Côte d’Ivoire-Burkina : Un long chemin vers la liberté [Par Michel Galy]

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Ceci pourrait proposer les prémices d’une « politologie de la libération », comme le suggérait il y a une quarantaine d’années un mien condisciple du Cameroun : peut être en effet les peuples d’Afrique se libéreront ils ensemble du joug colonial et des oligarchies locales, si tant est qu ils d agisse des phénomènes différents. Plus probablement, via notamment les nouveaux réseaux sociaux, une internationalisation des esprits et une esquisse d’opinion pan africaine se dessinent ils.

Plus modestement, on pourrait transférer d’autres champs du savoir le concept de « dyade » en politologie africaine, pour désigner deux peuples et deux Etats intimement lies, à l’évolution liée, en système. Il en est d autres, mais le binôme Cote d’ivoire/Burkina pourrait être exemplaire, à plus d un titre, et en particulier en fonction dune actualité brûlante.

DE LA FUSION A LA DYADE, UNE LONGUE ET TUMULTUEUSE HISTOIRE

Chacun le sait, entre les entités pré-coloniales et les Etats indépendants se situe une sorte de temps intermédiaire colonial, dont l’historien italien Chalchi Novati réduit justement le laps de temps à 3 générations. C’est à cette époque de Conquête et de maîtrise que naît l’AOF, incluant entre autres les deux États contemporains en question, Côte d’Ivoire et Haute Volta, devenu Burkina Faso.
Ici on doit, notamment les jeunes générations qui ont intériorisé « l’illusion cartographique » des frontières, marquer le caractère arbitraire des Etats eux même, et de leurs limites.

Ce qui n’empêche pas de 1960 à 2015, la naissance d’un « sentiment national : même phénomène pour les « identités ethniques », dont une vague de chercheurs a montré l’arbitraire d’origine et le flou des frontières- sans qu ils réalisent que comme pour l’Etat l’arbitraire du Signifiant ( le « nom » <Côte D’ivoire> par exemple, dont en français on voit bien la réduction ancienne au littoral et à la marchandise coloniale, mais dont le sens premier échappe maintenant , revendiqué comme un marqueur national indivisible et intraduisible) est revendiqué par les humains qui s’en réclament. Etat et « ethnies », quelque soient leur origine, fonctionnent donc socialement et politiquement en système : ce qui atteint un pays touche l’autre, ils sont dans une certaine mesure interdépendants.
Mais sous la fusion et après la séparation, tout circule, produisant de l’échange de la migration, mais aussi de la légitimité et de l’illégitimité vis à vis de la Loi et de l’Etat. Tout passe à travers les frontières poreuses : les hommes, les mots, les biens-et in fine les armes .

30% environ de migrants sahéliens en Cote d’ivoire, et sans doute beaucoup plus depuis 2011.Près 3,5 millions d’originaires du Burkina (, ce qui est certainement sous estimé) sont en terre ivoirienne et ces migrations de fait n’ont jamais cessé. Un jeu complexe de tutorat, duperies, appui sur les lois coutumières, nationales, ou un mixte indéfini dans le foncier.

Un jeu tout aussi pervers au plan électoral, où la naturalisation et/ou l’octroi sans contrôle populaire de cartes électorales (avec la complicité des organisations régionales et internationales : il y aurait beaucoup à dire sur l’instrumentalisation actuelle du concept d ‘ « apatride ») : on passe du « bétail électoral » houphouetiste à la « cinquième colonne » ouattaresque qui si elle était appliquée permettrait avec un million de sahéliens surnuméraires de truquer vitam æternam toute élection à venir.

Tout comme Sidya Touré censé être ivoirien avant de se révéler premier ministre de Guinée le « cas Ouattara » s’inscrit dans c e jeu complexe d’étrangéité et de naturalisation, redoublé d’un coté par la position particulière d’Houphouet -favorable on le sait à un « laisser faire, laisser aller » des migrants, malgré le refus de la classe politique ivoirienne- de l’autre par l’internationalisation du jeu politique, en particulier lors de la volonté élyséenne de mise sous tutelle du gouvernement de Laurent Gbagbo de 2000 à 2011.

Indubitablement Ouattara est si ce n est un « candidat étranger ( on laisse à chacun le soin d’apprécier la documentation publiée, dont le flou contraste avec le fait quant à lui indubitable de se « prévaloir » d’une autre nationalité par rapport à la Constitution-mais aussi les actes posés depuis 2011, plus politiquement révélateurs que les arguties juridiques), du moins est il avec certitude « le candidat de l’étranger », en particulier du « complexe néocolonial » français.

