Blé Goudé toi aussi… tais toi !

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Au toit découvert d’un 4×4 roulant à dix kilomètres à l’heure, le regard intrépide, le poing en l’air, le défi inscrit dans le timbre : telle est l’image que je conserve des heures les plus valeureuses du combat patriotique de Charles Blé Goudé.

C’était en 2004. Novembre 2004. Devant la Présidence. Vous savez l’histoire. Opération Dignité. Général Poncet. Huit soldats français, paraitil, tués. Chirac enragé. Aéronefs ruinés. Gbagbo au journal télévisé. Appelant au calme devant la française férocité. Puis Blé Goudé…

Deux jours plus tard, devant la tour d’Ivoire, des snipers survoltés fusillaient des Ivoiriens aux mains nues, légitimant à chacune de leur rafale la résistance contre l’impérialisme qui tue. Et Zadi Gbapè, le Général, le Ministre de la Rue, le Ministre tout court, donnait des insomnies profondes, d’abord à tout ce qu’il y avait d’Onucieurs, puis de Golfeurs, à l’Hôtel électoral ivoirien. Avril 2011, le décor a bien changé. Encore que. Licorne est toujours là. Avec trois cents légionnaires décidés à faire du rêve de Sarkozy une réalité.

Le Woody est capturé, traqué comme un rat enragé, refusant de courir loin, bien loin, se réfugier. Ou d’aller enseigner l’histoire de la recolonisation ivoirienne aux étudiants américains. Le choc est trop immense sur le coup pour y penser.

Mais maintenant que la douleur s’amenuise, peu à peu, par la faute du temps, lucidité me revient : où était Blé Goudé ? Blé Goudé était loin, bien loin de son mentor. Par respect du mythe, on dira, avec ses disciples, qu’il a bien fait de se planquer. Bien fait de laisser à Pickass les plateaux de télé. Bien fait de se cacher même à l’insu de ses plus proches lieutenants. Bien fait de jouer le mort. Puis le vivant. Puis le blessé. Puis le capturé. Puis le traumatisé. Puis le torturé.

Puis le ressuscité. Bien fait, en effet, de nous remuer les méninges, de nous faire colporter des rumeurs. De contraindre Alain le Conseiller à atténuer la peur. Du pire. D’obliger Calixte à confirmer la peur. Du pire.

Contre son gré. Bien fait, oui, bien fait. Blé Goudé a tout bien fait, en bon patriote, en bon leader, tout à son honneur.

Sauf que…

Depuis deux semaines, l’exilé, recherché, BenLadenifié, a retrouvé sa maitrise de l’art oratoire qui nous avait tant manqué. Ah, ça c’est du Charles Blé Goudé ! Authentique ! Il est partout, web, radio, journaux, il s’invite dans le débat, revient, exige, suggère, souhaite, encourage. Puis exige encore, explique, analyse, corrige, souligne, précise. Blé Goudé parle et parle et parle encore.

Mais que dit Blé Goudé ? Réponse de Jeannot le Juriste : Blé Goudé sera poursuivi. Mandat d’arrêt international. Infligé par ceux même qui devraient être arrêtés, jugés et jetés dans la fosse aux lions. Comme Daniel. Mais sans le Dieu d’Israël. Dommage. Inique. Inacceptable injustice. Alors Blé Goudé s’époumone en considérations juridicoanalytiques. Là où aucun de ses interlocuteurs n’en a cure de la valeur de sa logique. Blé Goudé parle à Jeune Afrique. Sur une ligne sécurisée ! Blé Goudé parle à RFI. F pour France. I pour International. Et il explore et développe sa rhétorique.

Blé Goudé, sais-tu seulement que nous sommes à l’heure des TIC ? Blé Goudé as-tu idée du nombre de leurs satellites ? Blé Goudé, as-tu conscience de la haine que le Quai d’Orsay te voue ? Et Sebroko ? Et Ouattara ? Et chaque Frère Cissé affamé et sans solde qui assure son combat ?

Blé Goudé toi aussi… tais toi !

Pourquoi ce retour en trombe ? Maintenant ? Bruyant ? Outrecuidant ? Pour mobiliser ? Plus aucun mot de ta bouche ne pourrait mobiliser une meute de fourmis magnans contre un cancrelat prédateur. A plus forte raison une jeunesse défigurée, martyrisée, traquée, assassinée, bombardée par un essaim d’hélicos envahisseurs. Place aux survivants. Place à la peur. Comme dirait le Penseur Noir, place au règne de la terreur. Quant aux autres, ils sont morts, Blé Goudé. Trois mille, quatre mille, dix mille d’entre eux. Morts !

Pour le pays. Pour la patrie. Sans toi. Sans tes amis. Ils ont péri dans l’hécatombe Ouattariste et la géhenne Sarkoziste. Ils sont morts. Valeureux. Soldés. Courageux. Châtiés. Ils sont partis et leur souvenir urge notre sympathie. Mais de grâce, puisque tu ne les a pas suivis, toi, sauve ta vie !

Épargne-nous « refaire ton capital politique ». Épargne-toi « jouer ta partition ». Il n’y a pas de paix. En tout cas pas demain matin. Tu as vu Michel le Fils ? Et Affi ? Tu les as vus ? Humiliés ? Rapetissés ? Tu y crois vraiment, à se réconcilier ? Comment ? Tu irais en tournée ?

Pour Ouattara ? Une nouvelle Caravane de la Paix, celle-là pour Ouattara ? Demandant une seconde fois aux Ivoiriens d’oublier ? De cirer les pompes ensanglantées du Premier ministre Soro ? Et de boire une «Gui-Gui» avec ton ami Wattao ? Blé Goudé, laisse tomber… Please.

Je conserverai le souvenir de toi, le meilleur d’entre eux. C’était en 2004. Novembre 2004. Tu sais l’histoire. Ce jour-là, tu étais roi. Tu parlais où Gbagbo souriait. Tu criais où Gbagbo priait. Tu arguais où Gbagbo feignait. Tu n’avais lâché personne, tu n’avais pas disparu, tu étais au front, tu y croyais. Tu étais roi et tout t’était permis. Blé Goudé, mon ami. C’était hier. Mais plus aujourd’hui.

Fabien d’Ameilda

Nouveau Courier

 

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