Côte d’Ivoire : la guerre des faux, ou la révolution bourgeoise

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« …le honteux, ignoble et violent coup d’État perpétré par l’armée française en Côte d’Ivoire pour arracher le pouvoir que le peuple a confié le 28 Novembre 2010 au Président Laurent Gbagbo » (extrait de la déclaration de la convention du FPI des 26-29/04/2012)

Nul n’ignore que l’une des caractéristiques de la Révolution française, c’est d’avoir été récupérée par la grande bourgeoisie et les puissances d’argent, lesquelles, sous couvert de défense de la démocratie et des Droits de l’homme, n’en finissent pas depuis lors, en France et partout où les soi-disant idéaux de cette soi-disant révolution se sont exportées ‒ Amérique en tête ‒ d’activer leurs réseaux d’influence pour que leur volonté s’accomplisse, et que l’exaucement leurs vœux tordus jaillisse comme par magie des urnes populaires. C’est à ces démons, drapés dans les oripeaux de la vertu, que les peuples de la terre doivent toutes les guerres qui, depuis plus de deux siècles, ensanglantent la planète.

Or une question se pose, aujourd’hui plus que jamais : quelles sont les caractéristiques d’une authentique révolution, celle que nous attendons toujours, pas seulement en Afrique, mais partout où l’impitoyable loi du profit règne en maître absolu ? Quelles sont les conditions sine qua non de la réussite d’une telle révolution ? D’un simple regard en arrière sur le passé récent de la Révolution indienne et de son chef, le Mahatma Gandhi, ou des combats révolutionnaires qui, en Amérique latine ‒ après des siècles de persévérance il est vrai ‒, ont fini par porter des fruits visibles et durables, quoique toujours menacés, nous pouvons déjà tirer quelques éléments de réponse.

La première condition que doivent remplir celles et ceux qui ambitionnent de transformer la vie de leur peuple et de transfigurer son avenir, c’est le désintéressement : un désintéressement sans failles, tant à l’égard de l’argent, des plaisirs et du sexe, qu’à l’égard du pouvoir : jamais un chef, aussi charismatique soit-il, ne sera en mesure d’apporter au peuple qu’il entend mener à la victoire sur les loups qui le déchirent, le cadeau d’une vraie liberté, s’il n’incarne lui-même cette liberté absolue. Tant qu’il restera au cœur d’un dirigeant révolutionnaire la moindre racine de l’une de ces ficelles grâce auxquelles les mafieux des franc-maçonneries de tout poil parviennent toujours à transformer nos idéaux réels en ballons captifs, rien de durable ne pourra se faire.

La deuxième condition, dérivée de la première, c’est la mise en place, au fil du combat, d’une pédagogie du désintéressement, bâtie autour des innombrables valeurs qui en découlent, avec l’ambition d’élargir à terme le champ de cette pédagogie de la maternelle au doctorat; Il s’agit en somme d’exalter, aux yeux des militants formés à l’école de leurs chefs, puis de leurs enfants et petits-enfants, la seule réussite qui vaille que l’on en rêve au point de lui dédier tous les ressorts ‒ oh combien légitimes ‒ du désir d’excellence : le bonheur de l’autre, de tous ces autres dont le corps collectif forme ce que, depuis l’origine des temps, nous appelons peuple.

Mais venons-en à l’actualité ivoirienne. Nous assistons impuissants, depuis quelques semaines, au spectacle surréaliste d’une sorte de guerre de fictions concurrentes. Cela commence avec la question lancinante : Gbagbo est-il candidat à la présidence du FPI, ou ne l’est-il pas ? Le document publié est-il authentique ? Est-ce un faux ? Depuis hier, une nouvelle question est venue se superposer à la première : le congrès promis, dont l’ajournement, voulu par Pascal Affi N’guessan, s’est transformé en interdiction de fait grâce à l’active collaboration des forces de Ouattara; ce fameux congrès a-t-il ou n’a-t-il pas eu lieu ? Sous quelque angle que l’on aborde le problème, le piège est là, sous nos pas; le piège omniprésent d’un doute obsédant : de quel côté sont les faussaires ? Sommes-nous vraiment environnés de menteurs ? Le combat pour la libération de la Côte d’Ivoire se réduit-il aujourd’hui à un concours pour le prix du meilleur manipulateur ?

