Dr Yves Ekoué Amaïzo explose avec …

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Dr Yves Ekoué Amaïzo explose avec les privatisations : C’est comme si le gouvernement voulait introduire le virus de la maladie d’Alzheimer dans le système bancaire togolais

Lynx.info : Les lecteurs du Lynx sont curieux. C’est quoi les Avoirs toxiques et comment arrive-t-on à les retrouver dans une banque ?

Dr Yves Ekoué Amaïzo : Expliquer en fait la crise financière en deux lignes n’est pas responsable. Si vous le permettez, je vais développer pour permettre à vos lecteurs de bien comprendre le phénomène et savoir qu’en Afrique, ces avoirs toxiques sont souvent l’œuvre de gouvernements irresponsables et qui organisent l’impunité.

Vous dites « avoirs toxiques », mais il est plus exact de parler d’actifs toxiques. En fait,  une entreprise peut détenir une créance dans ses comptes. Lorsque pour une raison ou une autre, elle ne peut obtenir le paiement de cette créance, on parle de créances douteuses, voire irrécouvrables dès lors que la récupération effective de ces créances est totalement compromise. Si l’entreprise cède cette créance à une banque par exemple sans préciser qu’il s’agit en fait d’une créance douteuse ou irrécouvrable, cette entreprise cède en fait un actif dont la réalisation est fortement comprise au plan financier. Mais cela peut servir en politique ou en stratégie. Il arrive qu’une institution financière, du fait d’une mauvaise gestion à savoir non prudentielle, se retrouve avec plusieurs actifs irrécouvrables dans ses comptes. Dès lors que l’institution financière ou l’entreprise n’arrive plus à céder ces actifs de mauvaise qualité sur le marché, il faut parler d’actifs toxiques.

Un actif toxique est donc un actif financier que l’on n’est plus en mesure de vendre car le marché le refuse, considérant cet actif comme sans valeur, pire susceptible de créer des dettes supplémentaires. Ces produits financiers ne sont plus liquides, c’est-à-dire ne représentent plus rien sur le marché. C’est donc une perte pour le détenteur de cet actif toxique. L’astuce ou la ruse consiste à céder cet actif à d’autres tout en sachant qu’il s’agit d’un produit sans valeur ou créateur d’endettement supplémentaire. Mais le problème se complique lorsque cet actif se trouve parmi un lot d’actifs que l’on ne peut séparer. Cela peut rendre l’ensemble du lot d’actifs suspect, ce qui pourra créer une décote lors de la vente ou carrément conduire à un refus du marché d’acheter tout le lot. La vente qui aurait dû être impossible par une véritable régulation des marchés est permise dans un marché libre qui accepte la dérégulation. C’est ainsi que ceux que l’on appelle les „zinzins“ pour les investisseurs institutionnels notamment les banques et les fonds de placement (fonds de pension ou autres) ont été surpris par les comportements les moins éthiques sur les marchés et se sont retrouvés, à force de chercher le gain facile et des rentabilités élevées, avec des portefeuilles d’actifs remplis partiellement ou par lots d’actifs toxiques, parfois sans s’en rendre compte. Lorsqu’ils ont voulu les replacer sur le marché, la valeur de ces actifs détenus était près de zéro, ce qui correspond à des pertes sèches importantes.

Ce fut le cas des « subprimes » et des crédits hypothécaires liés à des crédits octroyés à des ménages incapables structurellement de rembourser et ayant obtenu des garanties en cascade avec des sociétés d’assurance aux Etats-Unis. Il s’agit là d’un défaut de régulation typique qui a ébranlé le système bancaire et financier américain et par contagion le monde avec la crise de 2007-2008 comme je l’explique dans mon livre  Crise financière mondiale. Des réponses alternatives de l’Afrique. Voici comment ces actifs toxiques se retrouvent dans les comptes des banques ou d’entreprises. Il faut alors provisionner pour couvrir les pertes et souvent, en réaction, le marché déprécie la valeur de l’action de la banque ou de l’entreprise concernée. C’est souvent la faillite comme Lehman Brothers (banque d’investissement multinationale offrant des services financiers à haut rendement), entraînant une crise systémique ou une crise en cascade, un acteur majeur entraînant de nombreuses autres entités liées par des engagements interdépendants.

