Crise électorale en Côte d’Ivoire ou une élection dévoyée ?

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Après la salve de critiques de la posture de la Communauté internationale dans la grave crise postélectorale ivoirienne et la dénonciation d’un soi-disant complot ourdi contre leur champion, la raison semble avoir prévalu dans le camp du Président Gbagbo où l’on réclame désormais le recomptage des voix par le biais des avocats MM VERGES et DUMAS! Est-ce enfin la reconnaissance de la duperie des suffrages des ivoiriens ? Quid alors des décisions inattaquables du Conseil Constitutionnel ivoirien ?

La tournure actuelle des évènements met à nu l’empressement contre-productif de certaines élites africaines hérissées par toute posture française, fût-elle de bon aloi. Il apparait au fil des jours qu’elles se sont fourvoyées en soutenant, au détriment de la vérité des urnes, Laurent Gbagbo parrain d’une hypothétique lutte contre la Françafrique.
De toute façon, elles ont fait preuve de peu de rigueur dans les analyses en établissant un lien de causalité certain entre les enchevêtrements géopolitiques et la défaite électorale du Président sortant Gbagbo ainsi que son départ subséquent et logique du pouvoir exigé par la communauté internationale unanimement avec les instances sous-régionales et continentales!

Est-il nécessaire de préciser que les États sont à la continuelle recherche de la puissance et de leurs intérêts égoïstes et que la France à travers sa sangsue institutionnelle dénommée la Françafrique se bat pour ses intérêts ? Est-ce la lutte ou la fin de la Françafrique qui constitue la problématique centrale de l’imbroglio ivoirien ? Est-ce encore les errements de la communauté internationale qui constituent le grain à moudre en Côte d’Ivoire ? Ou s’agit-il de l’assaut final pour s’affranchir économiquement et définitivement de la tutelle de l’ancienne puissance coloniale ?

La réponse à ces questions légitimes mais hors cadre est bien claire. C’est non ! Car, au-delà de toutes les intrications géopolitiques et géostratégiques plausibles, il s’agit bien de déterminer, au vu du déroulement du processus électoral, lequel des candidats Laurent Koudou Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara a totalisé le plus de suffrages exprimés par les ivoiriens.

Pour y répondre en toute impartialité et simplicité il suffit de suivre la trame des évènements à partir du 27 novembre 2010, veille du déroulement du second tour. Le Président sortant Laurent Gbagbo décrète un couvre-feu. Soixante-douze heures après le scrutin, les résultats ne sont toujours pas proclamés comme l’exige le code électoral. Le porte-parole de la CEI (Commission Électorale Indépendante) est empêché de proclamer les résultats par un représentant du Président sortant Laurent Gbagbo offrant ainsi une scène surréaliste devant les caméras du monde entier. Les résultats furent néanmoins proclamés par le président de la CEI avant que le Conseil Constitutionnel ne les déclare nuls et sans effets et de procéder à la proclamation du Président Gbagbo comme vainqueur ! Par ailleurs, nonobstant les obstructions de la LMP (La Majorité Présidentielle) empêchant de ce fait la proclamation, la CEI fut déclarée forclose pour inobservation du délai légal.

Que d’amateurisme ! Sans chercher à contredire les allégations de fraudes légitimement exprimées par le parti LMP du Président Gbagbo, on ne peut que s’étonner de la célérité du Conseil Constitutionnel. Comment a t-il pu valablement et convenablement analyser les requêtes d’annulation en un temps record pour déclarer vainqueur Laurent Gbagbo alors qu’il dispose de sept jours pour trancher ? Est-il de sa compétence de révéler l’identité du vainqueur ? Au nom de qui parle le Président du Conseil Constitutionnel au soir de la proclamation des résultats par la CEI lorsqu’il en déclarait la nullité ? En son nom propre, de celui du Président sortant Gbagbo, de tous les membres du Conseil Constitutionnel ? Quand et pendant combien de temps se sont-ils réunis pour examiner la nullité de la proclamation ? Le Conseil Constitutionnel s’est-il autosaisi en violation du principe de l’initiative du recours appartenant aux seuls candidats à l’élection présidentielle ?

Pour se faire une idée et se forger une conviction il est intéressant de se référer à la loi électorale ivoirienne qui dispose en son article 64: « Au cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il doit prononcer l’annulation de l’élection présidentielle, et non pas l’identité du vainqueur, un nouveau scrutin devant être organisé au plus tard quarante-cinq jours à compter de la date de cette décision » .
A la lumière de cette disposition de la loi électorale ivoirienne, et vu le contexte postélectoral présent, le Conseil Constitutionnel n’est pas fondé à proclamer le Président sortant vainqueur de l’élection présidentielle. En revanche, il est fondé à invalider l’élection pour irrégularités de nature à compromettre et à affecter la sincérité du résultat et donc à demander l’organisation d’un nouveau scrutin.
Comment comprendre dès lors que le Conseil Constitutionnel ait décidé de déclarer le Président Gbagbo vainqueur ? Telle semble en toute rectitude la problématique centrale de la crise postélectorale ivoirienne !
On peut bien voir que la question est simple, et point n’est besoin pour y répondre de s’appuyer sur des notions géopolitiques ni de crier à l’ingérence dans les affaires ivoiriennes, et ceci sans qu’il ne soit même nécessaire d’évoquer la certification des résultats par l’ONU prévues par l’accord de Pretoria .
Il faut descendre et remettre la balle à terre et au centre!

En demandant le recomptage des voix le Président sortant Gbagbo pense jouer à la montre, mais personne n’est dupe ! Le « boulanger d’Abidjan » mangera t-il sur ce coup-ci tout seul son pain noir ou réussira t-il encore à le servir aussi bien à son peuple qu’à son adversaire politique en dévoyant l’élection présidentielle censée tourner la page des dix années les plus sombres de l’histoire de la Côte d’Ivoire, poumon économique des pays francophones de la sous-région ouest-africaine?
Les émissaires de la CEDEAO (Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest), appuyés par le médiateur de l’Union Africaine, le Premier ministre kényan Raila ODINGA pour tenter de trouver une issue heureuse à la crise, auront eux bel et bien du pain sur la planche, tant les passions sont vives ! Il reste à espérer que la raison gagne le rang de tous les protagonistes.

D’autant plus qu’au-delà des faits juridiques, la détresse du peuple ivoirien interpelle avec gravité « les deux Présidents », et en appelle au dépassement de soi pour préserver la République et ses intérêts. Ouattara et Gbagbo n’ont donc aucun intérêt à ce que la Côte d’Ivoire sombre dans le chaos. Si l’on ne peut affirmer que le recomptage des voix demandé par le Président sortant est un signe de sa prochaine reddition, la CEDEAO et l’Union Africaine disposent d’une ouverture pour amener « les deux Présidents » à négocier dans l’intérêt supérieur du peuple ivoirien. La voie de la paix semble de plus en plus prendre le pas sur les bruits de botte, et c’est la voie idoine pour véritablement ancrer l’éthique au cœur de la démocratie et de la vérité des urnes en Afrique.

Ils ont tous reconnu dans un passé récent le droit sacré du peuple ivoirien à la paix et au développement. L’Afrique toute entière en avisera, elle qui n’hésitera pas à faire l’économie d’une guerre de trop, qui plus est stérile, et aux conséquences imprévisibles!

Sylvestre APEDO
Juriste, Politologue.
Lyon, France
Courriel : sylvaflore@gmail.com

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