Mikhail Gamandiy-Egorov, La Voix de la Russie :
Monsieur Alain, bonjour de nouveau ! Nous avons eu un entretien fin octobre 2012 sur la situation en Côte d’Ivoire aujourd’hui, sur la détention à la CPI du président Laurent Gbagbo, sur les injustices quasi-quotidiennes perpétrées en Côte d’Ivoire actuellement, l’intervention occidentale dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire, ainsi que sur le rôle de la communauté internationale, et notamment de la Russie afin de trouver une solution à cette crise. Aujourd’hui, vous êtes à Moscou. Vous avez été notamment reçu au Parlement de la Fédération de Russie, la Douma, l’une des institutions clés de notre pays. Quelles sont les raisons de votre visite en Russie ?
Toussaint Alain : Bonjour, merci de me recevoir. Je suis venu saluer et remercier les autorités de la Fédération de Russie, et en particulier les élus du peuple, pour l’intérêt qu’elles portent à l’Afrique. A l’instar de nos pays africains, la Russie et son gouvernement sont souvent inutilement vilipendés et diabolisés par les médias et les gouvernements occidentaux, adeptes de la pensée unique. Ils préfèrent balayer devant la maison du voisin plutôt que devant la leur. Je viens m’imprégner de la vie politique de la Russie, connaître ses institutions, leur fonctionnement, rencontrer ses intellectuels et discuter des opportunités que ce pays peut offrir à l’Afrique et aux Africains. La Russie est une grande puissance qu’il vaut mieux connaître et comprendre avant de la juger. Je suis fier d’être chez vous à Moscou.
Donc si je comprends bien, les contacts ont été pris au plus haut niveau ?
Oui, bien sûr. Vous savez que la diplomatie ne se fait pas sur la place publique. La discrétion est le premier gage de succès dans toute entreprise humaine. Je suis confiant en l’avenir car les perspectives sont nombreuses. Je suis donc heureux que des responsables politiques de la Fédération de Russie au plus haut niveau, notamment la Douma, me reçoivent en audience pour leur exposer les problèmes essentiels de la Côte d’Ivoire et leur proposer notre vision de leur règlement pour sortir le pays de cette zone de turbulences.
Quelles ont été les questions abordées ? Globalement êtes-vous satisfait de votre visite à la Douma et pensez-vous avoir été entendu ?
Je ne vous cacherai pas que nous avons discuté de la Côte d‘Ivoire. J’ai fait part de la situation actuelle. Je voulais que mes interlocuteurs sachent notre opinion sur ce qui se passe en Côte d’Ivoire et sur les moyens d’aider à instaurer une paix durable et la stabilité dans ce pays. Car, comme vous le savez bien, le processus de réconciliation est en panne. Mes interlocuteurs ont été très attentifs. La situation en Côte d’Ivoire est préoccupante à plus d’un titre. J’ai notamment plaidé en faveur des prisonniers politiques injustement embastillés par le régime d’Alassane Ouattara. J’ai expliqué que la déportation illégale du président Laurent Gbagbo par la Cour pénale internationale (CPI) ne reposait sur rien. J’ai surtout rappelé que son transfert à La Haye avait été commandité par Paris pour la seule et unique raison que Gbagbo constituait une menace pour les intérêts français dans son ex-colonie. J’ai souligné que la réconciliation nationale est essentielle pour créer un environnement social apaisé. La libération de Simone Gbagbo, Affi N’Guessan, Blé Goudé et tous nos autres amis peut véritablement consolider le dialogue politique et la coexistence entre les partis, rassurer les populations et relancer les investissements directs étrangers ou nationaux. M. Ouattara doit lever la chape de plomb qui s’est abattue sur l’opposition en mettant un terme à la traque des pro-Gbagbo. Nous voulons la paix, donc nous travaillons activement à créer les conditions d’une alternance politique, démocratique et pacifique en Côte d’Ivoire. C’est cela notre seul et unique agenda. Sur toutes ces questions, je crois avoir été entendu et bien compris.
Pensez-vous que la Russie devrait s’investir plus intensivement qu’elle ne le fait actuellement dans la question ivoirienne, et plus globalement dans les questions africaines ? Dans l’affirmative, à quel niveau et dans quels domaines ?
