Citoyen Autrivois ( La pédagogie du non, VIe partie )

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Le devoir m’appelle : participer en citoyen à une identification criminelle à propos d’un viol c’est-à-dire un jeu de coït avec des cris. Des cris de fauve. Même pas. Les fauves ne crient pas pour ça. Ils se résignent. La résignation plus animale que n’est le consentement. 
 

Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux spectres ont évoqué le passé -Te souvient-il de notre extase ancienne ? -Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?
Paul VERLAINE

  Née à Berlin ; Allemagne 1884. Sur une table. Fille d’un viol en réunion. Une femme à l’est, bébé au dos, à l’ouest un crachat à l’approche de l’ Aïd el- Fitr. Vue sur une carte, on l’aurait confondue avec une mendiante, debout sur la côte du Bénin, les mains mutilées tendues, le regard ailleurs, les pieds dans l’océan : La République de l’ Autrive. Ma patrie. La terre qui m’a vu naitre et dont j’ai épousé le destin : un mélange d’abjection et de récréation.

Ma mère connut mon père à la lueur d’une lampe à pression Tito-Landi ramenée d’une aventure. C’était bien longtemps. Les jeunes filles formaient alors un cercle autour du conteur du village, à papoter à longueur de nuit ; au clair de lune ou sous l’ éclairage vacillant de ce foyer. Les seins nus, fermes, tachés de lumière, vibraient au rythme des rires. Parfois prises d’effroi, malmenées par la voix grave du conteur qui inventorie cyniquement les détails horripilants de macchabées mangés par des asticots, elles emprisonnaient dans leurs mains de laboureuses, les belles poitrines en se balançant de gauche à droite. Un de ces jours là, où la frisson courut encore l’échine de ma mère, elle se blottit, apeurée, dans les bras du mon père, le roi de la nuit : ce fut le point zéro de ma terne étoile.

Je connus en digne fils de mon père des aventures qui me ramenèrent à cette lueur vacillante. Au commencement, une grande nuit. Un jour d’éclipse lunaire. Des casseroles frappées, battues qui hurlent sur le soleil ; ce dieu qui coïte sur nos têtes , enfermé dans son ahanement. Dans le firmament. Sourd aux plaintes des mortels. Lié à sa partenaire comme un chien à la chienne. Il fallait, selon une croyance autrivo-africaine, l’assourdir jusqu’à ce que, désemparé, honteux, il se dessaisisse de sa prise. Chaque seconde d’embrassade comptait déjà en années de malheur sur terre.

Moi, Je me suis couché sous l’assemblage de trois pagnes étendus en tipi de fortune. A un coin de la vaste cour, près du poulailler du voisin. Avec deux garçons de mon âge. Cet âge où nous trompions les adultes à jouer aux innocents, aux « enfants qui ne savent pas ce qu’ils font », comme les bourreaux de Jésus Christ. Nous avons osé, cette nuit d’éclipse, cette nuit de viol astral, nous mettre nus pareils aux adultes dans l’intimité de leur chambre. A l’abri de tout regard. En retrait du tumulte des casseroles protestataires qui couvait nos peurs. Que sais je de la peur des autres ? L’antidote à la mienne, je l’ai cherchée, à tâtons, jusque dans le sillon interfessier, anonyme, de celui qui me faisait dos. Je ressentais descendre dans mon corps une sève de plaisir que décuple le risque.

Et l’odeur, cette effluence qui émane de là… de tous les points d’ accolement où la chair rencontre la chair. Cette odeur petite, toute petite comme la fiente de coq, cette odeur que l’on aime que quand l’on a envie de l’aimer. Seulement dans ces moment là ; ces moments de désir. Apres quoi elle révulse comme la tête d’un serpent qui sort soudain de votre couverture, ou même le contact frais de son corps avec votre corps. Corps à corps . Et cette senteur grisante de l’entrefesson qui vous colorie la main et que vous approchez discrètement, très doucement de votre narine.

J’étais dur. Un crochet suspendu au milieu de mon corps que ce phallus. Debout. Dans le noir épais qu’attaquent les bruits dehors, je jouais à le faire sautiller. Serré entre deux corps comme ma République de l’Autrive, quelque chose montait en moi en coulée agréable. Une appétence. Entre deux désirs. Le désir que j’offre et celui qui s’offre à moi. On me prend… Que dis-je ? J’étais plutôt pris, ou, si l’on veut, occupé à vouloir prendre. Mon derrière qu’on ouvre avec précaution pour libérer le parfum des sens.

El la lumière croît dehors. Le Soleil jouit ; libère sa semence et sa proie. Le vacarme des hommes se liquéfie dans la chaleur .
La tête de l’homme n’oublie jamais les choses dans lesquelles elle s’est fourrée. Le fourreau reconnait au toucher la lame qui l’a violé. Le crabe marche, même si de guingois il va. La raison du soleil là haut c’est pour sécher les pieds qui sortent de l’océan. L’éponge qui va à la douche, en sort avec des pleurs. Et puis la poésie de la vie se lit seulement avec l’avers et le revers de LA LIBERTE. Il n’y a point d’autre alternative pour l’homme. Depuis la conception tout est plié. Mieux vaut rentrer la queue !

Le devoir m’appelle : participer en citoyen à une identification criminelle à propos d’un viol c’est-à-dire un jeu de coït avec des cris. Des cris de fauve. Même pas. Les fauves ne crient pas pour ça. Ils se résignent. La résignation plus animale que n’est le consentement. Pour une fois qu’une certaine lune, lumineuse et onctueuse, crie toute seule ! Sans l’aide de personne pour la soustraire au soleil tout chaud. A cette heure d’angoisse l’ Autrive dort encore du sommeil comatique du juste.

