Je m’apprêtais à t’envoyer une lettre de condoléances à la suite de l’annonce de la disparition de ton père, quand les événements se télescopent et te placent au centre d’une controverse politico juridique qui risque de te porter de graves préjudices.
Comme tu le sais et aime à le dire toi même, il y avait autour de ton père, ceux qui servent leur ventre et ceux qui étaient convaincus qu’avec un peu de courage et de bon sens, on pouvait améliorer la vie des Togolais.
C’est parce que je pensais que soutenir le Président Eyadema dans une logique qui l’oppose aux intérêts vitaux du pays et fait de lui «un argentier tropical» au service des réseaux extérieurs, ne revenait pas à rendre service à la nation, à lui-même et à sa famille, que j’ai tiré sur la sonnette d’alarme.
En prenant le risque de m’opposer à lui, j’espérais provoquer un choc qui l’amène à remettre en question sa façon de conduire les affaires, et à renoncer à la dérive que prenait son pouvoir. Bien entendu, je ne m’attendais pas à être accueilli avec des fleurs, mais quand on a de l’attachement pour un homme, on doit lui dire la vérité quoi que cela coûte.
C’est au nom de ce devoir de vérité et à ma façon de rester fidèle à l’attachement que j’ai eu pour ton père, que je t’envoie cette lettre.
Essozimna, ton parcours universitaire aurait du t’éclairer à te garder de prendre des risques qui te font passer dans l’opinion internationale comme un imposteur, et un dictateur amateur.
Ton irruption sur la scène politique nationale a endeuillé déjà huit familles, provoqué la colère de tes compatriotes, et une condamnation unanime de la communauté internationale.
La première puissance mondiale te somme de rendre immédiatement le tablier sous peine de mesures de coercition plus contraignante pour le reste de ta vie, ainsi que celle de tes proches. Comment t’es tu laissé tombé dans ce guêpier? Alors qu’en laissant simplement jouer la légalité constitutionnelle tu avais toutes les chances de convaincre ton parti le RPT que tu étais le meilleur parmi tous les prétendants à rassembler à gagner la prochaine compétition électorale et succéder à ton père par le suffrage universel, surtout que tu as reçu le serment de NATCHABA qu’il ne participera pas à la prochaine compétition électorale. Tu as préféré un raccourci qui illustre la fébrilité de tes courtisans, et l’appréhension de perdre les privilèges souvent injustifiés dans lesquels, tu as grandi. Il n’est secret pour personne que c’est toi qui gère, l’immense fortune réelle ou supposée de ton père évaluée en plusieurs centaines milliards de francs CFA qu’il faudra bien justifier le moment venu. La gestion hasardeuse du patrimoine nationale, les commissions touchées sur le pétrole togolais dont l’extraction n’a pas encore commencé devront être élucidées en relation avec une dette extérieure chiffrée à plus de MILLE MILLIARDS de FRANCS CFA. Le droit d’inventaire doit être exercé en toute transparence et sans menace exercée par le biais des forces obscures à votre disposition dont la mission est d’exercer la terreur pour contraindre au silence les esprits curieux. Ce n’est pas tolérable après que ton père ait accédé au pouvoir par un assassinat politique, qu’il se soit maintenu pendant plus de 38 ans par la force, tu inaugures ton accession au sommet de l’Etat par un triple coup d’Etat: militaire, parlementaire et constitutionnel! Cela ne fait pas sérieux.
J’ai suivi tes justifications de la légitimité de ton pouvoir par l’annulation des bidouillages de la Constitution et autres tripatouillages du Code électoral.
Quoique tu dises, le mal est fait et tu ne peux pas te départir de ton image de putschiste et d’assoiffé de pouvoir, à moins que dans un sursaut de bon sens, tu te désolidarises de ceux qui t’imposent ce triste numéro de marionnette sans repères.
Plusieurs erreurs te dénient le droit de rester plus que de raison à la tête de l’Etat pour conduire la transition devant déboucher sur des élections présidentielles transparentes ouvertes à tous et sur la base de la Constitution du 14 octobre 1992, plébiscitée par le peuple togolais.
La première de ces erreurs, c’est ta complicité avec les auteurs du coup de force du 5 février, dont tu apparais comme l’heureux bénéficiaire. Comment un universitaire de ton rang peut-il accepter de se faire nommer par des officiers de l’Armée à la tête du pays?
Tu pensais que cela pouvait passer comme une lettre à la poste, les Togolais étant habitués depuis des lustres à se courber devant les pires ignominies de ton père, la peur au ventre.
