Economie-Passer du transfert des fonds au transfert des compétences [Par Dr Feumba Samen]

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L’apport des migrations au développement politique, économique et social des pays Africains a été maintes fois débattu. Ce sujet comme d’autres qui présente un intérêt pointu ne dégage pas un consensus. Mais plusieurs fourches d’analyse. Ainsi, pour certains, la migration est un facteur d’appauvrissement lié à la perte des compétences dû à la fuite des cerveaux. D’autres par contre considèrent la migration comme une chance pour les pays ‘fournisseurs’ de migrants. Ceci en raison des retours de richesses et de compétences qui accompagnent tout mouvement migratoire.

Volume des transferts vers le Sud

L’estimation des transferts de fonds des migrants, leur volume, leur impact sur l’économie, d’une part, l’augmentation d’autre part en termes de volume des transferts financiers, ont suscité la curiosité des experts des organisations tels que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation internationale des migrations (OIM) et le Fonds international de développement agricole (FIDA). Poussant ces derniers à élaborer des thèses, des théories soutenant des études sur ce phénomène. Leurs résultats servant souvent d’indicateurs d’analyse.

Entre 2000 et 2018, la part des migrants dans la population des pays à haut revenu de l’OCDE est passée de 8.8% à 13.9%. Cette progression est accompagnée d’une augmentation régulière du volume des transferts qui atteignent en 2019 à $550 milliards. Ces fonds au fil des ans sont devenus le principal afflux financier dans les pays à faibles et moyens revenus. Dépassant—selon une étude de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) publié en 2020—, l’aide étrangère, les flux de capitaux privés et les investissements directs étrangers. Le flux de ces transferts vers le Continent, estimés à plus de 5% du PIB dans 15 pays Africains, a presque doublé depuis 2009.

En 2017 cette enveloppe en vers l’Afrique était selon la Banque Mondiale, d’environ $85 milliards. Cette institution dans son rapport publié le 09 Avril 2019 indiquait que $46 milliards avait été transférés vers l’Afrique Subsaharienne en 2018. Soit 9.6 % de plus en comparaison à 2017. Cette hausse constante, depuis 2016 s’explique par la solidité économique des pays à revenu élevés.

Rapport population-fonds

Ces transferts de fonds sont proportionnels à la population d’immigrés d’un pays donné dans les pays à revenus élevés. Les statistiques 2006 du FIDA donnent un aperçu de ce rapport population/volume. Par zone géographique, les principaux bénéficiaires de ces migrations monétaires ont été les pays d’Asie, avec un total de $114 milliards dont 60% de cette manne repartis entre l’Inde, $24.5 milliards, $21 milliards pour la Chine et $15 milliards pour les Philippines. Le Mexique engrange à lui seul $24 milliards sur les $68 ‘convoyés’ en Amérique Latine. $51 milliards est la somme cumulée expédiée dans les pays d’Europe Centrale, du Sud-Est et de l’Est. Dont 14 milliards pour la Fédération de Russie et 8,5 milliards pour l’Ukraine. $30 milliards de dollars sont rapatriés au Moyen Orient. Presque 50% de cette ‘cagnotte’ sont partagés entre la Turquie ($7.5) et le Liban, $5.5. L’Afrique reçoit $39 milliards dont plus de $5 milliards pour l’Algérie, le Maroc et le Nigeria.

Ainsi, des fonds considérables sont rapatriés vers les pays comme le Bangladesh, la Chine, l’Inde, ou le Mexique et la Russie, qui ont une masse de population dont la main-d’œuvre est une ressource exportée. Contrairement à Maurice, Togo, Benin, et d’autres qui n’ont pas cette masse critique humaine.

Part des fonds transférés dans le PIB

Le Nigeria en 2018 occupe la première place du classement des pays en Afrique Subsaharienne qui a attiré le plus de fonds de la part de la diaspora—ès de $24.3 milliards d’après les chiffres officiels. Un peu plus de la moitié des fonds rapatriés par les Africains de l’Etranger. Il est suivi cette année par le Ghana, $3.8 milliards, le Kenya, $2.7 milliards. Ces pays sont suivis par le Sénégal avec $2.2 milliards et le Zimbabwe, $1.9 milliard.