Etre un suspect doit être excitant. Parmi d’autres suspects, un suspect vrai ; un célèbre, populaire. Je voudrais bien jouer à être le vrai, moi. Nous étions cinq. Quatre faux suspects pris au hasard mais qui ont chacun la tête du vrai ; du délinquant camouflé parmi les Cinq. Le hasard me fit attribuer le numéro 3. Bien que je ne fusse suspecté de rien, j’eus droit à un chiffre quand même. Un matricule impair…pour brouiller la piste. Voilà. La victime doit pouvoir reconnaitre le vrai suspect.

La tête du numéro 4 sur ma droite ne me revient pas : il avait, qui ressemblent à des serres, de grandes et larges mains tout ornées d’or. Il faut les avoir ainsi, n’est-ce pas, pour emprisonner celles de la victime dans une seule. Ensuite utiliser la libre à se faire entrer en elle. A fond. Encore faut-il être bien membré pour ne pas sortir au moindre secousse. J’ ai vérifié : son caleçon était plein de muscle qui serpente jusqu’au niveau de la cuisse. Mon choix donc est fait. On n’a pas besoin d’être policier ou même d’une scène d’identification pour coincer le criminel ! Je me frottai la main et me suis surpris à ricaner. Les autres me regardent. Mon vrai suspect aussi comme l’insolent voleur crucifié avec le fils à Marie, qui se moque du Rédempteur…

Les choses sont ou simples ou compliquées. Simples finalement pour les autres qui sont rentrés chez eux. Compliquées pour le porteur du numéro 3. Il est désigné comme le vrai suspect. La confrontation avec la victime ne pouvait avoir lieu ce jour puisque sa tête ne se prêtait pas à un interrogatoire. Trop éméché le gars disait l’inspecteur. Il doit cuver son rhum coco. On ne joue plus. Il n y a aucun danger avait pourtant déclaré le recruteur tantôt sur la chaussée lorsque les pas de celui qui prit le numéro 3 l’ emmenèrent à ce bistrot. Il n’ y avait aucune raison de ne pas avoir confiance en la République. Même avec un mauvais numéro. Seulement il ne doit pas faire bon l’avoir, attaché au cou, pendu comme l’organe copulateur d’un canard déchainé !

Je me croyais encore dans mon lit. En fait j’ai dormi au commissariat, recroquevillé sur une banquette au bois lisse. J’ai rêvé aux moments où nous jouions aux innocents, à tromper les adultes. Le tipi, les odeurs et les autres me reviennent. Le visage de la prêtresse vodou aussi ; qui me dit un soir où je la croisai au Carrefour Des Cons ; un soir parmi ces soirs de plaisir où l’odeur musquée des moiteurs m’accompagne : « T’ auras un destin confondu ». Trois coups secs, presque brutaux me tirèrent de ce rêve éternel.
L’heure de la confrontation. On m’emmena dans une salle. Mal réveillé. A la question, j’ai répondu que j’étais assez bien, prêt pour confondre l’homme ou la femme qu’on a violée. Parce que maintenant avec l’égalité il n y a plus de différenciation naturelle. Le genre : des conventions administratives dépassées. Homme à homme, femme à femme. Egal ! C’est une question d’intelligence. De raison à foison. D’humanité il me semble.

La porte s‘ouvre sur un corridor. Dans le pénombre une silhouette féminine avance, ventre à l’air. Une chute de hanche moulée dans une jupe qui descend à mi chemin des genoux … Je l’ai tout de suite reconnue avant qu’elle joue à me reconnaitre. À jouer à la victime d’ un vrai suspect devenu faux et un faux suspect devenu vrai. Il ne reste que nous deux dans cette affaire. Autant en finir immédiatement. C’est clair. Je la connais avais-je tout de suite déclaré. On m’a dit de me taire ; pourtant je ne jouais plus. C’était à elle de me reconnaitre. Comme si les deux ne se valaient pas ! Elle avait le bon rôle : Une victime. En somme celle qu’on doit plaindre.
Elle parla longuement, avec des détails et ce gestuel féminin, négroïde, que je lui connais bien. Reviennent souvent les mots sodomie, déchirure. Le policier m’a demandé si je reconnais l’avoir forcée à se laisser m’introduire par là. Affirmatif. Tout naturellement. Je ne pouvais pas jeter mon argent pour rien. Ces bons plaisirs là, s’achètent. Et comme elle en vendait, j en ai pris pour le dixième de mon salaire. Une seule et unique fois…

…Elle s’est trompée de date dans son discours monotone. Il y a sept mois que nous avons fait cette partie de c…dont elle parlait. Je n’avais plus les moyens de me l’offrir de nouveau. Trop chère pour mon budget. Mais elle a déclaré, péremptoirement, que c’était hier. Comment hier ? Maintenant j’ai envie de rentrer. Je l’ai répété trois fois. Personne ne semblait m’écouter. L’agent qui était sorti, revint peu de temps après avec des papiers à signer. J’ apposai rapidement ma signature après avoir parapher ces cinq inutiles pages que je ne pris même pas la peine de lire. C’est ennuyeux. Je me levai. Une main pesa sur mon épaule et me fit rasseoir. Une main subitement méchante.

« T’auras un destin confondu dans ce pays, te voilà dans un cul-de-sac ! » Je secouai la tête pour retrouver la frontière entre le rêve et l’éveil. Et cette pensée fofolle qui m’assaille…Dans ma poitrine, mon cœur se mit à battre. Les visages autour de moi se froncent tour à tour, graves. La salle se vide. La lourde porte se ferme et s’ouvre de nouveau sur des bracelets dont le cliquetis me fit sursauter. La République ne doit rien aux misérables…

Anani Alex Gomez Logo

Journaliste, communicologue Conseiller en communication, 3G
 

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