La communauté internationale de part les Institutions Onusiennes, Européennes, certaines chancelleries occidentales méconnaissent les règles élémentaires de souveraineté des Etats. Ce qui se passe sur le sol ivoirien aujourd’hui devrait nous interpeller pas seulement comme africain mais tout simplement comme homme de pensée. Au suivisme désireux de visibilité devrait se substituer un véritable enracinement dans la recherche pour trouver des solutions aux problèmes qui sont spécifiquement africains parce qu’ils trouvent leur origine sur le continent et se posent aux fils et filles du continent.
Au delà de toute analyse historienne, les Nations Unies tiennent leur légitimité non pas d’elles-mêmes mais des Etats indépendants membres ainsi qu’on peut le lire dans les textes fondateurs de cette auguste institution et dont les Nations plus que les peuples auront toujours besoin.
Peut-on se risquer à dire ici, après avoir écouté les uns et les autres, après avoir été sur le terrain, que l’ONU, l’UNION EUROPEENNE et dans une moindre mesure l’UNION AFRICAINE soient dans le rôle qui est le leur, c’est à dire celui qui leur a été confié par des Etats souverains? Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, les Forces de l’ONUCI avaient une mission précise, celle de conduire à terme les opérations de désarmement des forces rebelles devenues Nouvelles grace aux accords de Linas-Marcoussis. Le N°24 du hors série de Jeune Afrique consacré aux indépendances des pays africains en rend bien compte. L’ONUCI avec une complaissance qui n’a pas besoin de dire son nom a laissé une armée de rebelles et d’insurgés « contrebandiers » prospérer dans le nord de la Côte d’Ivoire. Oui l’ONUCI et le Président du Burkina Faso ont-ils fait donc leur travail?
Permettez-nous d’en douter ; l’accélération de l’histoire de la Côte d’Ivoire – dont nous sommes les uns et les autres et ceci à divers niveaux à la fois des acteurs et des héritiers – a commencé il y a un peu plus d’un siècle. L’esclavage et la colonisation, la lutte pour les indépendances, la naissance du RDA, l’arrivée de Félix Houphouët Boigny au pouvoir, sa mort et tout ce que nous en connaissons sont passés par là.
Il y a presque une dizaine d’années, dans le nord de la Côte d’Ivoire sévissait une guerre civile opposant une rébellion armée aux forces gouvernementales. Guerre dont nous savons qu’elle a fait plusieurs morts. Dans le but de régler ce conflit, les belligérants sont conviés à un sommet à Marcoussis en France. Je me souviens avoir pris part aux travaux avec deux autres universitaires africains. Nous appuyant sur un certain nombre textes fondamentaux qui régissent les relations internationales, les discussions ont abouti à la mise sur pieds de ce qu’on appelle aujourd’hui les Forces Nouvelles.
Ainsi donc, une rébellion pouvait se mettre autour d’une table pour négocier la guerre ou la paix.
J’avais alors quelques semaines plus tard signé une tribune intitulée : VINCENT SOSTHÈNE FOUDA AND THE PARADOX OF THE IVOIRITÉ Alassane Ouattara Stateless person! Cet article paru dans Libération en Août 2004 et repris par la suite dans plusieurs journaux anglais visait à réhabiliter un homme le Dr Alassane Dramane Ouattara. J’ai alors repensé à Hannah Arendt et à Karl Jaspers les apatrides par excellence.
Depuis le sommet de Linas-Marcoussis, la Côte d’Ivoire avec la complicité de la France s’est lancée dans une folle épopée dont le peuple ivoirien comprend de moins en moins le cours.
Mais voilà, en entérinant la partition-scission de la Côte d’Ivoire entre le Nord dont la gestion est confiée aux rebelles habillés de nouveaux vêtements de démocrates et le Sud laissé à la gestion du Président Gbagbo, la France a voulu nous rappeler les épopées napoléoniennes dont on ne retient que le romantisme.
