Crise Ivoirienne : L’amalgame avec un hypothétique « déjà vu »

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Crise Ivoirienne : l’amalgame avec un hypothétique « déjà vu » a brouillé la lecture des faits à certains démocrates de bonne foi.

L’hypothétique « déjà vu » en question consiste au raccourci suivant :  » un candidat de l’opposition gagne une élection et le régime en place commet un hold-up pour se maintenir au pouvoir « .

Un tel raisonnement plaqué sur un schéma auquel nous avons été habitués en pays françafricains en particulier, est irrésistible pour certains démocrates de bonne foi (sans ignorer les autres), surtout avec l’aide d’un matraquage médiatique sans précédent pour une élection africaine, matraquage manifestement préparé à l’avance.

Il faudra peut être encore un peu de temps à certains pour comprendre ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Il faudra du temps à ces personnes pour se rendre compte de l’inversion du schéma dans le cas de Côte d’Ivoire : la fraude et le hold-up en faveur challenger de l’opposition.

Mais combien de temps encore ? Cinquante autres longues années avec un autre film sur, non pas la françafrique mais la mafiafrique, c’est à dire la françafrique ultra mondialisée ?

Pourtant, nul besoin d’être sorti major de Sciences Po pour comprendre le schéma ultime de négation de la souveraineté des pays africains et le maintien du continent dans le néant, déroulé sous nos yeux par l’exécutif et les réseaux militaro-affairistes français, soutenu par leurs associés d’Europe et des USA.

Et c’est l’expérience dans d’autres pays qui parle pour nous, en particulier celle du Togo, mais expérience utilisée à l’envers en Côte d’Ivoire pour le poulain challenger.

1. Verrouiller par tous les moyens, en particulier armés, une partie du territoire

D’où le refus du désarmement des rebelles de la partie nord de la Côte d’Ivoire, refus soutenu par la françafrique et ses associés de l’ONU.

Ce verrouillage avait été déjà expérimenté à chaque occasion électorale dans la partie nord du Togo, ultra militarisée par le régime françafricain des lieux.

Bien entendu, dans l’autre partie laissée libre  à la compétition, tous les candidats peuvent concourir normalement et obtenir des scores honorables.

2. Dans la partie verrouillée, relativement à l’abri des regards, on fait ce que l’on veut…

Intimidation des militants et des électeurs, violence armée, vote de non-inscrits, chasse aux représentants du camp adverse dans les bureaux de vote afin de falsifier les PVs, bourrage, menace sur les observateurs, etc.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, même des observateurs européens ont dû être exfiltrés en catastrophe des zones rebelles en raison de menaces sur leur sécurité…

2.1 Gonflement des listes électorales :

– Au Togo le gonflement des listes électorale est passé comme « une lettre à la poste » (cf. les travaux minutieux de l’organisation Synergie-Togo).

– En Côte d’Ivoire, ceci a été limité dans un premier temps en amont par la vigilance du camp d’en face (ici c’est l’inverse, c’est le camp Gbagbo au pouvoir), qui a pu déceler et empêcher l’ancien président de la CEI d’ajouter plusieurs centaines de milliers de faux électeurs aux listes (on se souvient de cet incident qui a conduit au changement du président de la CEI). Mais en aval, c’est ce qui, manifestement, a été tenté d’être rattrapé à travers le gonflement du taux de participation, taux autour duquel les esprits avertis s’interrogent …
 
2.2. Votes et Procès verbaux fantaisistes :

– Au Togo, les PVs fantaisistes ont passé comme « un couteau dans du beurre », personne n’a pu contrôler le dépouillement et faire la confrontation de ces PVs. Et pour couper court, la FOSEP (Force Sécurité Election Présidentielle), « gendarmerie » électorale spéciale équipée et entraînée par l’armée française, est allée cambrioler les PVs dans le QG de l’adversaire pour effacer toute preuve et éviter toute confrontation. Et ceci, au vu et au su de l’insaisissable « communauté internationale » et en particulier des parrains françafricains.

– Mais en Côte d’Ivoire, les votes et procès verbaux fantaisistes ont du mal à passer car le camp d’en face, celui de Gbagbo n’est pas du « beurre ». Le fait d’être celui qui se trouve au pouvoir a permis d’équilibrer un tant soit peu les forces par rapport au camp militaro-affairiste français, des institutions internationales d’argent et de la rébellion armée.

Comme au Togo, le camp de la françafrique refuse la confrontation des PVs et un recomptage transparent et indépendant.

