L’histoire du Togo n’est pas aussi vieille que ça. Cela a son avantage. Nul besoin d’être un grand historien pour en parler. Du coup certains se découvrent des compétences qu’ils n’ont jamais eues quitte à flirter avec l’incitation à la haine ethnique. De simples journalistes se muent en historiens chevronnés. C’est le cas de l’auteur d’un article publié récemment par un hebdomadaire proche du régime en place au Togo. Prenant prétexte d’un conflit foncier entre deux communautés dans le village d’Awéndjaliwou, la journaliste va puiser dans les conversations de bas étage pour soutenir ses thèses tribales. Sous la plume de la journaliste le conflit foncier se transforme en une attaque en règle contre un groupe ethnique dont les membres sont qualifiés de bavards et de fainéants. On se croirait encore à l’époque coloniale où le « grand sef » blanc (entendez chef) justifiait l’atrocité des travaux forcés en traitant les colonisés de paresseux qui ne marchent qu’à la chicotte. Que peut-on répondre à une personne qui raisonne de cette façon. Il n’y a qu’une explication pour comprendre comment une personne peut aller aussi loin dans la provocation et l’incitation à la haine de l’autre. L’auteur de l’article est convaincue d’être du bon côté et que ses écrits ne l’exposent à rien. Forts des entrées qu’ils ont auprès du pouvoir depuis bientôt un demi siècle, certains compatriotes ont perdu le sens du discernement et croient pouvoir tout se permettre.
J’ai lu des réactions qui demandent l’interdiction de l’organe de presse qui a publié cet article. Je ne pense pas que ce soit la solution. D’abord l’interdiction d’un organe de presse n’est pas une bonne chose dans un pays où les journalistes sont obligés de se battre au quotidien pour préserver le droit à la liberté d’expression conquis de haute lutte contre un régime qui ne recule devant aucune atrocité pour se maintenir. Et puis une fois l’interdiction prononcée contre l’organe de presse, le ou la journaliste peut aller diffuser ses idées sur un autre support médiatique. Kao Victoire, puisque c’est d’elle qu’il s’agit doit comprendre une chose : elle ne peut se cacher derrière des expressions du genre « l’histoire raconte que » pour diffuser sa haine d’un groupe ethnique tout entier. Les écrits de Kao doivent être condamnés avec la dernière rigueur si l’on veut éviter la banalisation de l’incitation à la haine de l’autre. Chaque citoyen togolais doit examiner la possibilité d’amener cette dame à répondre de ses propos devant une juridiction compétente que celle-ci soit au Togo ou ailleurs.
Il faut surtout éviter de faire un cadeau à cette provocatrice en versant comme elle dans des généralisations nauséabondes. Si comme elle le dit, Kao Victoire connaît un individu, Kotokoli ou pas, qui « insulte » un Kabyè de mangeur de chien, elle a le devoir sinon de porter plainte contre la personne du moins de dénoncer la personne dans les colonnes de son hebdomadaire. Personne n’attend de Kao Victoire qu’elle s’érige en procureur d’un groupe ethnique contre un autre, à moins qu’elle ait elle-même des comptes personnels à régler. Et si c’est le cas, la société doit lui signifier clairement que le fait d’éditer un organe de presse ne lui donne pas le droit de prêcher la haine pour se faire justice.
Sur le fond, qu’il s’agisse des terres, des peuples, des langues ou du vécu quotidien des Togolais, les traces de l’histoire du peuplement de notre pays sont encore visibles même à l’œil nu. C’est peut-être ce qui explique les tentations pour certains compatriotes de falsifier cette histoire en usant d’affirmations péremptoires sur les origines des uns et des autres. Il ne sert à rien de jouer les apprentis sorciers en voulant justifier à tout prix toutes les anomalies que notre pays a connues depuis que le colonisateur s’y est invité par la force du canon. Traiter les membres d’un groupe ethnique de fainéants n’est pas une blague. On le voit bien, même le site Republic of Togo, l’organe de propagande en ligne du régime qui, soit dit en passant, usurpe par son nom de domaine sur Internet le patrimoine commun des Togolais a cherché à masquer la toxicité sociale de l’article de Kao en lui donnant un titre plus discret. Le site titre « Conflit Kabyè-Kotokoli : désamorcer la crise ». Y’a-t-il a donc véritablement une crise entre Kabyè et Kotokoli au Togo? Oh quelle triste nouvelle. Et dire que selon l’ethno-historienne Kao Kabyè et Kotokoli sont des cousins qui parlent tous « presque la même langue ». Oui au Togo en plus d’avoir des « ethnies cousines » nous avons des « presque-langues » . Après ça qui osera encore dire que notre pays n’est pas fertile… en imaginations.
Moudassirou Katakpaou-Touré
Francfort le 22 juin 2011.