Mue par de vieux réflexes néocolonialistes, habitée par une idéologie d’infantilisation de son ancien pré-carré, la France, profitant des méfaits de la nébuleuse djihadiste, a décidé de rentrer en scène pour continuer de régenter à sa manière la géostratégie des pays qu’il colonisa jadis. En envoyant en Afrique, son ministre des Affaires étrangères et du Développement international, Laurent Fabius, le chef de l’État français, François Hollande, replante le drapeau de son pays à des endroits décidés à s’émanciper du joug tutélaire.
On remarquera, pour le souligner, que la tournée de M. Fabius se résume respectivement au Tchad, au Cameroun et au Niger. Pas au Nigeria, ancienne colonie anglaise et qui constitue le foyer de Boko Haram. Un «oubli» fâcheux, mais bien contrôlé, traduisant l’ambition de l’Hexagone à rester au cœur du jeu au moment où la Chine, la Russie ou encore les États-Unis, s’investissent pour l’éradication du mouvement terroriste tout en se gardant de s’ingérer directement dans cette guerre.
La confirmation de cette approche, que des observateurs appréhendaient depuis des mois, se retrouve dans la déclaration faite à la presse, le 21 février 2015, par le chef de la diplomatie française, au sortir de son audience avec le chef de l’État, Paul Biya. Laurent Fabius a en effet indiqué que son pays mettra à la disposition des forces de défense des pays engagés, des renseignements sur les mouvements des troupes ennemies, mais également une logistique dont il s’est bien gardé de donner les détails. Du haut de sa position de membre permanent du Conseil de sécurité, la France se propose aussi de porter le projet d’une force interafricaine auprès des Nations Unies.
En langage simple, la France s’invite dans la guerre contre Boko Haram sur le champ du renseignement, du contrôle des territoires en proie aux assauts de la nébuleuse y compris sur le plan de l’intelligence économique. Qui contrôle le renseignement a le contrôle de la politique intérieure des États, ce sont les politologues qui le disent. Et tant pis pour la notion de souveraineté, que les pays africains croyaient avoir acquise de haute lutte.
En deuxième lieu, et comme pour confirmer les soupçons d’infantilisation, la France, estimant que les Africains ne sont pas assez grands ou assez intelligents pour le faire tout seuls, fait le forcing pour être leur ambassadeur auprès de la communauté internationale.
Laurent Fabius a beau préciser qu’il revient aux Africains de se défaire de la pieuvre terroriste, son discours paternaliste ne laisse aucune illusion quant aux visées de reprise en main de la France, qu’on n’a pourtant pas beaucoup vu sur le théâtre des opérations depuis le sommet sur la sécurité au Nigeria, organisé le 17 mai 2014 à Paris.
Main invisible étrangère ?
Depuis près de deux ans, des sources introduites font état de manœuvres suspectes de la France au niveau du Lac Tchad et de ses environs, souvent à travers de appuis locaux. Son renseignement s’y est incrusté bien avant Boko Haram, au moment où on ne parlait encore que des coupeurs de route et de braconniers qu’on disait venir du lointain Soudan pour des parcs zoologiques situés dans le septentrion du Cameroun. Il n’y a pas de fumée sans feu, a-t-on coutume de dire.
Le 28 janvier en effet le site balawou.blogspot, sous la plume de Patrick Mballa, lançait cette alerte : lors de la riposte du 12 janvier 2015 des forces de défense camerounaises contre les islamistes de la secte Boko Haram, 70 assaillants avaient été faits prisonniers parmi lesquels 8 «d´origine européenne». Nous avons ici, écrivait-il alors, «une fois de plus la preuve matérielle qu´une main invisible étrangère à l’Afrique se drape derrière le prétexte Boko Haram pour déstabiliser le Cameroun.
Nous le disons ici tous les jours, mais personne ne veut nous croire».