LA MIGRATION DES IDEES, UNE CHANCE DE LIBERATION

Il se passe en ce moment quelque chose d’assez curieux, de surprenant, presque exaltant, pour les partisans d’une libération des peuples : une opinion transcontinentale naît. Des idées passent, des images s’affichent:on ne peut plus intervenir militairement et réprimer comme antan, sans que l’opinion africaine-et mondiale-le sache.

Mieux, c’est l’inverse qu il se passe : les idées nouvelles gagnent, les expériences font école, les despotes vacillent.

La Constitution devient dans beaucoup de pays d’Afrique un texte certes manipulé par les pouvoirs, mais que les oppositions démocratiques jugent intangibles. A l’aune de la Loi qui s’impose à tout sujet politique , il est évident à tout juriste que Ouattara (ni Sassou Nguesso, ni Nkurunziza , ni Kabila…) n’est pas éligible, et ce n est pas un hasard si Wodié , après avoir failli à l’honneur et au Droit en 2011, a préféré démissionner que de cautionner encore un candidat inéligible sans un referendum approuvant au préalable sa candidature : « dérivé » est bien le terme désormais consacré où la vérité politique affleure dans un magnifique lapsus qui se voulait habile et qui est simplement révélateur de l’illégitimité continue du régime – dont les « dérives » , depuis son origine putschiste, sont permanentes.

Que de parallèles avec le Burkina, avec une crise qui se cristallise actuellement, tel un précipité de Droit, de Politique et d’Histoire ! Si Compaoré a été renversé il y a presque un an, c’est l échec récent du putsch de son âme damnée, le général Diendéré, qui aura le plus impact sur les « élections présidentielles d’octobre à Abidjan.

En effet se déploie une sorte de « Grand Jeu » international des dictatures contre les mouvements de libération politique, dont l’opposition pro Gbagbo n’a pas toujours conscience en dehors de quelque « offensives diplomatiques » vers Paris, tout à fait pertinentes d ailleurs puis que la tutelle (néo)coloniale est plus que jamais de mise. La grande différence est que, malgré cette volonté de maîtrise élyséenne (le lieu du pouvoir avec le fameux « complexe militaro-colonial plus éclaté) sur la Cote D’ivoire et l’Afrique, la tutelle française joue désormais comme une sorte de « feu orange » devant les aspirations démocratiques.

L’IMPOSSIBLE REPRESSION ?

On l’a bien vu pour la marche de lundi dernier : le pouvoir ne peut plus politiquement réprimer, disons comme à l’époque du putsch de 2011 et des quelques 5000 victimes civiles pro-Gbagbo (selon une estimation sans doute en dessous des chiffres réels,la réalité depuis 2002 atteignant peut être le double). Les temps ont changé, les gouvernants (gouverneurs?) à Paris aussi. S’il y a un minimum de crédibilité à accorder par les chancelleries à l’élection d’ octobre- que l on sait pourtant par avance truquée, il faut qu’un semblant de vie démocratique- et donc de manifestation ouverte de l opposition , puisse se passer.

Pourtant les mercenaires FRCI et les corps parallèles de type Dozos sont toujours là ; mais impossible de les utiliser à réprimer dans le sang, si ce n’est pour le régime à s’autodétruire politiquement !

C’est donc par une répression cachée, mais féroce qu ‘au « pays du mensonge déconcertant », on va agir : par l archipel des camps et des tortures, par l’embastillement de dignes représentants de l’opposition (une demi – douzaine d’ex ministres du régime Ggagbo, la jeune Mariam Marie France Cissé du FPI coupable de délit d’opinion, très récemment le leader de la société civile Samba David), par la misère faite aux quelques 500 prisonniers politiques et leurs familles, par les mauvais traitements, les tortures parfois et l’absence de soins souvent …Cet attirail de dictature modérée ou de démocrature féroce, ne peut marcher qu’à la désinformation et la complicité des milieux médiatiques, diplomatiques, militaires, politiques, à l’extérieur du pays.
Sans parler de la corruption de certains opposants opportunistes et /ou le clivage forcé des grands partis comme le FPI. Et de la main mise sur les médias-mais aussi l Armée, l’Assemblée, le Conseil constitutionnel, la CEI -qui est tout sauf indépendante…dans une logique dite de « rattrapage ethnique » qui ne profite de fait qu’à une seule ethnie-jusque dans les concours administratifs ! : les Malinkés dont est issu Ouattara, laissant de coté les 59 autres peuples de la terre éburnéenne !

Mais tout ceci est bien évidement la chance de l’opposition.