En termes de pourcentage des transferts de fonds de la diaspora par rapport au PIB, les Comores qui se classent 1er avec un taux de 19.1 %. Ils sont suivis de la Gambie (15.3 %), du Lesotho (14.7 %), du Cap-Vert (12.3 %) et du Liberia (12 %).

Les transferts d’argent de la diaspora Africaine à destination du Continent en 2019 était d’environ $85.2 milliards. Soit 12.20% des transferts mondiaux selon la Banque mondiale. L’Egypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie absorbaient 43.15% soit $37.20 milliards des $85.2 milliards. Contre $48 milliards pour l’Afrique Subsaharienne, en baisse de -0.5%. La répartition par pays donnait l’Egypte en tête des pays récepteurs avec 26.8 milliards (8.90% du PIB). Apport direct de sa forte communauté dans les pays du Golfe Arabique, au Royaume-Uni et aux Etats Unis. Suivait le Nigeria ($23.8 milliards soit 5.35% du PIB). Effort de sa diaspora éparpillée dans les pays Anglo-saxons. Venait en 3e position le Maroc $6.7 milliards (5.7% du PIB). Participation de ses ressortissants en France, Italie, Espagne, Belgique, et au Pays Bas, notamment, mais aussi dans les pays du Golfe Arabique. Ces trois pays engrangent à eux seuls 66.50% des transferts de la diaspora Africaine en direction du Continent.  

Le Sénégal au 6e rang avec $2.5 milliards (10.50% du PIB) est le seul pays de la zone FCFA à figurer au top 10 des pays les mieux nantis dans la réception des fonds de leur diaspora. Il est précédé par le Ghana $3.5 milliards (6.11% du PIB), du Kenya $2.8 milliards (2.85% du PIB). Puis suivi de l’Algérie à la 7e place $1.8 milliards (1.00% du PIB). RDC $1.8 milliards (3.90% du PIB), et enfin le Zimbabwe $1.7 milliards (13.50% du PIB). Le $1.3 milliard du Soudan du Sud représentait environ 34.4% du PIB.

Ces chiffres officiels, malgré les outils de mesure des flux financiers de plus en plus sophistiqués, sont sous-estimés. Puisque, du fait de la ponction très élevée pour chaque dollar envoyé en Afrique, la diaspora Africaine utilise les circuits parallèles moins coûteux qui échappent à toute statistique.  Cette ponction était de 8.5% au troisième trimestre 2020, en léger repli (9%) par rapport à 2019 pour l’envoi de $200. Faisant du Continent la région la plus chère par rapport au reste du monde.

Impact économique  

Qu’à cela ne tienne, l’impact positifs de ces transferts s’observe tant sur l’économie en général, que sur les individus et les ménages. A cet effet, une étude de la Banque de Luxembourg indique que 75 % de l’argent transféré est utilisé pour les dépenses courantes, 8 % pour des projets immobiliers, 5 à 8 % pour des dépenses de santé urgente, 5 % pour des projets économiques et familiaux et enfin 5 % pour des aménagements collectifs. D’autre part, ces transferts sont plus stables que les investissements étrangers.

En plus ils sont un apport sûr lors des crises économiques ou des catastrophes. Par ailleurs, les transferts en devise contribuent à améliorer les réserves de change et la balance des opérations courantes de nombreux pays récepteurs.

COVID-19 infecte les transferts

Cette contribution sociale et économique va être freinée par le COVID-19 au moment où les transferts des migrants à travers le monde ont dépassé en 2019 la barre des $700 milliards pour s’établir à 707 milliards (+ 3.5% par rapport à 2018). L’estimation pour 2020 qui prévoyait une hausse de 4.6% par rapport à 2019 pour atteindre $739 milliards ne sera pas atteinte.Les prévisions de la Banque Mondiale annoncent au contraire une baisse drastique des transferts en 2020 et 2021. Recul qui touche toutes les régions du monde. Ce déclin pour les deux années consécutives est l’ordre de 16 et 8% pour l’Europe et l’Asie centrale, l’Asie de l’Est et le Pacifique (11 et 4%), le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (8% pour les deux années), l’Afrique subsaharienne (9 et 6%), l’Asie du Sud (4 et 11 %), et l’Amérique latine et les Caraïbes (0.2 et 8 %).

