Comi Toulabor : « le problème n’est pas l’aide mais la gestion de l’aide »

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Le 20 septembre, l’Afrique a été au coeur des débats à l’assemblée des Nations Unies. Certes, des progrès ont été faits mais les pays africains accusent un retard important dans la réalisation des Objectifs. Interview.

Réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en Afrique relève-t-il de l’impossible? Dix ans après la mise au point des OMD, le continent est toujours à la traîne dans son développement. Conflit, changement climatique, catastrophes naturelles et crise économique sont autant d’explications avancées pour expliquer cette situation.

A l’occasion de la conférence de l’ONU sur l’état de l’avancée des OMD qui se tient à New York du 20 au 22 septembre, Comi Toulabor, directeur du Centre d’Etudes d’Afrique Noire de Bordeaux, analyse les raisons de ce retard.

Youphil: L’Afrique accuse un retard dans sa poursuite des Objectifs du Millénaire. Est-ce que certains objectifs seront au moins atteints?

Comi Toulabor: Peut-être faut-il attendre l’an 3000 pour faire véritablement un état des lieux. (Rires)

Quand on parle de l’Afrique, très souvent on a l’impression qu’on parle d’un seul pays, alors que c’est un continent de 53 pays tout de même. Et tous les pays africains ne sont pas au même niveau de développement, ni économique ni politique.

Est-ce qu’il y a des pays africains qui ont atteint ces objectifs? Le Botswana par exemple. C’est un tout petit pays, dont on ne parle pas beaucoup, mais qui essaie de manager son territoire de telle façon à ce qu’une grande majorité de sa population ait accès à l’éducation et à la santé. Ce pays-là n’a pas attendu les Objectifs du Millénaire.

Le Ghana aussi. C’est un pays qui se débrouille très bien. Dans les années 70, le pays était plutôt apathique. Mais avec les réformes et une certaine bonne gestion, le Ghana est beaucoup plus proche de la réalisation des OMD qu’un pays comme le Gabon.

Ce que je constate d’une façon générale, c’est que le continent est divisé en deux grandes zones. La zone anglophone et la zone francophone. Ce qui est intéressant, c’est que les pays anglophones réussissent beaucoup mieux à la fois sur le plan de la démocratie et sur le plan économique.

Youphil: Comment expliquez-vous ce phénomène?

Comi Toulabor: Les pays anglophones n’ont pas de tuteur international, alors que les pays francophones en ont un: la France. La capitale des pays africains n’est pas Lomé ou Libreville, c’est Paris. C’est ce qu’on appelle la Françafrique.

Youphil: On parle beaucoup de la révolution verte pour l’Afrique. Le plan est-il réalisable?

Comi Toulabor: On agite des mots, mais je pense que tant que l’on ne mettra pas d’ordre dans les pays africains, tant que l’on ne fera pas pression pour que les populations élisent de façon libre leurs dirigeants et les chassent aussi librement s’ils n’ont pas rempli leur contrat, ça ne marchera pas.

Pour un dirigeant africain la révolution verte ne signifie absolument rien. Idem pour l’écologie, l’éducation ou la santé. Il faut que les dirigeants africains eux-mêmes s’approprient ces concepts sinon, ce n’est pas la peine de rester à New York dans des bureaux climatisés et de décréter des politiques pour l’Afrique.

Si ça n’a pas de signification pour les acteurs sur place, ça ne marchera absolument pas.

Youphil: Sachant qu’il est difficile d’effectuer des statistiques en Afrique, comment peut-on mesurer l’avancée des OMD?

Comi Toulabor: Les statistiques ne sont pas fiables du tout. Chaque Etat essaie en fonction d’objectifs particuliers de fournir des statistiques idoines. On va fournir à la Banque Mondiale des statistiques fabriquées pour la satisfaire, idem pour les Nations Unies.

Un pays comme le Togo, par exemple, ne connait même pas le nombre d’habitants sur son territoire. A partir de là, les chiffres sur la population togolaise ne sont que des estimations.

Youphil: La crise est souvent invoquée pour expliquer le retard…

Comi Toulabor: Dans son rapport, les Nations Unies avancent la crise économique récente comme raison du retard. Je pense que la crise est pérenne. Nous ne savons même pas quand ces pays africains sont en crise économique ou politique.

Parler de la crise ne signifie donc pas grand chose. On parle de problèmes alimentaires ou climatique pour expliquer pourquoi ces objectifs n’ont pas été atteints. En fait, il me semble que ce sont des causes-alibis.

Youphil: Selon vous, quelles sont donc les causes réelles du retard?

Comi Toulabor: La plupart des pays africains sont politiquement stables mais sont institutionnellement instables. On a mis en place dans tous ces pays des institutions qui donnent l’apparence de démocratie mais la plupart fonctionnent comme des dictatures à parti unique. On assiste alors à une sorte de confusion entre les différents régimes dictatoriaux, les régimes démocratiques, etc.

Les Parlements vont fonctionner selon leur propre logique, selon une certaine autonomie, une certaine indépendance. Mais c’est l’exécutif qui contrôle tout.

Youphil: Vous pensez qu’il n’y a pas de réel effort de la part des gouvernements africains pour réaliser ces Objectifs?

Comi Toulabor: Tout à fait. La plupart des pays, surtout ceux qui sont potentiellement riches, se moquent pas mal des Objectifs du Millénaire. Et ceci avec la complicité même des Nations Unies et des autorités internationales.

Il manque vraiment une volonté politique, que ce soit dans les pays africains eux-mêmes ou à l’international. Les raisons du retard pour le FMI, par exemple, sont économiques et financières. Le FMI dit qu’il n’y a pas assez d’aide allouée à ces pays là, et que c’est pour ça que l’on a pas atteint les Objectifs.

Mais quand on prend ces arguments un à un, c’est du pipeau. Le problème n’est pas l’aide mais la gestion de cette aide. Elle est clairement gaspillée.

Youphil: C’est-à-dire…

Comi Toulabor: Je pense à l’association Survie qui travaille sur la question des « biens mal acquis ». Cette campagne concerne les dirigeants africains qui gaspillent l’aide et les richesses de leur pays pour investir dans les pays occidentaux.

Prenez le Gabon par exemple. Le président décédé Omar Bongo avait des biens immobiliers, mobiliers, etc. et des comptes en banques en France, en Suisse, partout. C’est de l’argent détourné, tout le monde le sait. Or, on continue de dire que l’aide n’est pas suffisante, alors qu’on sait que cet argent ne va pas au développement.

Youphil: D’après vous, la Déclaration du Millénaire (en pdf) était-elle trop ambitieuse pour l’Afrique?

Comi Toulabor: Je ne dirais pas trop ambitieuse. Non, ça correspond à des constats réels. Mais on n’y met pas les moyens. Je ne parle pas forcement d’argent. Ça peut être des moyens éthiques. L’Afrique vit en dehors du domaine de l’éthique.

Quand on accepte qu’un dirigeant accède au pouvoir par un coup d’Etat en marchant sur les cadavres de sa propre population, et que ce dirigeant est autorisé à prononcer un discours aux Nations Unies, c’est une façon de le légitimer.

C’est malheureux de constater qu’on préfère investir dans le prestige comme au Sénégal avec sa statue de la renaissance africaine et qu’on applaudit. Mais la population ne demande pas ça.

Lucie Crisa

 

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