Le système politique ivoirien, à l’instar de bien d’autres en Afrique, a engendré des voix présentées comme « la bouche de ceux qui n’ont pas de bouche ». Dès la réinstauration du multipartisme en 1990, des artistes (reggaemen pour la plupart) et écrivains, n’ont pas tardé à dénoncer les tares de la société ivoirienne.
Si certains écrivains bravaient souvent la furie de nanan, les artistes musiciens se refusaient de donner, aux responsables des médias locaux, l’occasion de détruire leurs œuvres. L’on est resté avant 1990, dans des titres louant « grand nanan Boigny », Konan Bédié. L’année 1990 fut donc l’année de la libération. L’on disait : « la parole est libérée ». C’est ainsi que l’on a vu éclore des artistes zouglou, (dans les milieux estudiantins), Serges Kassy et rejoint plus tard par Tiken Jah Fakoly. Très proches des classes populaires, ces artistes dénonçaient ouvertement la mauvaise gestion du pouvoir politique.
Lorsque le 19 Septembre 2002, la Côte d’Ivoire est attaquée par des rebelles du MPCI appelée forces pro-Ouattara, le milieu des artistes chanteurs s’est profondément fissuré. D’un côté ceux qui se sont engagés aux côtés de la République pour défendre ses institutions et de l’autre ceux qui n’ont pas jugé utile de défendre la légalité constitutionnelle. Dans le peloton de tête des artistes qui se sont rangés du côté de la République, se trouvent Serges Kassy, Gadji Cély. Suite au coup de force de la France opéré le 11 Avril 2011, ce groupe d’artistes s’est vu contraint à l’exil. A l’opposé, ceux qui avaient signé un pacte avec le mutisme ou dénonçaient bruyamment le pouvoir légal, ont vu, à cette même date, le tapis rouge se dérouler sous leurs pieds. Ce groupe est incarné par Tiken Jah Fakoly.
La brève présentation des artistes chanteurs montre de prime abord que ceux qui sont aujourd’hui en exil, sont les victimes du système tout simplement parce qu’ils ont eu le cran de défendre la légalité constitutionnelle. Voici leur malheur.
Quid des artistes qui font la pluie et le beau temps du régime ivoirien ? A ce niveau, il y a lieu de faire des précisions. Il y a d’un côté ceux qui pendant cette période de crise n’ont fait que tirer sur le pouvoir légal et ceux qui, à la faveur des échéances électorales et de l’installation de Ouattara au pouvoir, ont mis les pieds dans le plat. On ne pourrait pas dire que ce sont des engagés purs et durs, mais plutôt des militants tenaillés par le désir de devenir « quelqu’un ». Intéressons nous au leader
de ce groupe, Tiken Jah Facoly. Tiken Jah Facoly, nous l’avons connu pour ses textes incisifs contre le régime Bédié. Il suppliait le peuple à aller « dire aux hommes politiques d’enlever nos noms dans leur business » parce qu’on aurait tout compris.
Mais, avec l’occupation du nord pendant 10 ans par la rébellion, on aura compris que ce monsieur n’a rien compris. Lorsque cette rébellion éclate, il part s’installer au Mali d’où il se comporte comme le chargé de communication des forces pro-Ouattara. Qui ne se rappelle ses titres orientés contre le pouvoir : Massadje, promesses bla bla bla, quitte le pouvoir etc. Pendant tout ce temps, les rebelles écumaient le nord dont il est ressortissant. Tiken Jah n’a jamais osé dénoncer le pillage des ressources
du nord, les massacres des populations civiles, les viols et autres crimes contre l’humanité. Son combat, que Gbagbo « quitte le pouvoir » parce qu’il serait « malélu ». La crise malienne vient de nous dévoiler que ce monsieur a un véritable problème avec son engagement. Tiken Jah est aujourd’hui au Mali pour défendre la légalité constitutionnelle. Selon lui, le coup d’Etat au Mali « perturbe le processus démocratique ». De deux choses l’une, soit Tiken Jah ne sait pas ce qui signifie légalité constitutionnelle et il a toute notre mansuétude, soit il préfère offrir sa famille aux voleurs et là nous diront qu’il pratique la sorcellerie à ciel ouvert.
En côte d’Ivoire, son pays, Tiken Jah a bafouillé la légalité constitutionnelle en soutenant la rébellion armée. Au Mali, Tiken bafoue la rébellion et soutien la légalité constitutionnlle. Sacré Tiken ! Mieux Tiken Jah n’a jamais fait un don aux camps de réfugiés parcemés à l’ouest, Il n’a jamais appelé les Frci à arrêter les massacres ni demandé a Ouattara de mettre un terme à la souffrance du peuple ivoirien. Drôle d’artiste engagé ! C’est aussi cela les négreries. Les nègreries sont contagieuses c’est pourquoi, l’on a pu voir émerger des artistes aux « ambitions estomacales » prononcées. N’guess Bon Sens, celui qui pendant les campagnes présidentielles porta la double casquette de professeur et de muezzin. Tantôt il notait les refondateurs, tantôt, il appelait Bédié au secours. Vu la situation actuelle du
pays, nous pensons que N’Guess a une belle occasion de non seulement, noter la solution, mais surtout d’appeler Dieu pour qu’il vienne sauver le pays. N’Guessan est rentré dans ses chaussettes blanches, silence radio sur la souffrance des ivoiriens.
