Pour renouer le dialogue, le « gouvernement « ( appelons la chose ainsi pour faire plus court) a fait, le 12 août 2011, une déclaration solennelle à l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire. Exclamons-nous avec l’homme de la rue : « Extraordinaire, mais vrai! ».
Je parle ainsi tout juste parce que je ne savais pas que l’on avait besoin de renouer le dialogue au Togo, étant donné qu’il était déjà permanent au sein d’une institution nommée « Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation ». En plus d’un Comité de suivi machin…,d’un dialogue AGO-RPT… dont l’ambassadrice des États-Unis s’est félicitée dans le discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire du plus puissant pays du monde. Soit dit en passant :les facilitateurs habituels n’étant plus vraiment crédibles au Togo, il a bien fallu que d’autres, à des titres divers, se dévouent pour prendre leur relève, en vue de faciliter l’existence à un pouvoir boiteux qui se sait illégitime. Mais, cela ne suffit pas.
Je commence à le dire sans ambages, à la manière des slogans : « Nous,on est des radicaux! » Comprenne qui voudra, mais nous sommes satisfaits et même fiers de l’être car nous sommes des milliers de Togolais à ne pas croire au dialogue RPT, c’est-à-dire à n’écouter que ce que nous dicte le bon sens politique simple et populaire, bon sens instruit par plusieurs décennies du règne RPT : c’est un changement radical qu’il faut au Togo. Au RPT, parler de dialogue est facile.
On peut même dire que la base de l’idéologie politique du RPT est le dialogue, „ franc, sincère“. Seulement, nous savons depuis des décennies que ces termes ont des significations spécieuses au RPT. L’ère du fils est bien le prolongement en droite ligne de celle du père. Eyadema était l’homme du dialogue. Rappelez-vous qu’à la veille de la Conférence Nationale Souveraine, rejetant cette dénomination du grand rassemblement national que la majorité des Togolais réclamait pour poser les bases d’un Togo vraiment démocratique, il avait proposé qu’elle fût remplacée par « Forum de dialogue ». Dialogue! Dialogue! Dialogue! Résonne le tam-tam. Eyadema avait donc légué cette haute vertu, ou ce tam-tam, si vous voulez, à son fils. Et le fils, comme le père, garde précieusement le tam-tam sacré pour ne le sortir qu’à des occasions prévues par le rituel en vigueur au RPT.
L’homme triche, fraude et tue en parlant de dialogue, les yeux cachés derrière des lunettes noires, environné d’un nuage compact et ténébreux de policiers et de militaires, menaçants, prêts à fondre sur les supposés interlocuteurs en face, non seulement les leaders, mais aussi la foule des opposants, sous la forme d’une pluie d’obus, d’un déluge de balles, de coups de matraque et de gourdin au cas où ceux-ci ne se plieraient pas aux quatre volontés du général. Ce n’est pas un jeu métaphorique gratuit puisque nous avons réellement vécu la chose, certains dans leur chair, certains y ont péri noyés, mais tous, nous l’avons vécue dans notre cœur et notre esprit.Sur ce plan, toujours dans cette idée que le fils ressemble bien au père, je trouve très significatif le portrait de F. Gnassingbé, tel qu’il a été présenté pour illustrer l’article du Correcteur de Togocity Vers un énième marché de dupe de Faure Gnassingbé 1 Cette image, pas du tout caricaturale, est peut-être prophétique,d’une tragique prophétie. Un œil attentif au contexte interprétatif remarquera le judicieux effet de clair-obscur, et de l’utilisation de la couleur rouge, la partie claire abritant dans un coin où il se trouve réduit, un petit drapeau togolais( les valeurs togolaises), la partie obscure baignée de rouge sang. Est-il besoin de dire que nous avons là un résumé de ce qu’on prétend nous offrir par ce dialogue et de ce qu’on tente de nous cacher en réalité, bien qu’il ne soit plus possible de cacher quoi que ce soit à ceux qui observent bien l’histoire du Togo des Gnassingbé et qui méditent là-dessus? Quant au rouge qui recouvre la moitié du visage du personnage, il se passe de commentaire.
Et pourtant, certains font semblant de croire en ce dialogue. Ou certains sont contraints de le subir. Ame de ame nu… Peut-on interpréter ce proverbe ewe ainsi: quand le plus fort résonne et que les détonations émanent de toutes les parties de son corps, il vaut mieux se faire tout petit devant lui et reconnaître bien vite qu’il a raison? Cependant, dit un autre proverbe,, on peut faire moins de bruit même en étant le détenteur de tous les pouvoirs du monde, de toutes les foudres capables de détruire tout l’univers.