Au lieu de stopper la dérégulation, le système américain qui sert de modèle s’est contenté de faire du replâtrage en votant le Plan Henry Paulson,  Secrétaire au Trésor des États-Unis (en accord avec le Président de la Réserve fédérale des États-Unis, Ben Bernanke) uniquement pour permettre l’achat par l’Etat des actifs toxiques détenus par les investisseurs institutionnels pour sauver l’épargne des populations. Mais ceci s’est fait avec l’argent des contribuables, faisant de l’Etat le payeur en dernier ressort. Les pays européens ont suivi cette approche. L’Etat, en fait, accorde un prêt en achetant provisoirement et à une valeur dépréciée l’actif toxique pour que le système financier ne s’effondre pas. L‘Etat espère ainsi que les entreprises ou banques concernées retrouveront le profit au cours d’une période fixée d’un commun accord (en principe moins de 5 ans) et devront rembourser le prêt à l’Etat. Si tout marche bien, l’Etat peut même faire un bénéfice et les pertes sont effectivement supportées par la banque ou l’entreprise. Entretemps, il est demandé à la banque ou l’entreprise de faire des apports substantiels en fonds propres, une importante augmentation de capital, c’est ce qu’il faut comprendre par « recapitalisation ». En réalité, les grandes banques, parfois avec le soutien de l’Etat, finissent par acheter les banques défaillantes d’où une concentration assez phénoménale des banques et des orientations de plus en plus tournées vers la satisfaction de l’actionnaire aux dépens parfois des simples épargnants.

Lynx.info : Le pouvoir de Faure dit vouloir en finir avec les Avoirs toxiques en privatisant toutes les banques. Pour l’économiste que vous êtes, c’est une initiative salutaire ?

YEA : En Afrique, vous trouverez plus souvent des créances irrécouvrables provenant des défauts de paiement de l’Etat ou des entreprises publiques dans les comptes des banques de la place. Si la banque ne peut plus faire face, elle est virtuellement en faillite et l’Etat peut se porter comme payeur en dernier ressort. On peut alors parler d’avoirs toxiques que l’Etat se charge de « récupérer » afin d’assainir les comptes d’une banque où il est actionnaire majoritaire avant de les céder dans le cadre d’une privatisation. C’est ce qui se passe au Togo avec quatre principales banques de la place que le Gouvernement avait nationalisées et, par sa mauvaise gestion indirecte et ses refus de paiement de ses dettes, a réussi à en plomber le bilan. Donc avant de parler de privatisation, il y a eu nationalisation des banques. Au cours de la période de gestion avec l’Etat, aucune des banques n’a pu retrouver une marge de manœuvre et une indépendance. Donc l’Etat a été mauvais gestionnaire et personne ne semble avoir été puni. Ainsi la privatisation non seulement équivaut à faire payer l’ensemble des citoyens togolais lorsque l’Etat conserve l’essentiel des dettes des banques (que l’Etat lui-même a contribué à créer), mais l’Etat valide l’impunité en ne rendant personne responsable. Dans le cas de la Société nationale d’investissement (SNI), ce fut la fermeture pure et simple compte tenu du niveau des dettes.

Alors, s’agit-il d’une initiative salutaire ? Certainement mais pour qui ? C’est salutaire dès lors que l’on sort l’Etat de la gestion d’une banque, surtout quand cet Etat n’est pas un modèle de vertu en matière de gouvernance et de gestion. Mais c’est ce même Etat qui peut refuser de payer une fois la privatisation effectuée… Compte tenu de la capacité d’influence des nouveaux propriétaires des banques, la seule différence cette fois-ci sera que l’Etat pourra être trainé devant des tribunaux internationaux pour défaut de paiement en cas de contentieux entre la banque privatisée et l’Etat togolais. Aujourd’hui, certains responsables de banques togolaises se sont retrouvés dans les prisons togolaises pour avoir voulu rappeler les règles de bonne gestion… d’autres avaient choisi de s’aligner sur les desiderata du Gouvernement non sans en subir les foudres sous forme de bouc-émissaires en dernier ressort…

Mais si les finances publiques de l’Etat ne peuvent pas payer la dette transférée de la Banque en privatisation sur l’Etat, alors cette dette restée impunie viendra augmenter la dette de l’Etat togolais. Cela est d’autant plus facile maintenant que le Togo a obtenu récemment un effacement de sa dette de plus de 60 %, ce qui ouvre de nouvelles possibilités pour le Togo de s’endetter et de payer plus tard. Les Gouvernement de Etienne Gnassingbé Eyadéma ont largement à l’introduction d’actifs toxiques et irrécouvrables dans les comptes des banques nationalisées togolaises. Les Gouvernements de Faure Gnassingbé s’appliquent à faire du bénéfice en transférant l’essentiel des dettes sur le compte de l’Etat togolais en réduisant d’autant sa marge d’endettement. Mais à terme, c’est le contribuable togolais qui devra payer. Lors de la vente des quatre banques publiques, le Gouvernement espère faire des bénéfices. Aussi, on peut dire que le Gouvernement togolais est un partisan de la privatisation des bénéfices et un adepte de la socialisation des pertes en s’assurant que les principaux responsables restent impunis, compte tenu des liens dans les réseaux ésotériques locaux et internationaux.

