Côte d’Ivoire : Ces Dankaran Touman qui nous gouvernent

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« L’homme est pressé, le temps est long, mais chaque chose à son temps » Djéli Mamadou Kouyaté, extrait de « Soundjata ou l’épopée mandingue »

Lorsque Djibril Tamsir Niane nous offrait l’histoire des rois du mandingue par le biais du griot Djéli Mamadou Kouyaté, il n’avait pas deviné que des années après son œuvre magistrale, des gouvernants du 21ème siècle immortaliseraient l’un des souverains mandingues. En ouvrant nos yeux sur l’histoire de ce peuple, l’auteur a involontairement fait de Dankaran Touman, le modèle de ceux qui nous gouvernent.

Mais qui est Dankaran Touman ? visitons brièvement sa vie. L’histoire nous apprend qu’il est le premier fruit du commerce amoureux entre le roi Maghan Kon Fatta et sa première épouse Sassouma Bérété. Il avait huit ans lorsque naquit son frère Soundjata Kéita, fils de Sogolon Kédjou. Dankaran Touman, bien qu’étant l’ainé du roi Kon Fatta, ne fut pas désigné par les génies comme le successeur de son père. Le choix de ces derniers s’était porté sur Soundjata Kéita qui n’était pas encore au stade de fœtus. « Mais beau Maghan, ton héritier n’est pas encore né », avait ainsi dit le chasseur au père de Soundjata. Cependant, Dankaran Touman avait un adjuvant intraitable : sa mère, la mégère Sassouma Bérété. Celle-ci puisa dans son intarissable réserve de méchanceté, les intrigues les plus raffinées et parvint à imposer son fils au trône. Le fils de Sassouma Bérété devint roi, Soundjata Keïta pris le chemin de l’exil. Le nouveau roi n’avait aucune carrure, il vivait sous les pagnes de sa méchante mère. Son impopularité résonnait à mille lieues de Niani, la capitale. En plus d’être un roi sans baraka, il tremblait de toutes ses forces lorsqu’il humait l’ombre de Soundjata. En un mot, Dankaran Touman était un roi peureux.

Ce survol de la vie de Dankara Touman nous plonge dans l’univers du régime d’Abidjan. En effet, à la lecture de la vie de Dankaran Touman, on s’aperçoit que ce régime a emprunté au souverain mandingue deux piliers de son pouvoir. Il s’agit en l’espèce de son illégitimité qui découle de son mode d’accession au pouvoir et de sa peur de son adversaire politique.

Dankaran n’avait ni été désigné par son père, ni par les génies pour occuper le trône. Il s’est retrouvé au sommet suite aux intrigues de sa mère. Maghan Kon Fatta, dans une sorte d’acte testamentaire, avait dit ceci: « …avant que la mort ne m’enlève, je vais te faire le cadeau que chaque roi fait à son successeur…Balla Fasséké que voici, sera ton griot. » Après avoir posé cet acte, il ne pouvait plus logiquement offrir un griot à son fils Dankaran Touman. Son héritier était déjà choisi. Dès lors, Dankaran n’avait aucune légitimité à se désigner ou se faire désigner comme roi.

En Côte d’Ivoire, le peuple souverain (source de la légitimité) n’a pas désigné Ouattara comme le Président de la République de Côte d’Ivoire. Les résultats proclamés par le Conseil Constitutionnel ivoirien et contesté par Ouattara l’ont été en accord avec les dispositions constitutionnelles en la matière. Cette décision inattaquable ne pouvait nullement être désavouée par d’autres décisions fussent-elles supranationales. En imposant une guerre pour se hisser au sommet du pouvoir d’état, Ouattara a violé la volonté de la source de la légitimité. C’est exactement ce qu’a fait Dankaran Touman. Il a méprisé le choix de son père et celui des dieux. Il n’avait en conséquence aucune légitimité. On note par ailleurs que la violation de la source de la légitimé fut associée à diverses intrigues. Chez le peuple mandingue, la mère de Dankaran Touman fut pour son fils, ce que furent pour Ouattara, la France, certains pays occidentaux et africains. Sassouma Bérété semble avoir légué ses prouesses en matière d’intrigues à la France et alliés. Pour le pouvoir de Ouattara, la France appuya (sur le plan diplomatique, logistique, militaire) la rébellion armée pro-Ouattara. Les accords de Linas-Marcoussis de 2003, les tueries des mains nues de Novembre 2004, la création du RHDP en 2005, la tentative de dissolution de l’assemblée nationale, la mascarade électorale du Golf Hôtel, la crise postélectorale, le renversement de Laurent Gbagbo le 11 Avril 201, furent des machinations dont l’objectif était de faire échouer le pouvoir entre les mains de Ouattara. Ces actes ne sont pas contraires à ceux posés par Sassouma. Elle n’hésita point à recourir à des sorcières pour ôter la vie à Soundjata Kéita. Elle fit arracher à Soundjata, le griot que son père lui affecta avant sa mort. Les railleries et autres animosités étaient quotidiennement déversées sur Sogolon Kédjou. L’objectif final de Sassouma, était d’aider son fils Dankaran à  s’accaparer du trône royal.