Dans tous les cas, humblement, nous avons peut-être le droit de nous interroger pour savoir dans quelles circonstances on résonne si fort, on parle de dialogue aujourd’hui. Deux « raisons essentielles », deux raisons de battre le tam-tam sont évoquées:
1° la mise en œuvre des recommandations de la mission d’observation électorale de l’Union européenne,
2° ( la nécessité ) des réformes institutionnelles et constitutionnelles prévues par l’Accord Politique Global (APG).
Est-il besoin de dire que ces motivations ne sont qu’apparentes? Cherchez les vraies motivations!
Et, dites-moi, ces conditions minimales exigibles pour un régime vraiment démocratique n’existent pas au Togo et Gnassingbé a été élu deux fois „président de la République“? À moins qu’il n’ait jamais été réellement élu. Et nous avons une Assemblée Nationale élue au suffrage universel? Ah! J’oubliais que „ député“ au Togo ne signifie pas élu du peuple, puisque les députés peuvent être destitués selon le bon vouloir du prince. Ce n’est, bien sûr, pas la première fois que notre « gouvernement »( appelons la chose ainsi pour ne pas nous perdre dans de longues circonlocutions ) s’égare dans ses propres incohérences, à force de vouloir tout le temps tromper les Togolais, les prendre pourdes cons.
Au fond, je croyais que des recommandations de ce genre avaient été déjà traduites dans le texte de l’APG, que nos grands politiciens qui ont élaboré l’APG sont aussi compétents que les experts de la mission électorale de l’UE pour savoir dans quelles conditions des élections fiables sont possibles au Togo. Je croyais même que ces recommandations étaient traduites en actes dès le retour triomphant et souriant de Ouaga en 2006, depuis que Bodjona claironne partout qu’il est en train de faire des réformes. « Silence! On réforme! » pour sourire tranquillement avec l’écrivain ivoirien Jean-Marie Adiafi[1]( paix à son âme ). Adiafi a bien su démonter dans son livre, avec une ironie mordante, la mécanique du mensonge politique en Afrique et sur l’Afrique. Le „conseil des ministres“ ( appelons la chose ainsi pour ne pas paraître vouloir polémiquer sur les termes) qui a fait la déclaration tonitruante, sait-il simplement qu’il est en contradiction avec lui-même en invoquant ces deux raisons pour inviter les acteurs de la vie politique au dialogue? À moins que…à moins que l’APG n’ait pas pris en compte toutes les recommandations de l’UE déjà contenues
dans les 22 engagements, ou que, les ayant théoriquement prises en compte, le„ gouvernement“ ( appelons la chose ainsi pour éviter une périphrase qui pourrait engendrer une bagarre inutile) n’ait pas mis à exécution ces recommandations depuis 2006, depuis la date de signature de l’APG. En sorte que, comme l’écrit Nima Zara, le Correcteur 277 de Togocity, »les grandes prescriptions de l’APG sont restées jusque-là lettre morte dans la majorité ». En sorte que l’UE, „tutrice“ de notre pays, reste à côté pour surveiller le Togo, pour rappeler le « gouvernement » togolais à l’ordre…
Mais jusqu’à quand ? Le véritable problème est que l’UE sait comment ça fonctionne réellement, c’est-à-dire qu’elle sait que c’est seulement un fonctionnement desurface. Et elle, l’Union Européenne, aurait peut-être bien pu secontenter de ce fonctionnement de surface, mais redoute qu’un jour la machine explose et que ceux qui la font fonctionner en apparence, mais garantissent ce qu’on appelle la stabilité (je n’ai pas dit les intérêts constants de l’UE ) soient emportés dans l’explosion, commecela s’est déjà passé ailleurs, dans le monde arabe, en commençant par la Tunisie. Alors, l’Union Européenne fait pression sur le « et celui-ci veut à la fois rassurer l’UE et en même temps tester, encore une fois, sa propre théorie du dialogue, sa « machine à dialogue », c’est-à-dire sa tactique de base qui lui a toujours réussi. Il faut toujours s’assurer que ça marche, pour ne pas être pris au dépourvu. En fait, il n’y a aucun pouvoir usurpé, dictatorial, illégal, si fort soit-il, si tentaculaire, même soutenu de l’extérieur par les plus grandes puissances, qui puisse se vanter de ne pas être ébranlé par le vent des révoltes actuelles dans les pays arabes.