 Le seul hic c’est que, contrairement au Togo où, ayant le pouvoir de son côté, la françafrique était toute puissante et pouvait faire cambrioler les PVs chez l’adversaire, en Côte d’Ivoire, ils ne sont pas (encore) en mesure d’aller opérer de même dans le QG de Gbagbo.

Ce dernier peut ainsi exhiber à souhaits les faits qui parlent d’eux mêmes : environ 2200 PVs fantaisistes issus des zones rebelles, soit plus de 10% des PVs, rejetés par la machine de dépouillement …

Par ailleurs on se souvient qu’à quelques jours seulement du scrutin (1er tour), la CEI, contrôlée à plus de 80% par le camp de la Françafrique et sous prétexte de ne pas faire confiance à l’ordinateur de dépouillement, avait insisté à ce que ce dépouillement soit manuel et non électronique, ce qui a été « tranché » par un compromis de dernière minute stipulant un double décompte manuel et électronique. Mais on est en droit de se demander si cette manoeuvre de dernière minute de la CEI n’était pas en anticipation de ces PVs falsifiés issus des zones rebelles qui allaient être rejetés par l’ordinateur ?

Finalement, on a vu le résultat, entre autre les 2200 PVs sans prise sur la réalité, des scores à la soviet, l’impossibilité pour la CEI de statuer dans les délais sur ces PVs que certains membres pro-Ouattara ont voulu faire passer en force, occasionnant la réaction de l’autre camp que le monde entier a vu à la télé (épisode entre MM. Damana et Bamba).

C’est donc plutôt l’ampleur des fraudes qu’il faut incriminer dans la non publication des résultats par la CEI et non l’empêchement par le camp Gbagbo qui ne pouvait que s’opposer à la publication de données fausses et non encore élucidées.

Conséquence : a donc été pris qui croyait prendre. L’ampleur des fraudes ayant empêché la publication des résultats par la CEI, au grand dam des organisateurs et des bénéficiaires de ces actes.

3. Autres éléments de brouillage en Côte d’Ivoire

– Le score « douillet » de 54% attribué à Ouattara ne devrait pas nous influencer, mais c’est hélas le cas pour bon nombre. Nous pourrions pourtant nous rappeler qu’en françafrique, on « gagne » rarement avec un score étriqué. Au Togo par exemple, Gnassingbé fils n’a jamais été déclaré « vainqueur » avec moins de 60% !

Au fait, au lieu d’un véritable score, il s’agit là d’un élément de communication sorti des « laboratoires électoraux » de la nébuleuse pour forcer le raisonnement suivant dont ils se délectent à merveille : « l’écart est tellement grand qu’aucune réclamation ne serait en mesure d’inverser le résultat… »

– L’addition simple des voix du premier tour : d’autres démocrates de bonne foi font également un raisonnement trop rapide basé sur une pure addition des voix de Bédié et de Ouattara au premier tour pour conclure que M. Ouattara ne peut que gagner. C’est ignorer ou faire l’impasse volontaire sur l’abstention au second tour d’une partie des votants de Bédié et sur le fait que parmi ceux de Bédié qui ont voté à ce second tour, une certaine répartition s’est faite entre les 2 candidats malgré l’appel au report de voix, et ce en raison de l’histoire et la sociologie politique du pays. Rappelons que le taux réel de participation du second tour est d’environ 70%, tout autre chiffre tardif et opaque n’étant que le résultat des forcings mentionnés plus hauts.

– L’élection en Côte d’Ivoire, un schéma habituel, « évident » ? :  » un candidat de l’opposition, gagne une élection et le régime en place commet un hold-up pour se maintenir au pouvoir « .
Un tel raisonnement est irrésistible pour certains démocrates de bonne foi, surtout avec l’aide du matraquage médiatique, manifestement préparé à l’avance.

C’est sans doute la raison pour laquelle M. Odinga, premier ministre Kényan et médiateur de l’UA avait pris une position extrême dès les premiers jours de la crise, il devait certainement croire y voir son propre cas qui se serait produit lors des dernières élections présidentielles Kényanes.

Par ailleurs, nous voyons bien comment les plus zélés pour l’usage de la force contre le régime Gbagbo se calment dès qu’ils vont sur place et se rendent compte des faits. C’est le cas par exemple de M. Odinga, médiateur de l’UA.

 

Mais depuis que M. Odinga est allé sur place, on entend de moins en moins le message de la force, chez lui-même comme à l’UA. Cependant, nul n’ignore les pressions auxquelles M. Odinga doit certainement faire face de la part de la nébuleuse. Il sera bien obligé de suivre la feuille de route de cette nébuleuse et de réciter sa leçon, même s’il n’appelle plus depuis à l’intervention armée (jusqu’à quand ? ..).

