Blanchir sa peau, c’est comme une drogue

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La Mairie de Paris lance mardi 3 novembre une campagne pour mettre en garde les communautés afro-antillaises contre les produits de dépigmentation « Séduire… oui ! Se détruire… non ! » Voilà le slogan qu’a choisi la Mairie de Paris pour rappeler, sur des panneaux d’affichage, que « l’usage répété de produits éclaircissants entraîne des dégâts définitifs ». Lancée mardi 3 novembre, sa campagne de prévention prévoit aussi la distribution de brochures, la mise en place d’une consultation médicale, et même la publication d’une BD consacrée à ce « problème de santé publique », comme le nomme l’adjoint PS Jean-Marie Le Guen.

Selon lui, de 10 à 15 % des jeunes filles afro-antillaises de la capitale seraient tentées d’utiliser ces substances censées assurer une dépigmentation de la peau. « Or, après une phase assez positive, surviennent des effets secondaires dermatologiques. » Apparaissent de l’acné, des vergetures, des taches, voire un surcroît de pilosité. « Et les risques pour la santé sont nombreux », poursuit Jean-Marie Le Guen. De fait, deux familles de produits sont utilisées pour blanchir la peau. Les premiers, souvent importés d’Afrique, contiennent de l’hydroquinone, substance que l’Union européenne a interdite en 2001 dans les cosmétiques, car probablement cancérigène. Les seconds, des médicaments détournés de leur usage, sont à base de cortisone et peuvent favoriser le diabète ou l’hypertension.

« Une forme de hiérarchie mélanique »

Avec le temps, l’étau s’est resserré autour de ce commerce illégal. Récemment, une enquête de police menée dans le quartier de Château-Rouge à Paris a, par exemple, permis d’arrêter cinq personnes et de saisir plus de 100 000 pots de crèmes et lotions blanchissantes. « Mais il est toujours aussi facile de s’en procurer, déplore Émilie Maldec, responsable de l’association Uraca et engagée dans l’accès aux soins des populations d’origine africaine. Il suffit de se rendre dans les salons de coiffure ou de s’adresser à des vendeurs à la sauvette. Sans parler de l’Internet… » Certains, comme Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires, font de ce phénomène une lecture politique : « Si certaines Françaises se blanchissent la peau, c’est qu’il existe dans notre pays une forme de hiérarchie mélanique : les sondages montrent que les Noirs sont deux fois plus victimes de discriminations que les métis. »

Fantasme à l’égard des femmes à la peau claire

D’autres, comme Khadi Sy Bizet, dermatologue esthétique, n’y croient guère. « Quand certaines femmes me tiennent de tels propos, je leur réponds qu’avec leur nom et leurs traits, elles ont beau avoir éclairci leur peau, elles restent des Africaines aux yeux des recruteurs. » L’argument qu’elle entend le plus souvent dans son cabinet est d’une autre nature : « C’est avant tout pour séduire les hommes qu’elles pratiquent la dépigmentation », explique ce médecin. « Certains Africains nourrissent un fantasme à l’égard des femmes à la peau claire. De plus, selon certains mythes que me racontait ma grand-mère ivoirienne, les femmes au teint sombre portent malheur », raconte Khadi Sy Bizet, qui observe aussi les ravages que font les magazines mettant en scène des stars au teint caramel. « J’ai beau dire à mes patientes que toutes les photos sont retouchées, elles n’en démordent pas. » Environ 20 % d’entre elles – souvent des femmes peu lettrées ou leurs filles, qui perpétuent leurs « secrets de beauté » – éclaircissent leur peau. Si elles consultent, c’est pour des problèmes dermatologiques et non pour arrêter cette pratique taboue. « C’est bien l’identité de la personne qui est en jeu » Quand la confiance s’est instaurée, néanmoins, Khadi Sy Bizet leur propose « un sevrage », à la fois chimique (on réduit peu à peu les doses d’éclaircissants, qu’on remplace par des soins hydratants) et psychologique. « Je valorise la peau noire, je leur apprends à se maquiller et surtout à s’accepter. »

Car c’est bien l’identité de la personne qui est en jeu.

« La première fois que j’ai éclairci ma peau, à l’âge de 18 ans, j’ai eu l’impression d’être une personne nouvelle, supérieure, confie ainsi Aminata M’Baye. Cette couleur était comme un signe extérieur de richesse. Tout le monde me disait que j’avais bonne mine, que j’avais embelli. » Le piège s’est alors refermé. Quatorze ans durant, celle qui est aujourd’hui chef d’entreprise a consacré une bonne partie de son budget – jusqu’à 1 200 € par mois – à l’achat de cosmétiques, qu’elle utilisait à l’insu de son mari. « Je m’étais présentée à lui comme métisse. Il m’avait crue. Car chacun, dans ma famille, éclaircit sa peau », témoigne cette femme d’origine sénégalaise, qui est sortie du cercle vicieux il y a quatre ans, avec le soutien de son mari. « Difficile de s’arrêter, par peur du mal-être et du qu’en-dira-t-on. Quand la peau noircit à nouveau, tout le monde nous demande si on n’a plus les moyens, si on a perdu son boulot, si notre mari nous a quittée », dit-elle, avant de conclure : « Blanchir sa peau, c’est comme une drogue. »

Denis PEIRON

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