J’observe que la Russie est très respectueuse de la souveraineté des Etats. Elle l’a prouvé à plusieurs reprises à travers ses prises de position au Conseil de sécurité des Nations unies dans le contexte des crises en Libye, Côte d’Ivoire, Syrie ou plus récemment au Mali. Je crois en la diplomatie préventive, celle qui permet de faciliter le dialogue entre les protagonistes avant l’éclatement ou l’intensification d’un conflit. On dit souvent qu’il est facile de faire la guerre mais difficile d’y mettre un terme. J’opterais pour la formule bien connue : ni indifférence ni ingérence. Au contraire de certaines puissances qui se sont autoproclamées gendarmes, pompiers et Mère Theresa à la fois, mais qui sont en réalité les pyromanes qui menacent par leurs ambitions indécentes et leurs mensonges la sécurité de notre planète. En Côte d’Ivoire, comme ailleurs, la diplomatie russe peut s’associer aux efforts de réconciliation. La Russie est une grande puissance : sa contribution à la construction de la paix dans le monde me semble indispensable.
La Russie peut-elle devenir selon vous une véritable alternative en Afrique, par rapport aux forces en présence actuellement ?
Je ne parlerai pas en terme d’alternative. Je dirais plutôt que nos pays africains peuvent avoir autant de partenaires qu’ils désirent à condition que ces derniers respectent notre souveraineté, notre indépendance et aient de la considération pour nos dirigeants et nos peuples. C’est l’axiome de base pour une relation de confiance. Or, depuis plus de cinquante ans, l’Afrique est sous la domination des puissances impérialistes qui affirment que leur « avenir se trouve en Afrique ». Savent-ils seulement où se trouve celui de l’Afrique ? Parce que les faits nous montrent que ces partenaires-pilleurs n’appréhendent leur propre futur qu’avec une Afrique placée sous leur tutelle, avec des pantins installés dans le sang à la tête de nos Etats. Nous refusons la recolonisation quels que soient sa forme, son mode opératoire ou ses moyens. Nous voulons être libres ! Le développement socio-économique et la sécurité de l’Afrique sont d’abord du ressort des Africains. Oui, la Russie peut et doit devenir un nouveau partenaire pour notre continent. Nous avons foi que cela se fera dans un meilleur esprit. Les champs d’un partenariat équitable sont nombreux : politique, diplomatique, industriel, économique et universitaire. Sans oublier les domaines stratégiques tels que l’armement et la défense de façon générale. La relance de cette vieille amitié est impérative. Depuis le milieu des années 1960, le fossé s’est sérieusement creusé. L’ex-URSS était elle-même confrontée à des tensions avec les Etats-Unis et des convulsions internes. Le cours de l’Histoire a été accéléré, en novembre 1989, par la chute du Mur de Berlin qui a conduit au démantèlement de l’empire soviétique. Quant aux pays africains, ils ont connu, dès 1963, de nombreux coups d’Etat et subi, au début des années 1980, les programmes d’ajustements structurels antisociaux du Fonds monétaire international (FMI) sous la houlette des mêmes déstabilisateurs et prédateurs économiques. Aujourd’hui, le contexte géopolitique et géostratégique est en pleine mutation. Il faut rattraper le temps perdu. La Russie a sa place en Afrique puisqu’elle a aidé, comme Cuba et la Chine, nombre de pays du continent à se défaire des griffes des colonisateurs qui promeuvent aujourd’hui la « démocratie des bombes » sur le continent. Ce serait un juste retour des choses de réactiver et amplifier ce dialogue avec les Africains. La Russie et l’Afrique ont tout intérêt à bâtir un nouveau partenariat stratégique équitable et profitable tant aux Russes qu’aux Africains.
Justement à l’occasion de votre visite à Moscou, vous avez été coopté pour co-présider le conseil exécutif de la Fondation Russe pour l’Afrique. Quelles sont les missions de cette institution ? Plus concrètement, comment allez-vous agir ?
L’influence de la Russie en Afrique est significative mais elle pourrait le devenir davantage. Dans l’autre sens, l’Afrique doit être mieux connue et comprise des Russes. Je reste convaincu que, grâce à l’implication des uns et des autres, nous parviendrons à porter la nouvelle relation russo-africaine à un palier plus élevé. Je me réjouis déjà de pouvoir participer à la renaissance de ces liens d’amitié anciens entre la Russie et notre continent. S’agissant des actions de la Fondation, je pourrai vous en dire davantage dans quelques semaines lorsque j’aurai bien apprivoisé les axes de ma mission. Sachez déjà qu’elle devrait me conduire à collaborer avec les élites russo-africaines du monde de la diplomatie, de la politique, des affaires, de la finance, de la recherche et de la culture. Je vous tiendrai au courant.
Monsieur Toussaint Alain, merci beaucoup pour cet entretien.
C’est moi qui vous remercie infiniment pour l’opportunité que vous m’offrez de m’adresser à l’opinion russe et internationale.
Mikhail Gamandiy-Egorov, La Voix de la Russie