La désinformation n’a qu’un temps. Ainsi corruption de la chefferie et instrumentalisation des médias ont fait partie d’un risible « plan com » destiné à montrer un « triomphe » du candidat dérivé « dans le fief de Laurent Gbagbo »… mais en fait à contrer la manifestation de la CNC contre l’illégitime candidature de Ouattara ! Au passage aucun média occidental ne sait -ou n’ose dire que 50% des villes en pays bété est composé de nordistes et de sahéliens…
Le plus important , dans le cadre des perverses relations Nord/Sud, et principalement franco-ivoiriennes, (et en mineur ivoiro- américaines) est le « New Deal » hollandiste : la « révolution populaire » du Burkina pour renverser Compaoré semble bien le nouveau paradigme prôné par l’Élysée pour l’Afrique.

Élection libre et transparente, respect de la Constitution. Sinon, un feu orange pour une insurrection populaire et démocratique qui ferait respecter ce qui est après tout le fondement , la condition de toute vie démocratique.

Cette bascule de la politique africaniste s’accommode tant bien que mal d’une relative tolérance pour des régimes répressifs mais indispensables militairement comme celui d’Idriss Deby au Tchad. On ne peut pas dire que la Cote d ivoire en fasse partie: il s’agit d’un coté de son potentiel économique et des investissements français, d’un autre d’une incapacité de se dédire de l histoire, du story telling de 2011 dans laquelle la gauche est compromise, par lâcheté ou ignorance. Avec une différence de taille : tel un Jospin à la fin du règne de Bedié, on voit mal Hollande faire tirer au canon dans une capitale africaine, ni au Famas sur des foules aux main nues.
On arrive ainsi à une position de « pat » (neutralisation des partenaires) , ou plus proche si l’on veut du jeu chinois de GO, quand l’adversaire encerclé est paralysé de toute part.
Non que le régime ne puisse encore massacrer, mais au risque d’un suicide politique international.
Le « candidat Ouattara » sait qu il ne peut compter au mieux, sans compter les nombreux déçus du quinquennat, que sur ses 30% « sociologiques », surtout si un candidat comme Konan Banny récupère le vote PDCI et au delà l’électorat AKAN. Et qui sait, selon les consignes de l’illustre prisonnier politique de LA HAYE, s’il ne bénéficierait pas d’un « vote révolutionnaire » ( au sens utilitariste, bien qu’à contre courant idéologique:TSO=tout sauf Ouattara, semblant à beaucoup un préalable à toute évolution), qui mobiliserait les 2/3 de l électorat.

On voit au passage à quel point est risible le nouveau « mantra » de l’AFP désignant Ouattara comme « le candidat largement favori », et susceptible d’« un coup KO », id est de passer au premier tour.

Par la violence et des élections massivement truquées, oui- au risques d’incidents voire d’une levée en masse au Sud et dans Abidjan. Violence que nous avons démontré ailleurs désormais interdite aux corps expéditionnaires ONUCI et surtout Licorne, de par la volonté de « (néo) colonisation soft » du régime Hollande.

Le binôme Burkina/Cote d’ Ivoire s’ articule donc à rebours du temps de la rébellion et du coup d’Etat : perte aujourd’hui de la « base arrière » des putschistes de 2011. Échec et mat du trio Diendere/Compaoré/Ouattara.

Propagation inattendue du mouvement populaire de Ouaga à Abidjan- mais aussi Brazzaville, Kinshasa, en attendant Bujumbura et Lomé ?

Que se trame t il donc- autant que l’on puisse savoir- au Quai d’Orsay, à la Défense et principalement à l’Elysée? Le soutien répété de Hollande à la démocratisation , réitéré au sommet de Dakar- au grand dam de Ouattara qui s est senti visé, à juste titre, se cristallise autour du respect des Constitutions, d élections libres, et de l’absence de répression sanglante contre les oppositions démocratiques.

A cette nouvelle donne internationale, correspond aussi une recherche de « plan B » à la place des despotes locaux- et donc de l’adoubement par Paris d’un président alternatif . In fine, et en particulier pour la Cote d’Ivoire, une « transition politico militaire » peut être envisagée– et pourquoi pas un « grand jeu » – ou « négociation globale », comme disent certains- dans lequel le président Laurent Gbagbo, via le Conseil de Sécurité instrumentalisé une fois de plus par la diplomatie française, serait libéré en échange d’ élections consensuelles (dont les termes sont connus de tous : liste électorale acceptable, accès équitable aux médias d’Etat, refonte totale d’une CEI désormais représentative, observateurs neutres, cantonnement des milices sanglantes pro-Ouatara…).

Mais après tout, loin de ces combinazziones d’un autre âge, ou d’une violence post électorale proche d’une guerre civile, peut être que ces élections libres et une alternance dans le calme suffiraient à ramener la paix en terre ivoirienne. Le pire n’est jamais certain… surtout si les pouvoirs extérieurs et intérieurs y contribuent. L’hypothèse inverse, catastrophique sans doute, n étant pas exclue.

L’avenir n’est écrit nulle part, mais dépend de tous.

Michel Galy

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