Les résultats officiels du scrutin Présidentiel du 4 mars 2010 au TOGO sont tombés. Je me dois de livrer à la réflexion de chacun tout ce que m’ont inspiré les différentes phases du combat mené contre une dictature qui ne dit pas son nom et se pense éternelle.
Habituellement, les « élections » au Togo sont, non seulement massivement fraudées, c’est le cas pour celles-ci aussi ! Mais elles ouvrent toujours une longue période de violences, avec leurs cohortes de blessés, de morts et d’exilés. Cette année, grâce à la pression de l’Union Européenne, au travail de sa représentation au TOGO, à sa mission d’observation, à la présence des missions diplomatiques occidentales accréditées au Togo, des avancées significatives ont été observées dans la tenue du scrutin, et la gestion de son lendemain. Cependant n’oublions pas les 27 citoyens togolais qui ont été arrêtés, certains toujours emprisonnés, pour avoir fait leur travail ordinaire d’opposants au régime, sans aucune violence commise de leur part, alors que les grenades lacrymogènes du pouvoir continuaient de pleuvoir, y compris dans les locaux de l’Ufc, parti du candidat Jean-Pierre FABRE que nous avons soutenu.
Pour ce scrutin du 4 mars tout a été organisé, par un pouvoir passé maître en matière de fraudes, pour que les observateurs internationaux qui ne se contenteraient que de la partie visible du dispositif, puissent attester d’une élection transparente et apaisée. Mais la partie immergée du système révèle que la réalité est autrement plus sombre…et le rapport préliminaire de la mission d’observation de l’Union Européenne (Moe), qui s’en est rendu compte, est sans appel !
La fraude a été massivement organisée en amont du scrutin et essentiellement dans la partie septentrionale du pays, celle qui compte en plus grand nombre, les plus petits bureaux, souvent très isolés et difficiles d’accès. En particulier, les bureaux situés près des frontières ont été largement utilisés pour le vote d’étrangers rétribués pour cette mission.
C’est dans la période d’inscription sur les listes électorales que l’essentiel des fraudes a été mis en place. Cet épisode que ne peuvent contrôler ni l’opposition, ni les observateurs, a été pourtant perçu et dénoncé par la Moe.
Le jour du scrutin
Ø Un usage abusif du vote par procuration : alors qu’une seule procuration par votant est autorisée, certains bureaux ont jusqu’à trois fois plus de procurations que de votants.
Ø Des milliers de collégiens ont été contraints d’aller s’inscrire sur les listes électorales. Du reste, certains observateurs ont pu constater que des jeunes de moins de quinze ans participaient au scrutin avec de fausses cartes… Par ailleurs, ces jeunes inscrits sous de fausses identités, ont donné procuration à un membre de leur famille, lorsqu’il devenait trop flagrant qu’ils n’étaient pas en âge de voter…
Ø Le vote massif de non-inscrits a été observé. Les détenteurs de cartes électorales ont été autorisés à voter, même lorsqu’ils n’étaient pas inscrits sur les listes. Autrement dit, un même électeur a pu voter plusieurs fois dans des bureaux de vote différents :
– C’est le cas de nombreux militaires qui avaient déjà voté dans leur caserne le lundi 1er mars, sans avoir à utiliser l’encre indélébile qui atteste du vote, en restant visible sur le doigt du votant !
– C’est au bureau de l’EPP de Lama-Lao qu’un car transportant des électeurs de Défalé qui se déplaçaient de bureaux en bureaux pour voter, a été repéré.
Et c’est cela qui explique que dans certains bureaux de vote, le nombre de voix obtenu par F. Gnassingbé est supérieur au nombre d’inscrits dans ce même bureau.
Ø L’autorisation de voter, sans être inscrit sur les listes, a également permis à des milliers d’étrangers des pays frontaliers de voter. Ils sont entrés au TOGO quelques jours avant le scrutin (puisque les frontières ont été fermées le jour même) avec de fausses cartes d’électeurs qui leur avaient été distribuées. Ils ont ainsi pu voter, contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Ø La présence d’une imprimerie clandestine de bulletins de vote à Atakpamé a été signalée à la représentation de l’Union Européenne quelques jours avant la tenue du scrutin. Une autre imprimerie a été repérée à Kara…A ce jour nous ne savons pas si une enquête a été menée, ni s’il sera possible de vérifier l’authenticité des bulletins des bureaux litigieux.
Ø Des menaces ont été proférées dans plusieurs villages par le « Patron » de ces villages. « Si vous ne votez pas tous pour Faure, on vous bastonne, on vous tue… »
Ceci explique que dans plusieurs villages F. Gnassingbé obtient pratiquement 100% des voix ! Par exemple, dans la Préfecture de TCHAOUDJO :
– à TCHARE, dans 3 bureaux de vote, il obtient, 620 voix sur 620 exprimées, 302 sur 302, 292 sur 292,
– à WYAMDE 465 sur 465,
– à LAMA, dans 7 bureaux de vote, 360 voix sur 364, 355 sur 359, 200 sur 200 200 sur 202, 422 sur 425, 335 sur 340, 585 sur 571 exprimés !