Et face à la colère des Togolais relayées par l’ensemble de la Communauté internationale, tu empruntes le raccourci parlementaire pour légaliser une imposture irrecevable dans toutes ses coutures.
La deuxième erreur: pour la première fois au Togo, un ancien parlementaire qui a perdu son mandat du fait de l’exercice d’une fonction exécutive, retrouve son statut de député, non pas par la volonté du suffrage universel, mais par la réécriture du code électoral conflictuel adopté par une assemblée nationale aux ordres, et promulgué par ton père dont le seul souci est de conserver la haute main sur la gestion de l’appareil d’état.
Comment avec ton statut de «Chef d’Etat désigné» par un groupe d’officiers le 05 février, tu peux par la magie noire d’un apprenti sorcier blanc, redevenir député le 06 février pour les besoins de ton ambition?
Un Président de la République qui siège comme député à l’assemblée nationale, cela est déjà assez singulier. Mais un Président de la République élu Président de l’Assemblée nationale, c’est franchement cocasse, et il faut avoir une certaine idée de sa dignité pour se faire ridiculiser à ce point.
Essozimna, Tu n’étais plus député, tu n’es toujours plus député, et tu ne pouvais pas prétendre au poste de PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE. Toute autre démarche relève d’une contorsion politique.
Troisième erreur: la destitution de Natchaba. Comment peux-tu faire croire aux Togolais que la procédure qui t’a conduite au perchoir est légal quand tu contrains à l’exil ton mentor, le Professeur Natchaba, qui revenait d’une mission officielle de Bruxelles et qui fut empêché de rentrer au Togo?
Dis moi sincèrement, qu’est ce qui justifie qu’une motion de défiance soit engagée contre le Président en exercice de l’Assemblée Nationale, si ce n’est pas cette volonté de d’usurper le pouvoir politique?
Aujourd’hui, on nous fait savoir que Natchaba est mauvais, qu’il est détesté par l’armée, et que l’opinion ne l’aime pas. Même vos journaux stipendiés en font l’écho sur la scène internationale.
Le tort de Natchaba est d’avoir servi au mépris de sa dignité et de sa vie, les caprices de ton père. Tous ses services à crédit rendus à ton père lui ont valu un sentiment d’antipathie réelle ou virtuelle au sein de l’opinion, mais c’est bien lui que la CONSTITUTION DÉSIGNE POUR ASSURER LA TRANSITION, ET CELA EST NON NÉGOCIABLE.
Tu savais bien que selon les dispositions de l’article 144, toute tentative de modification de la constitution pendant la période de vacance du pouvoir relève d’un crime imprescriptible, néanmoins cela ne t’a pas empêché de faire des opérations chirurgicales pour t’offrir le luxe insolent de vouloir achever le mandat usurpé de ton père qui prendra fin en 2008.
Même ton défunt père qui fait de la Constitution et des Lois de la République son marchepied, n’avait pas touché à l’article 65 de la LOI FONDAMENTALE.
Tous ces impairs ne me surprennent pas outre mesure: au-delà de la sentence de la biologie, c’est une implacable continuation de la prédation néocoloniale avec ses relais domestiques.
Ce sont les mêmes qui ont poussé ton père dans son isolement vis-à-vis du peuple, qui te poussent à t’éloigner du bon sens. C’est le même réseau transnational qui te prend en otage et te manipule à tuer tes compatriotes.
Ce sont les mêmes conseillers de mauvais augure, qui t’encouragent à te vêtir de l’habit d’un tyran junior, pendant que loin du feu des projecteurs, dans l’anonymat et en toute impunité, ils siphonnent la seule chose qui les intéresse: «votre» argent.
Oh bien sûr, tu es libre de te laisser abuser et manipuler, si c’est ton choix. Mais réfléchis bien: combien étaient-ils à courir avec toi ce 05 février 2005, pour sauver ton père?
Et quand il a rendu l’âme dans un avion au milieu de nulle part, combien de billets CFA a-t-il emporté pour se désaltérer pendant son voyage vers l’au-delà?
Ici bas tout est vanité; la seule chose qui soit vraie c’est qu’à la dernière heure, ce n’est ni le Président, ni le Général qui meurt, c’est l’homme dans toute sa faiblesse qui s’éteint. Et le seul héritage qu’il laisse, c’est l’Homme qu’il aura été. Quel homme seras-tu ce jour là? Telle est la question.
Que Dieu t’éclaire en ce moment difficile de ton existence.
Choisy la Victoire, ce 20 févier 2005
Agbéyomé Messan Kodjo
Ancien Député, Ancien Président de l’Assemblée Nationale
Ancien Premier Ministre