Côte d’Ivoire : Au- delà de l’appel de Daoukrou

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Konan Bédié disait à qui voulait l’entendre : « On ne change pas une équipe qui gagne », sorte de maxime, devenue d’un coup, vérité divine, pour lui, mais aussi pour ceux qui soutiennent son appel. « Bédié libère la Côte d’Ivoire », titrait en manchette le quotidien plus que proche du PDCI, pour justifier l’appel de son leader

On peut l’affirmer : les jeux sont faits avant la prochaine convention du PDCI-RDA, prévue, entre autres, pour désigner un militant actif qui serait le candidat du plus vieux parti de Côte d’Ivoire à la présidentielle de 2015. Alassane Ouattara, le principal bénéficiaire de ce que l’on a convenu de désigner comme « l’appel de Daoukro », ne s’en cache pas : « les militants du PDCI, dans leur grande majorité, sont d’accord, je suis sûr, avec la décision du président Bédié ». Pour tout dire, la convention du PDCI, prévue d’ici la fin de l’année ne sera que pure formalité. Alassane Ouattara sera – sans surprise – le candidat unique du RHDP, groupement de partis politiques regroupant le PDCI, le RDR, l’UDPCI et le MFA. Exit les « irréductibles » (terme employé par Bédié lui-même).

Pourquoi encore s’agiter et continuer à faire couler beaucoup d’encre et de se salive pour une cause déjà entendue ? Inutile de polémiquer d’avantage sur une décision déjà prise et qui sera de toutes les façons exécutée, pourrait-on répondre. Que Konan Bédié ait appelé à soutenir la candidature unique d’Alassane Ouattara, n’est pas un problème en soi. C’est d’ailleurs normal dans le cadre des alliances entre partis politiques.

Hélas, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent. « L’appel de Daoukro » cache certaines réalités que les ivoiriens et l’opinion publique méritent de connaître.

Tout d’abord, revenons sur l’aspect formel de cet appel lancé par Konan Bédié, le président du PDCI. Quoiqu’on dise, il faut reconnaitre – comme le font, fort à propos, quelques esprits encore lucides au sein du RHDP – que dans l’acte posé par Konan Bédié, il y a un dangereux vice procédure. Un analyste proche du RHDP déclare d’ailleurs à cet effet que : « Ce soutien à un candidat (…) relève d’une imposition qui ne dit pas son nom et non d’une décision consensuelle, assumée par tous (…) Les normes protocolaires et le respect des canons démocratiques devant présider à la prise d’une décision aussi cruciale, n’ont nullement été observés ». Puis il va plus loin : « il aurait fallu sacrifier à un certain nombre de protocoles en mettant l’accent sur de vastes consultations au sein des différents partis assortis de lobbying ; ce qui conforterait les assises démocratiques et contribuerait à fortifier les formations politiques considérées. Toutefois, la méthodologie usitée, laisse penser à un blanc-seing donné à une certaine forme d’égoïsme et d’égocentrisme qui sont les véritables gangrènes de la politique africaine ». Pour un parti qui se dit démocratique, la moindre des choses, les militants qui sont la base de tout parti politique, méritaient de donner leur avis. L’appel de Konan Bédié en faveur d’Alassane Ouattara, il faut le dire, souffre ainsi d’un déficit criard de démocratie et laisse clairement entendre qu’en Côte d’Ivoire, les règles élémentaires de la démocratie peuvent être piétinées sans vergogne par des personnes qui se disent pourtant démocrates et qui aspirent à diriger ce pays. Pays dont le principe de fonctionnement n’est autre que la démocratie. Quand le désir, d’un leader politique, de faire plaisir à un allié, prend le dessus sur l’opinion de la masse ; quand les décisions d’un président de parti valent à elles seules des résolutions d’un congrès, il y a lieu, pour le peuple, de sérieusement s’inquiéter de ce genre de politicien, sur ce type d’agissement, sur la mentalité de ceux qui en bénéficient ; mais aussi, de ceux qui les soutiennent. Malgré tout, Konan Bédié qui, souvenons-nous, en son temps avait ordonné aux ivoiriens de se mettre à sa disposition, bénéficie d’importants soutiens, tant au sein de son propre parti qu’au RDR, parti politique d’Alassane Ouattara. Mais, le plus grave reste à venir…

Intéressons-nous, aux raisons évoquées par les partisans de la candidature unique, à leur attitude et tirons-en les leçons qui s’imposent.