Pour sortir de ce piège, il faut revenir à l’essentiel, et se poser les bonnes questions. Au cours des semaines qui ont précédé le 11 avril 2011, le Président Gbagbo disposait de plusieurs moyens de s’en sortir, depuis la radicalisation militaire jusqu’à la fuite pure et simple, en passant par l’acceptation de l’un des marchés que lui proposaient conjointement la France et les Etats-Unis. Or l’idéal au nom duquel, au lieu de chercher à se sauver lui-même, il a choisi le chemin du risque absolu, risque de la mort ou de la prison; cet idéal, quel est-il ? Celui précisément dont l’authenticité s’est vérifiée lorsque, au lieu de chercher son propre intérêt, il a opté pour la poursuite de la lutte sur le terrain du droit et de la revendication de justice. Or cet idéal de lutte inspirée ne peut être partagé que par celles et ceux qui, animés du désir de ressembler à celui qui leur a tout appris, et continue à les instruire par l’exemplarité de son combat dans les geôles de Scheveningen, en ont compris l’une des composantes essentielles : ce que nous avons caractérisé plus haut comme la condition première de toute révolution : le désintéressement.

Dès lors, l’unique question à se poser est fort simple : qui, parmi la foule de ceux qui s’autoproclament héritiers de Gbagbo ‒ Affi en tête ‒, incarne visiblement la ressemblance au chef ? Lequel de ces futurs grands hommes a laissé derrière lui la trace d’une véritable incorruptibilité ? Lequel d’entre eux s’est abstenu, sous la pression de circonstances parfois douloureuses, de céder au chant des sirènes, en acceptant tel ou tel compromis en échange d’une amélioration de ses conditions ? A propos duquel de ces ambitieux avons-nous la preuve qu’ils n’ont jamais pactisé avec l’ennemi ? Lequel d’entre eux a su résister à la tentation de bénéficier ‒ en échange de son âme ‒ des réseaux d’influence de telle ou telle confrérie maçonnique, ces loges dont l’omniprésence dans les sphères du pouvoir en Afrique symbolisent objectivement la griffe du fauve Occident planté dans la chair de chacune des nations du Continent ? Lequel de ces prétendant au titre a su faire la preuve de sa non-addiction à l’argent, et au pouvoir pour le pouvoir ?

Au regard du combat dont l’inspirateur est et demeure Laurent Gbagbo, seule une personnalité capable de répondre positivement à chacune de ces questions peut légitimement briguer l’honneur de diriger les militants de son parti dans la lutte qu’ils veulent continuent à mener au nom du chef, et en vue de son retour. Toute pseudo-victoire remportée sur le fondement d’autres principes ne peut qu’aboutir à terme à un échec, échec d’autant plus cuisant qu’il se doublera des plaies difficilement guérissables de désillusions en cascades, autant de nouvelles portes ouvertes aux surinfections de la gangrène françafricaine.

Qui suis-je, pour lancer cet appel ? Mais je le lance pourtant, comme une bouteille à la mer : frères ivoiriens, ne vous laissez pas leurrer par le miroir aux alouettes du dialogue à tout prix. L’appel emblématique du Prési : « asseyons-nous et discutons » concerne l’ennemi, un ennemi à convaincre, peut-être, mais un ennemi pour l’instant étranger aux valeurs de la révolution. Au sein des forces révolutionnaires, il est impératif de redonner la préséance au mérite, évalué sur la base de critères exigeants.

Frères Ivoiriens, votre révolution n’est pas menacée aujourd’hui de récupération, mais de dégénérescence bourgeoise; certains de ceux qui prétendent la mener en votre nom ont déjà fait allégeance aux forces qu’ils font mine de combattre. Il est urgent pour vous de resserrer les rangs autour de chefs dignes de porter l’étendard de votre espérance, et de disqualifier ouvertement et définitivement ceux qui, parce qu’ils s’en sont montrés indignes, ont déjà rejoint les rangs de vos ennemis : avec eux, vous pourrez toujours « dialoguer », à la condition de les tenir soigneusement à l’écart des débats concernant votre lutte pour une Côte d’Ivoire libérée. Ce combat n’est d’ores et déjà plus le leur.

Eliahou Abel, le 11 décembre 2014.
 

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