Nous prenons la liberté de vous faire tenir la présente afin d’utilement attirer votre attention sur la grave crise institutionnelle dans laquelle se trouve plongé notre pays, depuis la fin légale de la législature de l’Assemblée nationale.
Vous exprimant notre gratitude pour l’intérêt qu’il vous plaira d’y porter.
Monsieur le Président de la République, ainsi qu’il est de règle dans tout État de droit, le fonctionnement institutionnel de la République togolaise est encadré par des dispositions constitutionnelles, des textes lois, et des règlements au contenu que nul n’est censé ignorer.
S’il est constant qu’aux termes de l’article 52 de la Constitution de la République du Togo pris en son alinéa 1 (sic) « Les députés sont élus au suffrage universel direct et secret au scrutin uninominal majoritaire à un (01) tour pour une durée de cinq (5) ans …. », il résulte de la disposition constitutionnelle précitée que l’actuelle législature entrée en fonction le 13 novembre 2007 a formellement pris fin le 11 Novembre 2012, ainsi que le confirme l’avis émis le 14 octobre 2012 par la Cour constitutionnelle, sur saisine de Monsieur le Président de l’Assemblée nationale.
La disposition constitutionnelle tirée de l’article 52 al.1 ne saurait être l’objet de nulle interprétation biaisée, capricieuse ou folklorique tant son énoncé est clair, précis et accessible à la compréhension du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif, de la Cour Constitutionnelle et des leaders de l’ensemble de la classe politique nationale.
Il découle immédiatement et directement de l’application de la disposition constitutionnelle en vigueur et de la seule interprétation y afférente, que tous les membres élus de l’Assemblée nationale n’ont pas vocation à proroger à leur guise, pour une durée indéterminée et sans cadre légal formel, le mandat à eux confié par le peuple togolais, seul détenteur de la souveraineté populaire.
S’agissant de la disposition de l’alinéa 11 de l’article 52 de la Constitution de la République qui stipule (sic) : «Les membres de l’Assemblée nationale et du sénat sortants, par fin de mandat ou de dissolution, restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs » elle procède seulement d’une précaution institutionnelle ainsi introduite par règle prudentielle pour qu’en cas de force majeure, il n’y ait pas de vide institutionnel.
Or, au cours de la législature écoulée, nul ne peut valablement prétendre que le Togo aurait connu une guerre ou une catastrophe naturelle de grande ampleur qui justifieraient l’incapacité de votre gouvernement à préparer et à organiser les élections législatives à bonne date conformément à ce qui est dit et prévu à l’agenda constitutionnel. Votre gouvernance ne peut donc se prévaloir de sa propre turpitude.
Au surplus, il y a ici matière à souligner en opportunité que la disposition constitutionnelle précitée (art.52 al.11) fut un rajout unilatéral à la Constitution, introduit lors du tripatouillage de la Constitution par les seuls députés de votre formation politique en décembre 2002, à la suite des élections législatives anticipées boycottées pour motifs légitimes, par les formations de l’opposition politique. Au plan du débat politique, la disposition constitutionnelle précitée (art.52 al.11) demeure en l’état, dépourvue de l’onction d’un référendum populaire.
L’avis émis par la Cour constitutionnelle le 14 octobre 2012 ne peut contrevenir à l’esprit et à la lettre de la disposition constitutionnelle précitée, car en pareille situation nous nous trouverions face à un blanc-seing donné à une législature dépourvue de légitimité, pour poursuivre aussi longtemps que possible sans consensus politique national, sa fonction de légiférer et de contrôler l’action gouvernementale.
En outre, la persistance de la crispation politique qui mine notre pays le Togo et votre obstination à poursuivre un engagement solitaire relativement à la conduite d’un processus pré-électoral, sur fond de tension sociale larvée, ne permettent nullement, en l’absence de la mise en œuvre de réformes majeures garantissant, le retour de la confiance et la vérité des urnes, d’envisager avec précision, la date de la tenue de prochains scrutins électoraux que nous voulons consensuels et transparents.