Ø Le jour du vote, des électeurs étaient arrêtés à quelque distance du bureau pour se voir proposer un billet de banque en échange de l’assurance qu’ils allaient voter Faure Gnassingbé…Quand on sait que, dans cette région, nous sommes en période de « soudure » où chaque paysan doit choisir entre semer ou faire manger sa famille, on comprend la suite.
Ø Dans plusieurs bureaux de vote, les délégués des partis de l’opposition ont été exclus du bureau. Il faut bien comprendre que le jeu n’est pas égal entre un Président de bureau de vote installé avec l’autorité du pouvoir, et quelques opposants qui ont le courage (limité !) de s’exposer et de prendre des risques pour l’avenir. Ils n’ont aucun moyen de se défendre, peu de formation pour connaître et savoir défendre leurs droits, pas de téléphone pour appeler à l’aide…etc.
Ø Depuis plusieurs mois, deux associations (NAFA et APACHE) pilotées par Madame Sabine, mère du Président en exercice, ont initié un projet d’aide aux femmes, sous forme de micro crédit. Les femmes concernées étaient tenues de commencer par fournir leur photo, à leurs frais, avant de pouvoir accéder au service proposé. On sait que ce sont ces photos qui ont servi à établir des milliers de fausses cartes électorales.
Par ailleurs, la population des régions du Sud et essentiellement LOME, qui compte presque les deux tiers des électeurs, a été traumatisée par ce qui s’est passé lors des élections de 2005, (fusillades des populations à partir d’hélicoptère à Aného, meurtre d’un passant qui avait le malheur de porter un tee-shirt jaune, le jaune étant la couleur de l’Ufc, alors qu’il n’en était même pas un militant…)
La population s’est protégée en fuyant pour quelques jours vers les pays frontaliers. On peut même avancer que sa fuite a été organisée avant qu’elle ne puisse voter, puisque l’annonce de la fermeture des frontières a été faite bien avant. Aussi la capitale s’est vidée en quelques jours. La désertion de cette partie de la population explique le faible taux de participation dans le Sud du pays : 50 % de votants…
Alors bien sûr à ce compte-là, quand on veut rester sourd et aveugle, on peut parler d’élections « apaisées »…
C’est dans ces conditions que l’opposition, que j’ai soutenue après mon invalidation pour motifs fallacieux, a participé à cette élection…et elle l’a fait de façon admirable.
L’opposition togolaise a montré toute sa maturité
– Elle a respecté de bout en bout la loi électorale écrite mais tous les jours bafouée par le pouvoir Rpt lui-même.
– Elle a respecté le peuple togolais en allant au-devant de lui pour lui exposer et expliquer le projet de société qu’elle compte mettre en œuvre avec son aide. Je puis témoigner que depuis Cinkassé dans le grand Nord jusqu’à l’Océan, elle a rencontré le vrai peuple, celui qui souffre et gémit sous une dictature ininterrompue depuis 43 ans. Ce peuple a exprimé ses espoirs et ses craintes, ses doutes et ses certitudes, sa joie et sa tristesse…
– L’opposition a respecté les hommes et leur environnement avec ses modestes documents de campagne, à côté du déploiement scandaleux d’affiches géantes en papier glacé, de panneaux lumineux gigantesques, à la gloire du prince régnant, « candidat » du Rpt !
Quant à la problématique de la candidature unique, brandie comme un hochet pour tenter de discréditer l’ensemble des dirigeants de l’opposition et justifier par avance la « réélection » contestable du sortant, il faut rendre hommage à la clairvoyance politique du peuple togolais. Pourquoi parler encore d’absence de candidature unique de l’opposition, alors que l’union des vraies forces d’opposition s’est bien faite autour de la candidature de Jean-Pierre FABRE ? Tout le peuple togolais savait, avant le jour du scrutin, que les autres candidats, dits d’opposition, l’étaient pour la plupart d’entre eux, avec la complicité du pouvoir, pour faire diversion. Certains en contrepartie de finances, d’autres avec la promesse de futurs portefeuilles ministériels… Mais les résultats sont là pour attester que personne ne s’y est trompé : à cinq, et tous ensemble, ils ont réuni à peine 5% des voix !
Et puis, parlons clair : aurait-on idée d’exiger, en France par exemple, une candidature unique de l’opposition allant de Besancenot à Le Pen? Justifierait-on la réélection du candidat sortant par l’incapacité de cette opposition à se rassembler derrière un tel candidat unique? Comment une opposition unie pourrait-elle, au mépris des principes même de la démocratie, empêcher des candidats isolés de se présenter à une échéance électorale, dès lors que ces derniers présentent un dossier conforme à la loi électorale ?
