Comment le renseignement français a perdu face à la Russie en Afrique [Par Alexandre Lemoine]

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Le président français Emmanuel Macron a démis de ses fonctions le chef de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Bernard Émié. Le renseignement français a subi plusieurs échecs majeurs, notamment en Afrique. Cela concerne notamment les pays que la France a été contrainte de quitter, tandis que la Russie, au contraire, étend sa présence. 

Bernard Émié dirigeait le renseignement français depuis 2017. Son prédécesseur, Jean-Pierre Palasset, avait été licencié par Macron avec des critiques sévères («un manque total de professionnalisme»). Macron était furieux que Palasset n’ait pas réussi à organiser le travail en Russie et en Ukraine, faute de quoi le président français était «insuffisamment informé», notamment lors du soi-disant processus de Normandie. Le renseignement français ne disposait tout simplement ni d’un réseau d’agents à Moscou ni de la capacité d’analyser les informations.

Pour Émié, le dernier avertissement a retenti il y a quelques jours, lorsque quatre agents de la DGSE ont été arrêtés au Burkina Faso. Paris nie toute implication des détenus dans le renseignement («ce sont des spécialistes techniques»), mais l’évacuation simultanée de deux douzaines de citoyens français de Burkina Faso, qui a suivi cette arrestation, indique clairement la destruction d’un réseau d’espionnage, généralement appelée «évacuation». De plus, les Français ont complètement quitté le Niger voisin.

Mais le ciel s’est assombri au-dessus de Émié depuis cet été. Des articles sur sa possible démission ont commencé à paraître dans la presse en raison d’une série de coups d’État en Afrique et de la réorientation des pays francophones du continent vers la Russie. Le résultat intermédiaire de cette tendance a été l’effondrement effectif du système de Françafrique en Afrique, allant jusqu’au refus d’utiliser la langue française dans un certain nombre de pays.

Pour Paris, il s’agit d’une catastrophe géopolitique majeure. Le système post-colonial en Afrique était un élément important de l’État français. La prise de conscience à Paris de ce qui se passe n’est pas encore totale, mais le chef du renseignement est devenu la première victime du processus de remise en question du rôle de Paris dans le monde. Émié, comme son prédécesseur, «n’informait pas suffisamment» Macron.

C’est probablement vrai, mais le chef du renseignement n’est pas la cause première du retrait de la France du Sahel. Cependant, en dépit des ressources importantes et positions de la DGSE en Afrique, le renseignement français a non seulement manqué l’arrivée de la Russie sur le continent, mais aussi les processus profonds qui se déroulaient dans les pays de la région. Avant tout, l’explosion des sentiments anti-français, provoquée par une politique post-coloniale globale et l’échec des tentatives françaises de lutter contre les islamistes au Sahel et plusieurs mouvements séparatistes.

Alors que l’aide russe s’est avérée très efficace localement. Par exemple, la récente libération de la ville de Kidal au Mali, considérée comme la capitale des séparatistes touaregs, en est une illustration concrète. Les Français étaient incapables de gérer les séparatistes, et les gouvernements de certains pays du Sahel soupçonnaient Paris de jouer via la DGSE un double jeu avec les islamistes et les Touaregs.

En outre, la DGSE n’a pas vu venir l’intensification de l’activité des États-Unis en Afrique, qui visait directement les intérêts de la France.

Washington a profité de l’affaiblissement des positions de Paris sur le continent pour saper les préférences économiques historiquement établies par les Français. En particulier, la compagnie pétrolière Total a subi de sérieuses pertes. Et la possible perte de mines d’uranium au Mali remet en question tout le système énergétique de la France.

Une autre histoire désagréable liée à Bernard Émié concerne les négociations secrètes au Liban. Le chef du renseignement français est personnellement arrivé à Beyrouth, où il a tenté de contrôler manuellement le gouvernement libanais et d’organiser des négociations avec le Hezbollah. Émié avait auparavant été ambassadeur en Jordanie et au Liban, bien que sa spécialisation diplomatique initiale concerne précisément les pays du Sahel africain. Mais il pensait que son expérience et son autorité étaient suffisantes pour résoudre quelque chose au Liban. Les négociations à Beyrouth ont finalement échoué, et la presse locale a publié des articles indignés sur la manière dont le chef du renseignement français manipule le gouvernement libanais.

source : Observateur Continental

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