Côte d’Ivoire. Le recensement des ombres

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Lorsque la photo de Blé Goudé et Jean-Yves Dibopieu incarcérés à la DST a circulé, la galaxie patriotique s’est mobilisée, et face à un Blé Goudé toujours célèbre, Hamed Bakayokoa fait marche arrière, provoqué cette séance au tribunal avec ses avocats et le juge, et nous a présenté une séance photo de la résidence grand luxe dans laquelle il serait retenu depuis le début. Malheureusement cette mise en scène ne s’est pas répétée une seconde fois pour l’ancien de la Fesci. Hambak n’a pas de photos à nous présenter d’un Jean-Yves souriant, bien portant, retapé pour les besoins de la Com, propagande indispensable pour pérenniser  la survie de son gouvernement de kapos, régnant sur des moribonds.

Jean Yves Dipobieu, déjà très malade lors de son arrestation il y a plus d’un an serait agonisant selon ses proches. Sans soins, sans nourriture adaptée, le gouvernement par l’entremise de son ministre de l’intérieur compte certainement sur son décès et sa disparition dans la nuit et le brouillard d’une Côte d’Ivoire exsangue, -un mort anonyme de plus-, pour ne pas avoir à se prononcer sur son cas. Mais voilà nous n’allons pas les aider dans leur amnésie et leur refus de compter les morts, leurs morts, causés par non assistance à personne en danger.

Et puisque la nouvelle en vogue est le recensement, où toutes les voix comptent, nous aimerions savoir qui est chargé de recenser les prisonniers. Qui va se déplacer à la villa Gossio pour enregistrer les suppliciés, les bourreaux ? Même si ce clan de rattrapés n’a pas l’intention de faire voter ceux qu’il tient à l’ombre, rappelons que ce sont des ivoiriens, emprisonnés sans jugement, et qu’il serait bon de connaître leur noms et le motif de leur arrestation. Quelques photos de prisonniers maltraités, torturés, victimes d’un régime concentrationnaire de la Côte d’Ivoire émergente circulent, mais sans émouvoir grand monde, dans ce pays qui perd son âme, ce recensement pourrait être l’occasion de mettre un nom sur toute ces personnes disparues, pleurées par leurs familles.

Dibopieu plutôt rondouillard sur les photos d’avant avril 2011 est méconnaissable sur la photo de la DST, seul témoignage concret de son passage en prison. Sa mère, décédée de chagrin depuis, n’a jamais revu son fils, jamais eu de ses nouvelles. Dans cette Côte d’Ivoire « presque réconciliée » au dire des ténors du gouvernement, le chagrin aussi continue à tuer, et on ne compte plus ces victimes mortes de «mort naturelle», tuées par simple négligence, indifférence humaine, c’est la faute à «dégâts collatéraux», on n’y peut rien…

Mais nous voulons savoir : Mr Bakayoko, dites-nous où est Jean-Yves Dibopieu, s’il est encore en vie. Monsieur le ministre, qui êtes abonné au baisemain de ces dames, prenez la peine de vous imaginer en face de ces mères, de ces épouses, de ces fillettes, et avant de vous abaisser devant leur mains maigres et décharnées, dites-leur en quoi leurs enfants, leurs époux, leurs pères ont été, et sont encore une menace pour vous, vous qui n’avez même pas eu le courage de les inculper. Votre arrogance est sans limite, votre seule réaction, la contrattaque, en superposant un mensonge à un autre. Trois ministres ont osé devant les médias occidentaux parler d’un montage photos concernant Blé Goudé, et hier encore votre frère en basse œuvres Cissé Bacongo a osé  prétendre que le plus grand criminel de Côte d’Ivoire se trouve à la Haye sans billet de retour, simple vendeur d’illusions. Votre gouvernement est le plus grand fossoyeur de l’histoire ivoirienne, et vous prenez le monde entier à témoins que le mensonge est en face! La cocotte minute chauffe, surchauffe, mais vous ne prenez pas le soin de baisser le feu. Prenez garde tôt ou tard il faudra ouvrir cette marmite, rendre des comptes, vous ne faites qu’ajourner ce jour, mais le danger immédiat c’est l’explosion de la cocotte sous pression, et c’est vous qui risquez de la prendre en pleine figure.