– Une certaine opacité des enjeux : la maîtrise très insuffisante de l’immensité des enjeux en Afrique et notamment en Côte d’Ivoire, voire une perception totalement erronée, ne permet pas au démocrate de bonne foi d’anticiper les évènements ou à défaut de les comprendre une fois qu’ils surviennent.

 Malgré une certaine percée de la lumière due aux médias alternatifs, cette opacité et l’inversion de la réalité entretenue par les médias dominants empêchent encore le citoyen lambda d’Afrique ou d’ailleurs de mesurer à quel point l’occident et en particulier l’Europe repose sur le dos de l’Afrique depuis plusieurs siècles. Or c’est toujours l’enjeu qui détermine la détermination. C’est pourquoi ceux qui ne comprennent pas ce que représente le continent, ceux qui, par exemple, accordent naïvement une valeur aux déclarations hors contexte et fantaisistes selon lesquelles  » l’Afrique ne représente que 2% de l’économie mondiale « , sous-estimeront toujours le degré d’implication de l’exécutif et des réseaux militaro-affairistes français, ainsi que leurs limites, s’il y en a, dans ce conflit. Croyant qu’il n’y a pas d’intérêt suffisant à s’impliquer autant, surtout pour une Côte d’Ivoire qui n’est qu’une petite parcelle d’Afrique… Or cette dévalorisation de l’Afrique fait partie des stratégies de détournement du regard des africains, des français et des citoyens du monde sur les enjeux véritables qui sous tendent les convulsions du continent.

 

De même certains démocrates prendront pour simple entêtement d’un « dictateur » la persistance de Laurent Gbagbo qui se retrouve malgré lui face à l’un des plus grands défis vitaux du 21e siècle, pour la Côte d’Ivoire et plus largement pour l’Afrique.

 L’opacité du masque dont se couvre la françafrique et le renouvellement perpétuel de ses méthodes a fini de brouiller l’esprit d’un certain nombre de démocrates dont la vigilance n’est pas à la mesure des enjeux ; certains croyant d’ailleurs que le système est mort. Ils risquent de se sentir une fois encore désabusés, s’il leur arrive de se « réveiller » un jour.

Les enjeux en Afrique et leurs relations avec le monde peuvent faire l’objet de plusieurs tomes de Géopolitique, d’Economie, de Culture et d’Histoire mondialisées… Nous ne manquerons pas d’y revenir.

– L’implication des USA d’Obama aux côtés de la françafrique en Côte d’Ivoire ne doit pas non plus nous distraire par rapport au centre principal de déstabilisation de ce pays qu’est Paris, déstabilisation commencée depuis au moins 8 ans. Certains « Obamaniaques » se rangent par réflexe et sans discernement derrière la position officielle des USA à cause d’Obama, érigé en « chantre de la démocratie en Afrique » après son discours d’Accra au Ghana. En réalité, cette implication des USA est moins forte qu’il n’y parait et procède plutôt à la fois d’une stratégie unitaire pour, d’une part, contrer les puissances rivales de l’Est et les pays émergeants du Sud (Chine, Russie, Inde, Brésil, ..) et, d’autre part, de la reconnaissance réciproque à la France pour son engagement en Afghanistan. Sans oublier les efforts de lobbying et de manipulation exercé par la françafrique auprès du nouvel exécutif américain, encore peu averti des desseins inavoués de cette françafrique en Afrique.

4. En résumé :

En fin de comptes, ce sont les habitudes établies qui brouillent le plus l’esprit de certains démocrates de bonne foi dans cette affaire de Côte d’Ivoire. En effet, nous sommes habitués aux hold-up électoraux opérés en faveur des pouvoirs en place. Mais nous oublions ou négligeons un aspect fondamental que pour ces cas : les pouvoirs en question sont ceux placés et maintenus par l’exécutif et les réseaux militaro-affairistes français. Or dans le cas actuel de la Côte d’Ivoire, le régime en place est arrivé comme par effraction aux mailles du filet de cette françafrique ; le système cherchant en vain depuis 2002 à le « dégommer ».

Toutes les tentatives précédentes ayant échoué (coup d’Etat, manipulation des instances africaines et de l’ONU pour mettre le pays sous tutelle, mitraillage des ivoiriens, etc), l’ultime schéma, celui qui se déroule actuellement sous nos yeux est celui du hold up électoral « à l’envers » : un hold-up qui n’est plus en faveur du régime en place, considéré comme « incontrôlable » voire ennemi, mais plutôt pour le poulain de l’opposition.

Rien de plus compliqué que ça.

Kofi Alouda

Analyste géopolitique à La Plateforme Panafricaine.

kofialouda@gmail.com

 

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