choisi par la France, n’est autre que la région de Mopti. La requête de Nicolas Sarkozy fut purement et simplement rejetée par Toumani Touré. Cela ressemble bien au refus du Président GBAGBO de faire défiler les troupes ivoiriennes sur les champs Elysée le 14 juillet 2010. La France, nous la savons très gourmande! Donnez-lui un lopin de terre et elle finira, par des jeux troubles, à prendre 1000 hectares de terre. En sus, ATT s’était offert le luxe de refuser la signature d’un accord de coopération portant sur la gestion des flux migratoires. En effet, le Président malien et Sarkozy n’étaient pas sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la régularisation des immigrés maliens. ATT est dès lors apparu comme un trouble-fête car d’autres pays africains avaient fléchis là ou ATT a osé faire la résistance. Ces refus, n’ont évidemment pas été appréciés par la France dans l’entendement de qui, un Président nègre n’est qu’un pantin qui n’a de salut que dans l’acceptation des ordres tutélaires.

En outre, le lien qu’avait le Mali avec la Lybie était si fort que lors de la crise libyenne, le Mali a montré un visage réservé. ATT n’a pas soutenu Sarkozy dans sa folle croisade contre le guide libyen. L’on sait que celui-ci avait réalisé de nombreuses infrastructures au Mali, fort estimé, ses affiches sont visibles sur des commerces de certains maliens. Voici un élément qui semble avoir porté le courroux de Sarkozy à l’extrême.

De plus, M. Juppé n’a pas manqué de saluer l’avancée des troupes rebelles lors d’une de ses interventions devant le sénat français le 07 Février 2012 en affirmant ceci : « la rébellion touareg a remporté récemment d’importants succès militaires au nord du fleuve Niger. Un cessez-le feu immédiat est pour nous un impératif ». Alors comment comprendre que la France qui est si attachée aux valeurs républicaines emploie des termes qui, à l’évidence, vantent les mérites des rebelles? Elle a tenté de cacher « ses fleurs » lancées aux rebelles en députant Alain Juppé auprès du Président malien le 26 Février 2012, lequel n’a pas manqué de se comporté comme l’a fait Michelle Alliot-Marie dans le feu des attaques des rebelles pro-OUATTARA en Septembre 2002. En effet, sortant de l’audience avec Toumani Touré, Juppé déclare : « C’est un dialogue politique qui peut permettre de s’en sortir et pas une confrontation. Un dialogue inter-malien est absolument nécessaire ». Voici donc la France qui appelle un pouvoir légitime à négocier avec des rebelles terroristes dont la seule évocation du nom blesse la conscience européenne. On verra par la suite que l’abandon de la solution militaire a servi de prétexte au renversement de ATT.

Aussi dans la crise ivoirienne, le Président ATT avait été accusé de rouler pour GBAGBO. Certains avaient même annoncé que Toumani Touré, avait payé les fonctionnaires ivoiriens suite à la fermeture des banques françaises. Le quotidien Le Nouveau Réveil (quotidien proche du pouvoir, expert en intox) n’avait pas manqué d’afficher à sa Une : « Le Mali paye les salaires des fonctionnaires : ATT vole au secours de GBAGBO » (numéro du 24/12/2010). Quant on sait la haine que Sarkozy nourrit contre GBAGBO on devine déjà, le sort de ATT.

Dans la lutte pour le pouvoir au Mali, le candidat déclaré et certifié de la droite française est Soumaïla Cissé. Cet ancien commissaire de l’UEMOA a également le soutien de Blaise Compaoré, Alassane Ouattara, deux représentants des intérêts français en Afrique de l’ouest. Face à ce candidat, un vieux routier de la politique malienne, le socialiste Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), le seul candidat sérieux à avoir condamné fermement le coup d’Etat. Sarkozy qui a une forte aversion pour les hommes libres et indépendants, sans doute voyant la probable victoire du socialiste IBK, n’a-t-il pas court-circuité le processus en vue de mettre sur place, les conditions d’une élection de Soumaïla Cissé? Rien n’est exclu. L’exemple ivoirien est si frais dans nos esprits que nous ne saurions rejeter cette hypothèse de travail.

Au soir du coup d’Etat, la condamnation de la France, répondant plus à un principe qu’à un désaveu des putschistes, montre bien que ce pays est expert en coups de Jarnac. Cette condamnation qui pue l’hypocrisie a été déjà servie en Côte d’Ivoire et Dieu seul sait comment la France a œuvré au renversement d’Henri Konan Bédié et de Laurent GBAGBO.