C’est aussi cela les nègreries. Que dire de Noel Dourey ? L’ancien pensionnaire des géôles du Togo avait rompu les liens avec sa lame rasoir. Selon lui, sa barbe continuerait de pousser jusqu’à ce que ouattara, soit placé au sommet de l’état. Ouattara est installé au pouvoir, Noel est émerveillé par les lambris dorés, il n’a plus la voix pour défendre le peuple ivoirien. Qu’il ne nous dise pas que nous sommes aigris ou complexés. C’est aussi cela les negreries. Affou Kéîta, celle qui a officialisé le terme cafri ou encore boussoumani ( les mécrants, les non musulmans). Elle plaque un long sourire lorsqu’elle est qualifiée, à tord, étoile montante de la musique féminine ivoirienne. Enfin ! nous sommes dans la république du désordre, ça se comprend. A la vérité elle n’est pas une artiste engagée, elle est plutôt une griote intéressée. C’est pourquoi, voulant être en cohésion avec la politique de rattrapage
ethnique du pourvoir, elle n’a pas hésité à dire à Gbagbo :« kafri tchè ika i yrè bla kola » (mécréant, non musulman tu t’es mis dans problème). Mais sur les souffrance des « cafri » et du peuple « élu », Affou Kéïta se masque derrière son militantisme. C’est aussi cela les nègreries.
Parallèlement aux artistes chanteurs ou musiciens, nous avons les écrivains. Certains combinent la qualité de journaliste et d’écrivain. Marquons une pause sur la paire Vénance Konan-Tirbuce Koffi. Le mariage tribal entre ces deux personnes a été tissé avec deux fils. Le premier fil vert, celui du Pdci donc conservateur et attaché
aux errements du parti unique (Vénance Konan) et le second un fil rouge qui traduit le plus souvent le regard vif, plein de colère et d’aigreur d’un certain deçu de Laurent Gbagbo (Tirbuce Koffi).
L’essentiel de la littérature décennale de venance Konan consistait à présenter Gbagbo comme un criminel de la pire espèce. Dans ses chroniques, jamais il n’a porté de gangs. Engagement avons-nous dit. Mais son engagement est pleine de nègreries qui déchire le pelage de la colombe la plus docile. Venance Konan est un chantre de l’ivoirité de Bédié. Qui ne se souvient pas de sa question « où est ton village » posée à Ouattara présenté comme un imposteur, voleur de nationalité ?
Nous avons encore en mémoire sa position sur le code électorale en 1994. Lisons-le une seconde : « Pour ma part, je pense que si ce code électoral était dirigé contre Monsieur Alassane Ouattara ce serait une très bonne chose. »
Le « Senghor » de l’ivoirité, est aujourd’hui l’un des zélés défenseurs de Ouattara, celui qui n’a pas de village, ce voltaïque contre lequel le code électoral devait être dirigé. Vous avez dit nègrerie ! Pour justifier ce revirement spéctaculaire, monsieur nous apprend que jusqu’à la fin de 1998, il agissait sans réfléchir, comme un partisan (jeune Afrique 31/01/2011). Nous sommes donc en droit de penser que ce monsieur agit toujours sans réfléchir. Où est donc passée sa prise de conscience ? Face au désarroi des ivoiriens, aux violations de nos lois, à la clauchardsation rapide des couches poplulaires aux tueries sacerdotales auxquelles s’adonnent les Frci, ce monsieur a offert sa plume aux chasseurs traditionnels dozos, désormais, incarnation des valeures républicaines. C’est aussi cela les nègreries.
Tiburce Koffi, le rouge, l’homme de la gauche, l’ami de Gbagbo devenu subitement un ultra libéral, un « ado Boy », un défenseur patenté des solutions en pleine dissolution en Côte d’Ivoire. Il y est parvenu après que Vénance Konan lui ait « ouvert les yeux » (jeune Afrique 31/01/2011). Vous avez dit nègreries !
La lecture de ses écrits nous montre à quel point l’homme a du mal à domestiquer ses convictions. Nonobstant l’acte salvateur de son ami Konan, il semble que ses yeux sont toujours fermés. Ils s’ouvrent précairement lorsqu’il s’agit de voir les taresde Gbagbo. Mais quant il est question de présenter celles de Ouattara, ils restent fermés. Fermés sur la Côte d’Ivoire tyranisée par la solution, la côte d’Ivoire des gens qui meurrent « comme ça », la Côte d’Ivoire des gens qui mangent par hasard alors qu’on leur avait promi des mets en or. Ses yeux sont fermés sur ce pays qui courre tout droit dans le mur avec le peu d’intérêt que ce pouvoir accorde à l’homme. Sur ces graves dérives, les yeux de Koffi sont hermétiquement formolisés. C’est aussi cela les nègreries.
Qu’on se taise donc et que la danse des plats fumants continue. Vous avez dit
Nègreries !
Alain Bouikalo
Juriste-consultant