Donc, oui c’est une initiative salutaire que de privatiser mais il aurait fallu ouvrir de manière obligatoire au moins 33 % des actions à des participations des Togolais notamment ceux de la Diaspora. Cela aurait permis d’avoir une minorité de blocage, ce qui permettrait d’orienter ces banques vers les besoins des populations. L’achat par des banques de la sous-région ou d’ailleurs très versées dans la rentabilité à court-terme, pourrait indirectement neutraliser le financement des entreprises et des industries et donc la création d’emplois. En 2009 selon la Banque mondiale (WB, WDI 2011 : 272), 16,9 % seulement des entreprises utilisent les services des banques pour financer leur investissement. En réalité, les banques locales ne sont pas prêteuses aux entreprises. Peur de prendre des risques ? Rejet de leur direction ? Refus d’accompagnement des entreprises notamment de transformation des produits locaux ? Oui, tout cela à la fois ! Il suffit de savoir que pour la même année, les banques locales n’ont soutenu l’économie locale en fournissant du crédit qu’à hauteur de 30,2 % du produit intérieur brut. En comparaison, la moyenne de l’Afrique subsaharienne était de 78,5 %. L’Afrique du Sud octroyait des crédits à hauteur de 183,5 % du PIB, la Tunisie, 75,2 % du PIB, le Nigeria à 35,9 % du PIB, le Bénin, 19,1 %, le Ghana 27,9 % du PIB et le Burkina-Faso, 15,2 % du PIB (WB, WDI 2011 : 282). Les autorités togolaises aiment trop se comparer à plus faible que soi. La privatisation des banques togolaises serait une initiative salutaire si le Gouvernement pensait d’abord aux citoyens togolais en réservant au moins 33 % des actions aux Togolais et à leur Diaspora sous forme d’actions privilégiées d’environ 100 euros l’action. L’engouement aurait été naturel avec un sentiment de réappropriation des outils financiers du pays que les 2 Eyadémas (père et fils) ont réussi à mettre par terre avec un système de nationalisation qui a enrichi plusieurs dignitaires locaux restés impunis. La privatisation va permettre de « tout » oublier en termes de responsabilité de la mauvaise gouvernance. C’est comme si le gouvernement voulait introduire le virus de la maladie d’Alzheimer dans le système bancaire togolais. Sauf que cette fois ci, les citoyens togolais sont vaccinés et ont la mémoire longue.

Beaucoup de Togolais sont étonnés de voir que ce sont toutes les banques étatiques qui sont à privatiser. Y a-t-il une explication à cela ?

Il n’y a rien d’étonnant à voir des banques nationalisées par l’Etat Eyadéma père se retrouver à être privatisées sous l’Etat Eyadéma fils. Face à la mauvaise gestion de l’Etat d’une structure financière qu’est la banque, il n’y a pas d’autres alternatives que de sortir l’Etat du capital des banques nationalisées et toutes en faillite. L’impunité reste de rigueur et rien ne garantit que les mauvaises pratiques passées disparaîtront parce qu’il y a eu privatisation. Je rappelle qu’il ne s’agit en fait que d’un transfert de propriétaire du public vers le privé et tout reste à faire en matière de gestion et retour de la rentabilité de ces institutions, surtout qu’entre temps d’autres banques privées ont pris la place laissée vide… Il n’est pas impossible qu’à terme, l’on aille vers des concentrations d’institutions financières au Togo compte tenu de l’étroitesse du marché, à moins que certains établissements ne se spécialisent dans d’autres activités non existantes sur le marché actuellement.

Lynx.info : On parle des banques de la sous-région qui seraient intéressées. N’y a-t-il pas le risque qu’elles viennent comme sous-traitantes des banques européennes et particulièrement françaises ?