Au final, il apparaît que dans la déstabilisation du Mali, la France s’est adonnée à un jeu clair obscur répondant plus à ses intérêts qu’à ceux du peuple malien et par extension, à ceux des populations africaines assoiffées de liberté et de dignité. Malheureusement, les organisations africaines, comme à leur habitude, n’ont pas manqué à l’appel du complot.

Quid de la CEDEAO et de l’UA?

Dans la crise malienne, ATT est apparut comme un orphelin. L’on a donné à la résolution de cette crise, le caractère d’un fait divers. Les médias africains et internationaux faisaient pratiquement un black out sur les informations et ne les levaient que lorsque les rebelles touaregs remportaient « d’importants succès militaires » (nous empruntons le terme à Juppé).
La CEDEAO, conduite par Goodluck Jonathan et ensuite Alassane Ouattara (fraichement installé et épaulé par Paris) a mené des actions de « salon », annonçant avec peines, des médiations. Ces médiations annoncées bien après que les rebelles aient commis d’énormes dégâts au nord, n’ont jamais eu lieu puisque la décision n’a été prise que le 20 Mars 2012.

L’Union Africaine, a volé à la CEDEAO son attentisme. Sans doute pour cacher ses carences et sa complicité, dans la semaine du coup d’Etat, elle a tenu à Bamako, la 34è session du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), pour en définitive se comporter comme Juppé en condamnant et appelant à un cessez-le feu immédiat. Cette attitude de ces deux organisations africaines, contraste avec ses actions en Côte d’Ivoire. Qu’est ce qui pourrait donc expliquer cela ?

Le jeu flou de la France dégorge sur la CEDEAO et l’UA. Goodluck Jonathan, connu pour être l’homme qui a reçu en un jour, près de dix coups de fils de Sarkozy, ne pouvait déplaire certainement à son maitre. En Côte d’Ivoire Sarkozy tenait à faire tomber GBAGBO il s’est alors appuyé sur Goodluck, alors Président de la CEDEAO. Celui-ci s’est lancé dans une course folle contre la montre et parvint avec d’autres présidents tels Wade et Compaoré, à faire partir GBAGBO et installer Ouattara. La même opération a été observée avec l’UA par le canal de Jean Ping qui, agissant comme Goodluck, a offert cette organisation a Sarkozy pour avoir la tête de GBAGBO. Ce rappel pour signifier qu’à la tête de ces deux organisations, se trouvent des personnes acquises à la cause de la France et qui appliquent à la lettre ce que dicte ce pays. Dans la crise malienne, ils ont, semblent-ils, joué la carte du pourrissement. Ouattara, pour ce que tout le monde sait, n’a aucune légitimité à condamner la rébellion surtout que c’est une rébellion qui l’a porté au pouvoir. Jean Ping, également, n’a aucune légitimité à agir en toute franchise contre les rebelles, lui qui a plongé l’UA dans une sorte de musée à l’occasion de la crise libyenne.

Ouattara, prévoit une réunion de la CEDEAO le Mardi à Abidjan sans doute, pour condamner et par la suite se retrouver en privé et sabler le champagne de la complicité.
 Avant de conclure, nous voudrions attirer l’attention sur l’activisme suspect de la CEDEAO et de l’UA. En effet, ces deux organisations ont, dans une fraction de secondes et dans la même semaine du coup d’Etat, pris des initiatives, l’une décide de mener une médiation et l’autre tient son conseil de paix et de sécurité à Bamako. N’est ce pas là une manière de se dédouaner aux yeux des africains?
En définitive, notons que le Président malien a été victime d’un complot car aucun argument avancé par les putschistes ne justifie leur coup d’Etat. Le jeu voilé de la France ouvre les pistes de ce complot.

 Ce coup d’Etat de trop en Afrique occidental, après celui perpétré par la France contre GBAGBO au profil de Ouattara, ruine les espoirs du peuple malien qui marchait joyeusement dans les sentiers de la démocratie. Ceux qui, de loin où de près, ont œuvré à la chute du pouvoir malien, ne peuvent pas prétendre aimer les maliens qui n’attendaient que les élections pour saluer le départ de Toumani Touré « l’heureux incompétent ».

La France, toujours la France, celle des droits de l’homme ne parvient pas à inculquer à l’Afrique les valeurs qu’elle partage si bien en Europe mais qu’elle assassine chez les nègres. Malheureusement dans ses actions déstabilisatrices, elle a des complices noirs, les exécutants, ces assassins de la cause africaine.

Le peuple africain comprendra t-il un jour qu’un chef d’Etat africain qui est adulé par la France, les USA, la Grande Bretagne, l’ONU est un cancer pour les intérêts africains?

Alain BOUIKALO
Juriste-Consultant

bouikhalaud@deboutciv.com

Partager

Laisser une réponse