Cependant, une fois le pourvoir conquis, ils seront hantés par le charisme de leurs adversaires. A Niani, Dankaran craindra le retour de Soundjata et à Abidjan, le régime Ouattara vivra dans la peur permanente de voir Laurent Gbagbo revenir sur le sol de ses ancêtres. Quelles peuvent être les raisons de cette peur ? L’œuvre de Tamsir Niane, nous ouvre trois pistes.

Premièrement, on note que Dankaran a vécu sous l’autorité de sa mère. Il fut un éternel assisté. Sa vie est tributaire des intrigues de sa mère. Il n’a donc pas pu développer une personnalité en dehors de celle que sa mère lui imposa. Il en est de même pour le régime ivoirien. Sa réputation a été forgée par  » la communauté internationale » avec à sa tête la France. Le régime d’Abidjan n’a aucune indépendance vis-à-vis de la « communauté internationale. » D’ailleurs, ne dit-on pas que c’est le seul régime « certifié par la communauté internationale »? C’est un régime désincarné, loin des réalités du peuple. Or leurs adversaires ont une solide assise populaire. D’une part, Soundjata s’est battit une réputation et une personnalité en remportant la victoire sur son infimité. Son courage légendaire et ses qualités exceptionnelles, furent de lui un exemple à suivre. Il était courtisé par les jeunes de son âge. D’autre part, Laurent Gbagbo s’est construit dans les épreuves. Il a vaincu sa condition sociale pour s’imposer dans une société qui évalue l’homme par rapport à ses biens matériels.  Son engagement auprès des basses classes fit de lui la panacée des délaissés. Il devint donc un homme incontournable.

Deuxièmement, ces deux acteurs ont été victimes d’une injustice inacceptable. Soundjata Kéita a été humilié, chassé et contraint à l’exil par Dankaran Touman. Laurent Gbagbo, quant à lui, a été bombardé par l’occident,  arrêté, offert aux rebelles puis jeté en prison, loin de son pays, par la France et l’Onu. Mais malgré toutes les méchancetés subies par Soundjata, sa popularité ne s’estompa pas. Il en est de même pour le Président Gbagbo. L’injustice dont il est victime renforça doublement sa popularité.

Troisièmement, le pouvoir de Dankaran Touman et celui d’Abidjan n’ont aucune légitimité. C’est en violation des prédictions divines, traduites par acte testamentaire que Dankaran devint roi. La même remarque vaut pour le régime ivoirien. Ce régime en effet, s’installa au palais du plateau après une fraude électorale et une mise en berne de la loi fondamentale. La fraude est donc la seule source de son pouvoir. Or aucun pouvoir ne peut revendiquer une légitimité sur le fondement d’élections truquées, de constitution violée. Du coup, les adversaires adulés par le peuple et injustement défaits deviennent des personnes à tenir loin du pouvoir.

La peur se trouve ainsi légitimée par la personnalité, la légitimité et le capital estime de ces acteurs qui ont été foudroyés par l’injustice des assoiffés du pouvoir. On comprend dès lors, pourquoi Dankaran Touman trembla de tous ses membres lorsque, sur un ton résolu, Soundjata lui annonça : « Je reviendrai, tu m’entends ? » Dankaran savait que le retour de son cadet annoncerait la fin de son règne usurpé. On comprend également pourquoi ceux qui nous gouvernent perdent de leur sérénité quant ils soupçonnent la CPI de vouloir dire le droit en libérant le Président Laurent Gbagbo. Déjà qu’ils peinent à se positionner sur la scène ivoirienne, ils se détruiraient en restant inactif face aux voix qui annoncent la probable libération de Laurent Gbagbo. Il leur faut donc crier au loup, ameuter leurs soutiens afin que ces derniers pèsent de tout leur poids pour obtenir le maintien de Laurent Gbagbo à la Haye.

En vérité, en vérité, bien avant eux, Dankaran Touman fut. Dankaran ce souverain illégitime, usurpateur vaincu par la peur ne pu offrir au mandingue la fierté qui le caractérise. Il a fallu que le « jeune lion » rugisse pour que « la brousse sache qu’elle a désormais un maître. » le roi illégitime fondit dans le néant comme tout bon usurpateur félon. Malheureusement, son règne traversa le temps et les frontières pour s’imposer en Côte d’Ivoire.

Alain Bouikalo,

Juriste

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