En l’état, nous considérons qu’il serait préjudiciable pour le fonctionnement régulier des institutions et dommageable pour les exigences démocratiques, que l’actuelle législature, fonde sa légitimité sur une interprétation tendancieuse de la disposition prévue à l’article 52 alinéa 11 de la Constitution.
Monsieur le Président de la République, vous n’êtes pas sans ignorer qu’en matière de durée légale d’une législature dans tous les pays ″civilisés″ et sérieux, il n’existe pas de mandat à durée indéterminée pour les membres élus de l’Assemblée nationale. Sauf sous les régimes exercés autoritairement, sans véritable participation du peuple et sans tolérance ou considération à l’égard des formations politiques de l’opposition.
Monsieur le Président de la République,
De l’avis de tous les juristes constitutionnalistes scrupuleux que nous avons consultés, depuis le 11 novembre 2012, il n’y a plus une Chambre parlementaire au Togo. Juridiquement et politiquement, monsieur le Président de la république, vous ne disposez plus depuis le 11 novembre 2012 de majorité à l’Assemblée nationale, au soutien de l’action de votre gouvernement.
Incontestablement, dans l’intérêt supérieur de la Nation, le dialogue politique s’impose au Togo, pour le partage du pouvoir aux fins de préservation de la paix sociale, de la garantie en équité des droits de tous et de la réaffirmation de la primauté de l’intérêt général.
Les indicateurs sociopolitiques de la République sont au rouge, et le risque d’implosion sociale paraît élevé. Il y a en conséquence, une impérieuse nécessité d’organiser sans délai un dialogue inclusif franc, sincère, complet et honnête avec les formations politiques de l’opposition démocratique, visant la mise en place d’un gouvernement de mission chargé de l’apaisement du climat sociopolitique et de l’organisation consensuelle et transparente des prochains scrutins.
C’est pourquoi, le nouveau dialogue politique que nous appelons de nos vœux ne doit pas tenir lieu de marché de dupes, car les togolais se souviennent du sort réservé à tous les précédents dialogues politiques : le in statu quo ante !
Pour mémoire, il existe en matière de recherche d’apaisement et de consensus national, un précédent historique qui ne peut qu’inspirer à bon escient toute la classe politique togolaise. En effet, les institutions de la Transition après la Conférence Nationale Souveraine avaient une durée de vie d’ un (01) an précisée dans l’acte 7 du texte fondamental de la Transition. À l’issue de la transition, un dialogue d’essence politique fut ouvert et a débouché sur une Commission Mixte Paritaire qui a conduit à la mise en place d’un -Gouvernement paritaire- qui organisa le référendum populaire du 27 septembre 1992, relatif à la Loi fondamentale promulguée le 14 octobre 1992.
Monsieur le Président de la République,
Vous avez le devoir de prendre toute la mesure de la sourde gravité de la situation sociopolitique qui prévaut au Togo ; aussi, vous incombe-t-il de rechercher toutes initiatives appropriées tendant à apaiser les crispations, rassembler la nation et restaurer la confiance.
La légitimation de la primauté du droit et de l’éthique républicaine dans notre pays, reste et demeure un impératif dont doit s’emparer la classe politique nationale (majorité et opposition) pour faire renaître la confiance au Togo.
De tout ce qui précède, il nous a paru particulièrement approprié de vous faire tenir la présente, que nous rendrons publique afin que nul n’en ignore au Togo et partout où besoin sera.
Dans l’attente de la suite qu’il vous plaira de réserver à la présente, nous vous en souhaitons bonne réception et vous prions Monsieur le Président de la République, de croire à l’expression de notre résolu engagement républicain.
Agbéyomé Messan KODJO
Ancien Président de l’Assemblée Nationale
Ancien Premier Ministre
Président National OBUTS