Tout le monde sait que la solution à ce problème se trouve dans l’organisation de primaires ou d’élections à deux tours. Mais en Afrique tout se fait au rabais, y compris les scrutins…J’exige que tous les bien-pensants et autres donneurs de leçons cessent de prendre les peuples africains pour des mineurs…
Il est inadmissible que quelques avancées sur le principe des libertés servent à justifier de maintenir tout un peuple sous l’éteignoir… Au Togo la peine de mort n’a pas été abolie pour ceux que l’on assassine dans l’ombre tels M. Agbobli…Ou sont-ils, les assassins ? Ils se promènent en toute liberté, à la lumière du soleil…Ah ! Impunité, quand tu nous nargues…
On doit surtout cesser de se contenter de louanger des textes adoptés, la Constitution, la loi électorale… mais on doit plutôt exiger leur réelle application !
Mais au-delà du cas togolais, on est en droit de se poser une question: lorsque des démocrates s’engagent dans une lutte contre une dictature, avec les armes de la démocratie, combien d’années faut-il attendre avant d’espérer réussir ?
Voilà pourquoi aujourd’hui :
Ø Je dénonce la flagrante inégalité de traitement dans les médias, entre le candidat du pouvoir en place (96% du temps d’antenne !) et les candidats de l’opposition (4% de ce temps, à partager entre les 6 autres!).
Ø Je dénonce la débauche de moyens investis dans la campagne de M. Gnassingbé pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir, alors que ce même pouvoir a quémandé et obtenu 17 millions d’euros (11 milliards FCFA) à l’Union Européenne pour organiser ces élections, prétendant ne pas avoir elle-même les moyens de le faire. Les contribuables européens apprécieront…
Ø Je demande des comptes :
– combien de milliards pour la campagne d’affichage qui a pollué toutes les villes du Togo et en particulier Lomé ? Affichage sur tous les murs des propriétés privées pendant que la HAAC avait l’outrecuidance d’annoncer à la télévision que celui qui serait surpris à arracher une affiche, y compris donc sur son propre mur, serait passible des sanctions prévues par la loi.
– Combien d’écoles, de dispensaires ne pouvait-on construire avec cet argent aussi bêtement gaspillé ?
– Combien de milliards distribués à la veille du scrutin par les ministres en exercice et chefs de service pour acheter les consciences ? (200 millions rien que pour les Préfectures de BASSAR et KOUKA…).
– Combien d’associations créées et subventionnées pour soutenir cette campagne et distribuer les moyens en dehors du RPT ?
Ø Je dénonce le fait avéré que tous les fonctionnaires ont été mis dans l’obligation d’aller faire la campagne de terrain de « celui qui les paie » ? Cette expression prouvant à elle seule la confusion permanente entre les intérêts privés du chef de l’état et sa gestion du pouvoir…
Ø Je dénonce le fait que tous les moyens de l’Etat ont été mis à sa disposition pour sa campagne (fonctionnaires, bâtiments, voitures, carburant…)
Ø Je dénonce le fait que la constitution et le code électoral ont été sans cesse bafoués et violés par ceux-là mêmes qui sont mandatés par le peuple togolais pour les faire appliquer, alors même que l’opposition a parfaitement respecté et soutenu l’ensemble du processus électoral, et a ainsi travaillé à la tenue d’un scrutin serein et à l’apaisement post-électoral, en comparaison des provocations de toutes sortes, des exhibitions provocatrices des « militants » du RPT !
DEMAIN…
Quoi qu’il en soit, l’initiative que nous avons prise lors de cette campagne va radicalement changer la donne politique au Togo : avec le Frac qui a rassemblé des personnalités telles que Abi Tchessa, Dahuku Péré, Jean-Pierre Fabre, Aimé Gogué et moi-même, la démonstration est faite qu’une formation politique peut regrouper en son sein des hommes et des femmes d’origines et d’ethnies différentes. Désormais, le débat politique au Togo ne se fera plus autour de questions ethniques ou régionalistes, mais véritablement sur des idées.
Cette rupture est une vraie avancée pour notre pays puisqu’elle va permettre de se concentrer sur l’intérêt supérieur de la nation.
Aussi je demande au Chef de l’Etat et aux différents Corps d’Etat, en particulier à la Gendarmerie et à l’Armée, de respecter le droit du peuple, en référence à l’article 30 de la Constitution, d’exprimer son désaccord sur le déroulement du scrutin et les résultats annoncés.
Je demande au peuple togolais de manifester son mécontentement dans le calme et dans le lieu de son choix, au cœur de sa capitale comme dans le reste du pays.
Je demande enfin à la Communauté internationale de ne pas abandonner le peuple togolais, car sans sa présence effective, sans son soutien et sans son implication, la paix relative que nous connaissons aujourd’hui serait compromise.
Par Kofi YAMGNANE,
Président de SURSAUT-TOGO,
Lomé le 12 mars 2010