Côte d’Ivoire: « Ouattara devra ramener les pro-Gbagbo dans le jeu politique »

0

  

Quels enseignements tirer des élections législatives en Côte d’Ivoire, les premières après la crise postélectorale de décembre 2010? L’analyse de Christian Bouquet, spécialiste de géopolitique africaine. 

Le parti du chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara est sorti grand vainqueur des élections législatives du 11 décembre, les permières élections après la grave crise postélectorale de décembre 2010-avril 2011. Mais le boycott de ces élections par le camp de l’ex-président Laurent Gbagbo – transféré à la Cour pénale internationale à la Haye – jette une ombre sur la légitimité de ce vote. L’analyse de c, spécialiste de géopolitique africaine, professeur de géographie politique à l’université de Bordeaux III-Michel de Montaigne.  

Comment se sont déroulées ces élections?

Malgré la mort de cinq personnes pendant la campagne électorale, le scrutin s’est passé dans un calme relatif, au regard de la crise de l’hiver dernier, qui avait fait quelque 3000 morts. 

Pourquoi le taux de participation n’a-t-il toujours pas été annoncé?

C’était le principal enjeu de ce scrutin, boycotté par le FPI de Laurent Gbagbo. La réticence des autorités à en diffuser le chiffre laisse supposer qu’il n’a pas été très élevé, car c’est en général le premier chiffre qui est annoncé dans des élections. Par le passé, la participation n’a jamais été très élevée aux législatives en Côte d’Ivoire; elle oscillait autour de 30 à 35%, très loin des 80% de la présidentielle de 2010 -cette dernière intervenait après avoir été repoussée à plusieurs reprises depuis 2005 par Laurent Gbagbo.  

Si le taux des élections de dimanche est sensiblement plus bas, il faudra se poser des questions sur l’utilité de ce vote et la légitimité de la prochaine Assemblée. Certains observateurs estimaient en effet qu’il était trop tôt pour organiser ce scrutin, qu’il aurait fallu laisser du temps après les violences postérieures à la crise électorale de 2010. 

L’équilibre des forces entre le RDR de Ouattara et le PDCI de Konan Bédié est-il modifié?

Oui. Le PDCI fait, compte tenu de l’absence du FPI de Laurent Gbagbo, un moins bon score que ce que l’on aurait pu attendre, avec 40% des suffrages selon les résultats provisoires. Le résultat est très favorable au RDR, qui obtient 57% des voix. Il faut se rappeler que le parti présidentiel avait obtenu 32% des voix lors du premier tour de la présidentielle il y a un an contre 25% au PDCI de Konan Bédié, tandis que le FPI de Laurent Gbagbo obtenait 38% des voix.  

L’opposition pourrait être tentée de dénoncer le retour de l' »Etat dioula », du nom de l’ethnie du nord accusée d »accaparer le pouvoir, comme ce fut le cas au moment du coup d’état du général Gueï en 1999. 

La peur a-t-elle joué un rôle dans la faible mobilisation? Où en est le pays en matière de sécurité?

Beaucoup de gens ne se sont pas déplacés pour aller voter et probablement pas seulement en raison de l’appel au boycott, d’autant qu’il y avait près de 400 candidats indépendants. Les Ivoiriens ne se sentent pas encore en sécurité, malgré un apparent retour au calme mais la peur ne suffit pas à expliquer la désaffection des électeurs. On ne voit plus de miliciens (les « comzones », les ex-rebelles du nord) dans les rues d’Abidjan comme au plus fort de la crise au printemps, mais ils n’ont pas encore tous rendu leurs armes. Même si les choses semblent rentrer progressivement dans l’ordre, on est encore loin d’avoir retrouvé la sérénité.  

La réconciliation est-elle possible?

Ouattara devra veiller à ne pas braquer ni ses alliés ni l’opposition s’il veut ramener la paix en Côte d’Ivoire. Le gouvernement va devoir ramener le FPI dans le jeu politique. Les exigences de ce dernier – la libération de Laurent Gbagbo- étaient trop radicales; les accusations de crime contre l’humanité qui pèsent contre lui sont trop lourdes pour être écartées. Mais pour faire passer l’impression d’une justice des vainqueurs, il faudra que les autorités ivoiriennes soient aussi diligentes à répondre aux mandats d’arrêts de la CPI s’ils visent des proches de Guillaume Soro, son Premier ministre et dirigeant nordiste. 

Il faudrait aussi, pour permettre la réconciliation, que la Commission dialogue, vérité et réconciliation, créée en septembre, prenne en compte les demandes de justice. Pour le moment, aucune figure du camp Ouattara n’a été inquiétée alors que, de l’avis même de l’ONU et de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, des crimes de guerre ont été commis par les deux camps, en particulier dans l’Ouest du pays.

L’Express

Partager

Laisser une réponse