‘Le COVID-19 a gravement affecté les envois de fonds vers l’Afrique, qui seront revus à la baisse de 21% en 2020, soit $18 milliards de moins pour les personnes qui en dépendent.’ A déclaré Stephen Karingi, Directeur de la Division de l’Intégration Régionale et du Commerce (RITD) de la CEA.Qui précise. ‘Alors que le monde entre dans une récession économique incomparable, les gouvernements du monde entier devront prendre des mesures efficaces pour faciliter et stimuler les envois de fonds afin de soutenir la lutte contre le COVID-19 et, à terme, de bâtir un monde post-pandémique plus durable.’

Une enquête menée en France par Ipsos-RMDA du 23 Juillet au 7 Août auprès de 500 personnes ‘issues des diasporas Africaines en France, dont au moins 75 % envoyaient de l’argent, en particulier vers l’Afrique subsaharienne,’ révèle que les fonds transférés en Afrique par la diaspora en France ont chuté de 25 % en 2020. Cette étude confirme celle générale publiée par la Banque Mondiale en Avril 2020 qui indiquait que les fonds transférés s’évalueraient à $445 milliards en 2020 contre $554 milliards en 2019. Cette chute s’explique par ‘une baisse des revenus et de l’emploi des travailleurs migrants, qui ont tendance à être plus vulnérables lors d’une crise économique dans un pays d’accueil.’ Analyse l’institution.

Changer de paradigme

Ces chiffres indiquent que ces apports sont une contribution certes. Mais ils ne sont pas suffisamment significatifs pour avoir un impact conséquent sur la relance économique ou contribuer d’un pourcentage conséquent au PIB. La réduction du volume des transferts par le COVID-19 révèle que cette méthode de ‘financement’ social et économique ne tient pas sur des piliers solides capables de booster l’économie. Et peut être éprouvée même par de simples conflits sociaux. Face à ce constat, la diaspora devrait sortir de son confinement d’agent de transfert de fonds pour devenir une source de ‘transferts de compétences, de savoirs, d’idées et de valeurs’ vers son pays d’origine.

Cet énoncé de l’OCDE en 2019 est la démarche du Professeur Emérite Pascal Kokora. S’appuyant sur la masse Ivoirienne à l’étranger qui « sont 558.000` au Burkina Faso, 188.000 au Mali, 99.000 en France, 73.000 au Ghana, 34.000 au Bénin, 31.000 aux États-Unis, 30.000 en Italie, 20.000 au Liberia, 13.000 en Angola, 12.000 au Canada, 8.000 au Royaume-Uni et en Guinée-Conakry, 6.000 en Belgique et au Togo, enfin 4.000 en Suisse et Allemagne » défend la thèse de l’exploitation ‘transferts de compétences, de savoirs, d’idées et de valeurs,’ il affirme que ces derniers pourrait créer des pôles d’investissements diversifiés.

Cette approche vraie pour toute la diaspora Africaine ne consiste pas à démanteler le créneau non-négligeable du transfert des fonds. Mais à ouvrir de nouvelles vannes d’investissement qui impacteraient positivement le système économique Africain. Cette démarche devrait s’orienter vers des projets ambitieux qui initient une mutation systémique, transforment les pans de l’économie, créent des industries, transforment la production locale, revalorisation de la culture Africaine sans trahir l’essence de sa tradition. Ceci passe par une rééducation de l’Africain et son re-attachement à ses racines. Procéder de cette manière permettra d’aller au-delà des $20 annuel par habitant—contre $60 pour le reste du monde—que reçoivent les Africains à travers les transferts des fonds.

Leçon Mauricienne

Ce schéma, la diaspora Mauricienne l’expérimente. Elle a développé des pôles d’investissement internes à travers le ‘Global business.’ D’autres nations sous-peuplées devraient faire autant en visant des créneaux porteurs en direction de l’Afrique. Une sorte de transfert-panafricaniste de compétence.  

Comme credo à ce jeu économique le Pr. Kokora reprend à son compte John Fitzgerald Kennedy lors de son discours d’investiture le 20 Janvier 1961. « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Un enseignement à pratiquer par la diaspora Africaine.   

Dr Feumba Samen

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