Cette source poussait plus loin encore le constat : «Nous savons tous que la déstabilisation du Cameroun vient de la volonté de la France et de ses complices camerounais d´exploiter, sans partage, le plus grand gisement d´uranium au monde récemment découvert dans le nord Cameroun plus précisément dans les montagnes de la ville Poli. Nous savons aussi que la France veut, à partir de la Centrafrique, faire main-basse sur les gisements d´or et diamant se trouvant à l´est Cameroun. Nous savons que la nappe mère souterraine de pétrole découverte à Doba, au Tchad, se trouve au nord Cameroun.
Ce qui aiguise les appétits de la France. Nous savons que la France néocoloniale, prise de court, veut contrer l´influence en pleine essor de la Chine au Cameroun. Nous savons enfin que la France avait forcé le président camerounais lors de multiples sommets France-Afrique d´accepter la création d’une base militaire française dans le nord Cameroun. Ce que le président camerounais s´est toujours refusé de faire. Voilà toutes les raisons qui nous valent la déstabilisation que nous vivons en ce moment dans notre pays.»
Comme pour anticiper sur ces graves accusations, le 9 octobre 2014, l’ambassade de France à Yaoundé se fendait d’un laconique communiqué de presse «à la suite de certaines informations de presse dénuées de tout fondement». La France, pouvait-on y lire, est engagée aux côtés du Cameroun, du Nigeria, du Niger et du Tchad dans la lutte contre la menace que représente la secte Boko Haram pour la paix et la sécurité en Afrique.
L’engagement de la France a pour objectif de soutenir les efforts des États concernés pour rétablir la sécurité et assurer les conditions du développement durable des zones affectées, au bénéfice des populations. Le président de la République, François Hollande, n’a pas rencontré de représentants camerounais lors de sa récente visite au Tchad les 18-19 juillet derniers, ainsi que certains articles le rapportent de façon inexacte.
Comble de paradoxe, au lendemain de ce serment de solidarité réitéré, la même ambassade faisait état de «risque d’attaques terroristes s’étend[ant]au reste du pays» : «La vigilance s’impose sur l’ensemble du territoire, et en particulier dans les centres urbains.»
Ainsi, non seulement les ressortissants français encore présents dans la zone étaient invités à quitter l’Extrême-Nord «dans les meilleurs délais», mais aussi il leur était formellement déconseillé de se rendre dans le reste de la région du Nord, dans celle de l’Adamaoua, le long de la frontière de la République centrafricaine notamment dans les villes de Garoua-Boulaï et de Gamboula.
En d’autres termes, la France s’engage aux côtés du Cameroun ami pour abattre la pieuvre Boko Haram, mais ses citoyens doivent instamment déserter ce pays devenu hautement risqué «sur l’ensemble du territoire».
Jeu de dupes ?
Les Camerounais n’ont pas oublié, et sans doute jamais pardonné la France, pour l’accueil plus que glacial reçu par leur leader à Paris en fin janvier 2013. Ami de l’Hexagone de longue date, Paul Biya n’avait eu en tout et pour tout que 40 minutes d’échanges avec François Hollande. À l’époque, plusieurs observateurs prétendus bien en cours, mais également certains médias instrumentalisés, s’étaient empressés de classer le Cameroun et son dirigeant parmi les parias du nouveau pouvoir français.
En fin tacticien de la géopolitique, Paul Biya n’a jamais fait mention de ces égarements diplomatiques et protocolaires. Patiemment, il a poursuivi les axes de la coopération avec l’Hexagone sans le moindre ressentiment. Cela s’appelle la sagesse d’un homme d’État. Pourtant, depuis lors, François Hollande, qui s’est déjà rendu à nos frontières, n’a jamais cru devoir se rendre au Cameroun en dépit d’invi-tations formelles à lui adressées par son homologue. Tout cela aussi, les Camerounais n’ont pas oublié.
Toujours est-il qu’à l’heure des grands enjeux politico-diplomatico-sécuritaires, Laurent Fabius, sur le perron du Palais de l’unité, a souligné «l’honneur» qui était le sien ainsi que «le plaisir renouvelé de discuter avec le chef de l’État camerounais». Les Camerounais sont tolérants, mais tiennent à ce que leurs dirigeants soient respectés en tous lieux et en toutes circonstances.
René Atangana