Le raisonnement du RPT a dû être le suivant : « Parlons de dialogue, comme les autres fois, et ils (personne n’est nommé) vont venir, comme les autres fois, puisque comme les autres fois, il y aura des postes à distribuer, un probable remaniement ministériel en vue, un éventuel nouveau premier ministre à nommer…Et puis il y a des élections en 2012 : être député, être maire…ou simplement membre de la CENI, ou d’une institution quelconque, d’un comité…ce n’est pas ce qui manque au Togo et d’autres peuvent encore être créés pour les besoins de la cause par notre généreux » gouvernement“, pourvu que ce soit bien rémunéré! Rares sont ceux qui iraient dire non à ce genre de privilège. Même si ce n’est un secret pour personne qu’il s’agit d’un cadeau du RPT. Oui, être député, même quand on pense qu’un député peut être destitué! Au moins un mois, quelques mois…Un an, quelques années…! » Nye tchã ma du vide, Mu nyi kpogbeno e djim o » ( C’est la devise de celui n’est pas né de la mère « Je-refuse-les bonnes-choses»)
La référence à l’APG, à l’heure où plusieurs de ses signataires ont pris leurs distances par rapport au pouvoir RPT, parfois après des déceptions, des fâcheries et même des blessures douloureuses, une angoisse permanente, tout cela dû à la perfidie des tenants du clan Gnassingbé, cette référence n’est pas un mauvais argument:“ Chers et nobles amis de l’AGP! L’APG est notre enfant commun, venez le nourrir avec nous. Ne l’avons-nous pas signé ensemble à Ouaga? N’étions-nous pas tous contents, souriants ce jour-là, d’avoir réalisé la plus belle œuvre de notre vie?
C’est donc encore ensemble que nous pouvons mettre en place les institutions qu’il a prévues, pour être de nouveau contents et souriants.“ Ce qu’on ne dit pas, c’est qu’il faut que lerésultat soit le même : la pérennité du pouvoir RPT. Faut-il rappeler que l’APG est bien vite oublié quand le dessein machiavélique du RPT l’exige?
Les stratèges du RPT ne se rendent peut-être pas compte que cet argument de l’APG peut être contre-productif, être utilisé pour faire un procès au régime, pour faire la démonstration de sa mauvaise foi. Combien de fois le RPT a-t-il déjà violé l’APG? Des APG comme ça, le RPT, depuis qu’il existe, en bouffe une bonne quantité au petit-déjeuner, arrosé de champagne, tout comme il dévore au dîner des brochettes de constitutions! Non, ces hauts stratèges ne s’embarrassent pas de savoir qui peut faire la démonstration de leur mauvaise foi. Ils croient leurs partenaires trop cons ou trop préoccupés par autres choses pour leur faire un tel procès. Que veut dire autres choses? Portefeuilles, privilèges, peut-être. Alors, c’est dialogue contre portefeuilles et privilèges. Nima Zara, le Correcteur 277 de Togocity, a qualifié ce dialogue de « marché de dupe». Non, il n’y a pas de dupes pour ceux qui vont à ce marché, bien conscients de la valeur de leur marchandise. C’est donnant donnant, c’est clair. Ceux que l’on veut prendre pour des cons, c’est nous, nous qui ne visons pas de portefeuilles. Et comme nous n’irons pas à la messe du dialogue, nous les radicaux, c’est-à-dire la majorité des Togolais…! Il ne nous reste plus qu’à nous contenter du procès au RPT et à ses partenaires intéressés par les portefeuilles et les privilèges. Ou à défaut de procès, nous pouvons nous contenter desrailleries à l’égard de tous ces comportements d’une tragédie burlesque, pour montrer que nous ne sommes pas si cons que ça. De cela au moins, nous pouvons nous rassasier. »Qu’est-ce que vous fabriquez? » demande un policier à Chaka ( non pas le grand conquérant, mais le meneur d’une troupe révolutionnaire ). Chaka répond: « La meilleure comédie du monde! Un produit entièrement sain, débarrassé de tout élément toxique et dangereux, soigneusement étudié par les meilleurs savants, dans les plus grands laboratoires du monde, et qui peut être utilisé même pour les esprits les plus irritables sans provoquer la moindre démangeaison!-Boucle-la, salaud! hurle le policier[2] ».Où situez-vous cet échange de répliques? En Afrique du Sud du temps de l’apartheid entre un policier de l’État raciste et un militant de l’ANC ou au Togo sous le règne des Gnassingbé? Ou encore ailleurs dans le monde? Où que ce soit, j’espère bien que ces gentilles railleries ne provoqueront aucune démangeaison d’esprit et surtout qu’on ne nous la fera pas boucler. Car, l’autre manière de rendre le dialogue permanent au Togo est connue: la répression policière et militaire.