L’ancien de la Fesci à qui on reproche cette phrase « à chacun son Français », n’a jamais tué, massacré de Français, cela se saurait, aurait pu être retenu contre lui, il y a suffisamment de Français tués pour lesquels on cherche un assassin pro-Gbagbo. Philippe Rémond , Yves Lamblin, plus tôt Jean Hélène ou G-A Kieffer. Malade, Jean-Yves a été extradé en même temps que le commandant Abéhi, le 4 février dernier, le héros du camp d’Agban voyant que son compagnon d’infortune était souffrant, l’avait immédiatement signalé au responsable de ces arrestations « Dibopieu ne se porte pas bien ; il est très malade » C’est même le journal Nord-Sud du 6 février 2012 qui le révèle.

Si en prison, même des  biens portants sont en danger, après avoir été frappé, torturé comme nous l’avons vu plusieurs fois, à plus forte raison des malades. Aussi nous en appelons à la responsabilité du gouvernement, à celui qui se veut le président de tous les ivoiriens, d’ouvrir les yeux, et du haut de son trône et de son « bâton de commandement », d’intervenir et de libérer tous les prisonniers, comme il l’a promis. Celui qui a été acclamé comme le Messie le 2 mars à son retour d’absence pour cause de maladie, devrait savoir qu’une des prérogatives du Messie c’est de proclamer une année de grâce et de libération des captifs. C’est le Bé Aba, tout le reste est contrefaçon, mensonges.

Face aux singeries d’humanité de ce gouvernement qui a bétonné son cœur et ses actes avec le béton de la françafrique, combien de temps les Ivoiriens auront-ils encore la patience de regarder passivement les gesticulation de ces apprentis maçons, spécialistes des chantiers interminables, qui ne procurent ni travail, ni richesse, ni développement? Combien de temps les piliers des prisons et des goulags supporteront-ils les ponts et les autoroutes destinées aux seules fins de sortir les richesses du pays plus rapidement ?

La libération des prisonniers n’est pas un impératif d’octobre 2015, c’est maintenant que les familles ont besoin des nouvelles des leurs, c’est maintenant, que la Côte d’Ivoire doit panser ses plaies, connaître la réconciliation, bien avant ce recensement qui non seulement n’est que poudre aux yeux parce qu’il ne prend pas en compte les exilés, les disparus, les embastillés, mais constitue le dernier et le plus ignoble de tous les stratagèmes mis en œuvre pour entériner le fait accompli du Crime. Que l’on pense aux millions de personnes déplacées remplacées en catimini par autant d’étrangers manipulés à seule fin d’anéantir le tissus social ivoirien. Il suffit par ailleurs de se souvenir de la destruction méthodique des archives d’état civil par la Licorne, l’Onuci et les forces rebelles, patiemment compilées pendant des années par l’administration Gbagbo, travail titanesque dont il ne reste rien, pour prendre la mesure du caractère proprement chimérique d’un tel recensement. Vouloir dessiner une Côte d’Ivoire plus sahélienne qu’ivoirienne, c’est inviter le vent de sable à désertifier encore plus cette Eburnie vivante et fraternelle. Et les Ivoiriens vrais et de cœur n’en veulent pas, ni maintenant, ni en 2015. Donnez-nous des nouvelles de Jean–Yves Dibopieu. De Jean-Noel Abéhi, de Séka Séka qui aurait perdu la raison grâce à vos tortures barbares . Libérez les prisonniers. Faites rentrer le président Gbagbo. Tout le reste n’est que bavardage.

 Shlomit Abel, 18 mars 2014

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