Konan Bédié disait à qui voulait l’entendre : « On ne change pas une équipe qui gagne », sorte de maxime, devenue d’un coup, vérité divine, pour lui, mais aussi pour ceux qui soutiennent son appel. « Bédié libère la Côte d’Ivoire », titrait en manchette le quotidien plus que proche du PDCI, pour justifier l’appel de son leader. Mais en général, ce sont des justificatifs tels que « l’intérêt supérieur de la nation (…) la paix et la stabilité du pays » ou encore : « le bonheur de tout le peuple ivoirien » qui sont mis en avant, par les partisans de la candidature unique, pour justifier le choix d’Alassane Ouattara. Des raisons – visiblement évasives, auxquelles on pourrait soumettre ces quelques questions : de quoi Bédié a-t-il libéré la Côte d’Ivoire ? En quoi la candidature unique d’Alassane Ouattara préserve-t-elle « l’intérêt supérieur de la nation » ? Et enfin, qu’on nous dise : comment cette candidature unique pourrait constituer un gage de paix et de stabilité pour le pays… ?

Au lieu d’apporter des réponses claires aux ivoiriens, et comme si ces raisons – visiblement évasives – ne suffisaient pas, les partisans de la pensée unique ne s’embarrassent pas de fioritures pour fustiger vertement ceux qui osent voir d’un mauvais œil, l’appel du « sphinx de Daoukro ». En effet, ces « irréductibles » (l’idée est de Bédié) sont traités de tous les noms, et des plus vils possibles. Ils sont taxés « d’esprits chagrins » ou de « va-t-en-guerre », de « boutefeux », de « corbeaux et oiseaux de malheur » ; parfois appelés « les frustrés du 16 septembre », voire même, accusés de sorcellerie… tout simplement parce que ne partageant pas la vision de la candidature unique d’Alassane Ouattara.

En distillant leur venin, les inconditionnels à la candidature unique n’ont pu s’empêcher de le répandre sur le FPI, le parti de Laurent Gbagbo, accusé d’influencer les « irréductibles ». Aussi bizarre que cela puisse paraître, le principal parti d’opposition sera à son tour traité de : parti sectaire aux idées rétrogrades qui a fait de l’enfarinade une marque de fabrique et de la traitrise un mode d’expression artistique ». Son leader Laurent Gbagbo, qui ne pas non plus épargné, sera qualifié de : « politicien sans vergogne, embusqué et véritable apprenti sorcier aujourd’hui démasqué »… dans une histoire qui ne le concerne pourtant pas de prime à bord.

Ce mépris affiché par ceux qui souhaitent mordicus, continuer à se remplir le ventre aux côtés de Bédié, Alassane Ouattara et consorts, contre les « irréductibles », contre ceux qui refusent la pensée unique, contre l’opposition, contre celui qui demeure et représente à ce jour une opinion non négligeable d’ivoiriens est, somme toute, un mauvais signal. Ce n’est pas seulement de la haine envers un parti politique ivoirien, envers ses militants et ses sympathisants, envers des ivoiriens, c’est aussi et en fait, l’expression de la peur, la crainte de voir le FPI revenir au pouvoir. Or la peur entraine la haine, le rejet. Et le rejet, la violence. Une violence qui ne peut que perturber le bon fonctionnement de la démocratie.

Ainsi, le danger c’est qu’il n’y pas qu’aux injures ou qu’aux mépris que s’arrêtent les supporters de la candidature unique. Il y a dans les faits une volonté farouche, pour eux, pour ceux qui tiennent encore le pouvoir et qui caressent l’espoir, à travers cette candidature unique, de le conserver, il y a une réelle détermination de brimer, de museler en instaurant un Etat de terreur et au final…, d’exclure, par tous les moyens, y comprit, cette frange d’ivoiriens irréductibles. Dans la pratique, ces ivoiriens, même s’ils ne sont pas à la CEI (commission électorale indépendante), même s’ils n’ont pas un libre accès aux médias d’Etat, même s’ils font l’objet d’interdiction de manifester ou de se rendre partout où bon leur semble dans leur propre pays, qu’ils se meurent en prison ou en exil…, « le pays peut avancer sans eux ». C’est aussi cela, l’appel de Daoukro.

Marc Micael
La Riposte 

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