Là, il n’y a même pas un soupçon de néologisme dans la manière de dire les choses : c’est le harcèlement des dirigeants de l’opposition, la matraque, les grenades lacrymogènes, les balles réelles et les assassinats s’il le faut. Là, ce n’est pas le régime qui est sourd,têtu, fermé au dialogue, mais les opposants. Que voulez-vous? Il y a toujours des radicaux, des sourds qui ne veulent pas entendre le dialogue dans le sens où l’entend le RPT. Permanent, pourvu que le RPT
reste de façon permanente au pouvoir comme le clame le vieux slogan. Vieux? Non! actuel, puisqu’il est aussi permanent que le régime lui-même.
Et, il y a des choses qu’aucun dialogue ne doit oser remettre en question au Togo : d’abord, le caractère fondamentalement clanique et tribal du régime, ensuite, l’impunité des crimes commis par le clan Gnassingbé et sa soldatesque, l’appareil à tricher aux élections, bien huilé maintenant, ainsi que le découpage électoral inique qui permet à une catégorie de voix ( toujours en rapport avec le fondement clanique du régime ) de compter double, l’exclusion du scrutin des citoyens de l’étranger, un million d’électeurs environ qui, à cause de l’importance de leur nombre et de leur dispersion partout dans le monde, se sont eux-mêmes baptisés „diaspora“ à l’instar des juifs autrefois déportés, voués à l’errance et aux fortunes diverses parmi les plus tragiques de l’humanité, au gré de leurs vainqueurs et des circonstances, depuis la fin des royaumes d’Israël en 721 av. J.C. et de Juda en 587 av.J.C. Ces Togolais-là ne doivent guère aimer le régime, à coup sûr, dirait-on au RPT, puisque la plupart ont quitté le pays à la suite de ce qu’ils appellent les mascarades électorales et les répressions sanglantes des mouvements de soulèvement, et ils ne manquent aucune occasion de critiquer les autorités qu’ils considèrent comme illégitimes. Si vous tenez à aborder ces sujets-là, vous faites partie des radicaux, des sourds. Ne venez pas au dialogue. Ne dites pas que ce sont là les vrais problèmes dont les solutions sont fondamentales au Togo et qu’un vrai dialogue entre Togolais, c’est-à-dire un dialogue pour un changement politique radical au Togo,ne saurait éluder. D’ailleurs, qui vous écoutera? Qui êtes-vous, vous les „radicaux“ pour que l’on daigne vous écouter? Quant à l’évangile bien connu de paix, de sécurité, de stabilité ajoutez à ces termes ceux d’union, de réconciliation, de solidarité et même de vérité et justice, et vous avez la panoplie presque complète du canon en usage au Togo depuis le 13 janvier 1963), notions rébarbatives naturellement contenues dans la déclaration (vous ai-je dit que les stratèges du RPT, bien qu’ils ne soient pas dépourvus d’imagination, sont allergiques au moindre parfum de néologisme? ), point n’est besoin d’une exégèse bien savante pour comprendre et faire comprendre ce que c’est réellement.
Voilà à peu près, Togolais, la lumineuse réflexion du RPT d’où découle le généreux appel du „ gouvernement“ pour relancer le dialogue. Maintenant, ce que vous en pensez? Vous le savez. Peut-être, pensez-vous comme moi : il n’y a pas de dialogue dans ces conditions, quand l’un des interlocuteurs utilise ce langage déjà si clair à celui qui y est habitué.
Sénouvo Agbota ZINSOU
[1] Adiaffi, Jean-Marie, 1992, Silence, on développe,
Cotonou/Ivry-sur-Seine, Les Éditions du Flamboyant/Les Éditions
nouvelles du Sud
[2] saz. On joue la comédie, éd. RFI 1975, éd. Haho 1984