YEA : Le risque est toujours là de voir la préférence donnée aux Banques françaises ou européennes qui détenaient pour l’essentiel la plupart de ces banques à privatiser. Mais si mes informations sont exactes,  le processus de privatisation démarré en 2008 a eu du mal à se concrétiser car l’Etat togolais croyait que des investisseurs allaient acheter les banques avec les actifs toxiques dont l’Etat était pour l’essentiel le principal responsable. Une fois ces actifs toxiques repris par l’Etat, les banques « propres » deviennent intéressantes. C’est ainsi que plus de 13 repreneurs ont manifesté leurs intérêts en septembre 2011 et une dizaine de candidats sérieux seront sélectionnés et devraient ainsi être retenus pour la première pré-qualification. Ensuite, l’appel d’offre prévoit que les pré-qualifiés devront proposer une offre technique et financière. En réalité, plusieurs banques de la sous-région sont sur les rangs comme Afriland First Bank, Ecobank, Bank Atlantique Côte d’Ivoire, Attijariwafa Bank, BGFI Bank, etc. mais il y a aussi les banques nigérianes et plusieurs de ces banques peuvent avoir comme actionnaires les banques européennes et françaises qui pour beaucoup choisissent de faire profil bas en Afrique tout en restant dans  les conseils d’administration par intermédiation.

Lynx.info: Les analystes voient un probable ré-endettement de l’Etat Togolais depuis le satisfecit du FMI. C’est aussi votre avis ?

YEA. Avant de parler de ré-endettement, il faut parler d’effacement de la dette togolaise. Il faut savoir que la dette extérieure togolaise est tombée de 61,6 % de la richesse nationale (produit intérieur brut (PIB)) en 2008 (FMI, Rapport par pays 2011 : 60) à 19,1 % en 2010. C’est ce même FMI qui estime que d’ici 2021, cet endettement sera remonté à 27,4 % du PIB si les arbitrages du Gouvernement sont bien faites, donc une bonne gouvernance. Ce que le FMI semble avoir oublié est la capacité du gouvernement, à travers la privatisation des banques et demain de certaines entreprises publiques, à intégrer la dette intérieure dans l’ensemble de la dette extérieure. Le désendettement extérieur va permettre un ré-endettement de l’Etat par l’absorption des « avoirs toxiques intérieurs », concédés par les gouvernements successifs des Eyadéma.
Ce petit jeu devrait réduire la capacité d’endettement nouvelle du Gouvernement assez rapidement et faire que d’ici 2020, le Togo n’ait déjà atteint à nouveau les montants d’endettement de 2008. D’ici là, le FMI et les pays occidentaux viendront assurément proposer encore un effacement de la dette du Togo avec son cortège d’impunité. Qui peut encore oser parler d’éthique dans la finance ou dans la banque au Togo ? Qui peut parler de régulation alors que désendettement signifie transfert de propriété par la privatisation à des forces étrangères qui vont contrôler les principaux poumons économiques du Togo et décider qui aura du crédit et qui n’en aura pas…

Je partage donc l’avis des analystes et économistes qui estiment qu’il y aura rapidement un ré-endettement de l’Etat togolais. Mais au lieu de parler de satisfecit du FMI, il faut plutôt se poser la question « Qui est derrière l’allégement de la dette togolaise ? ». Car le pays qui a le plus accepté de « perdre » ses créances sur l’Etat togolais sera aussi le même à « exiger » discrètement de gagner les principaux marchés de la privatisation au Togo, en s’affichant :
• directement avec les entreprises privées provenant du pays créanciers, ou
• indirectement par l’intermédiaire d’institutions financières ou bancaires entrant majoritairement dans le capital de sociétés ou banques togolaises privatisées.

Dans tous les cas, le peuple togolais sera mangé, sans piment, à une sauce privatisée. Une autre forme de dépendance vis-à-vis d’entreprises extérieures au Togo commence avec à terme une perte de souveraineté. Une bonne gestion de ces banques, lors de la période où elles étaient nationalisées, aurait permis aujourd’hui des regroupements bancaires. Le Togo aurait eu une ou deux grandes banques togolaises qui brilleraient dans la sous-région sinon au-delà comme certaines banques nigérianes ou marocaines. Mais c’est trop demander à ceux qui ont nationalisé l’impunité et « privatisé » dans un cercle restreint la distribution des profits, parfois peu éthiques tirés de ces banques togolaises. La nationalisation selon Eyadéma père et fils se résume à un désastre économique pour le peuple togolais. Seule la vérité des urnes pourrait permettre de changer de système économique. Il ne s’agit plus là d’économie mais de politique. Privatiser ou nationaliser, tant que cela ne profite pas au Peuple togolais, est une gageure pénalisant d’avance les choix stratégiques au service des intérêts collectifs du Peuple togolais.

 Interview réalisée par Camus  Ali Lynx.info

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