Pendant que les grands esprits rêvent, dans les chancelleries occidentales de la Côte d’Ivoire, gérée avec le Président du Burkina-Faso, se sont organisées des tueries effroyables. Pendant que des hommes et des femmes tombaient avec la bénédiction de Ouagadougou, l’opinion internationale consacrait l’entrée du Burkina Faso dans le giron des producteurs de cacao. N’oublions pas de mentionner les charniers de Youpougon dans le Sud administré par Laurent Gbagbo, et la disparition d’un journaliste; André Kiffer.
Il y a deux ans, cependant, La France par la bouche de son Président Nicolas Sarkozy affirme que Alassane Ouattara est son « ami, un homme intelligent et qui gouvernera la Côte d’Ivoire ». Oui! au nom de la Liberté et de l’Egalité.
Fortes d’une recommandation spéciale de Paris, les Nations Unies sont entrées dans cette danse macabre. L’ONUCI en tant que force de maintien de la paix n’a pas rempli son mandat premier en omettant de désarmer les combattants dans le nord de la Côte d’Ivoire. Les experts africains et «africanistes » ont tôt fait de cataloguer les populations du Nord comme musulmanes et celles du Sud comme chrétiennes. La configuration ainsi tracée pouvait alors déboucher sur la justification de la guerre et des massacres, guerre de religions oblige! Mais ces explications n’ont en réalité de sens que pour leurs concepteurs. En ceci le mensonge a la peau dure parce qu’il puise à la même source que la vérité.
Aujourd’hui, les cris et autres sentiments d’horreur ne sont ni audibles ni perceptibles parce que ceux et celles qui forgent les consciences ont décidé, au mépris du respect des émotions communes des ivoiriens, que la Côte d’Ivoire n’est rien d’autre qu’une multinationale et que de Washington, de Paris, de Bruxelles, de Strasbourg on peut décider de nommer le Président du Conseil d’Administration avec des administrateurs disséminés à travers le monde.
La communauté internationale a mis le sable dans l’adjéké national
Mais un pays c’est plus que cela, ce sont justement des émotions communes, la culture, la volonté du vivre-ensemble, la construction du nous-commun, les ethnies, les petits royaumes, les clans qui jour après jour regardent ensemble vers la même direction et acceptent de progresser ensemble pour construire une nation, un Etat, un « pays ». En cela, nous assistons à un ensauvagement de la Côte d’Ivoire organisé par les institutions internationales au détriment de la population et de la souveraineté de l’Etat ivoirien.
Ce que nous écrivons aujourd’hui n’a rien d’original au regard de tout ce que nous lisons depuis quelques jours sur la Côte d’Ivoire. Mais très peu sont ceux et celles qui ont été sur le terrain.
Monsieur Christian Preda, responsable observateurs de l’Union Européenne en Côte d’Ivoire ainsi que ses 120 collaborateurs sont restés cloîtrés dans deux hôtels du plateau à Abidjan, Ibis-Plateau et Pulman. Non seulement ce nombre est insignifiant mais, encore ceux appelés à être déployés sur le terrain ne l’ont pas été.
En plein Abidjan, au quartier Youpougon à 23h, nous avons reçu un appel d’un responsable de bureau de vote nous invitant à le mettre en sécurité parce qu’il y avait devant son bureau des hommes armés qui menaçaient de lui faire la peau. Nous nous posons la question de savoir où était l’ONUCI?
Quand au journal télévisé de 20h de France 2 du 4 décembre 2010 nous apprenons que monsieur Youssouf Kabayoko ancien ministre et membre du PDCI de Henri Konan Bédié, président de la CEI a été exfiltré du pays avec une escorte de 150 militaires armés jusqu’aux dents nous sommes en droit de nous demander où étaient ces forces à Bouaké quand un jeune soldat et son jeune frère ont été égorgés alors qu’ils tentaient de sécuriser des procès verbaux? Pourquoi l’ONUCI ne s’est-elle pas assurée du bon déroulement des élections dans le nord de la Côte d’Ivoire? Comment expliquer le mutisme des observateurs de la Francophonie conduits par monsieur Gérard Latortue ancien premier ministre de Haïti? Pourquoi les journalistes ne diffusent-ils pas les images prises sur le terrain? Peut-on affirmer avec l’envoyé spécial de France 2 en Côte d’Ivoire que des hommes et des femmes ont été assassinés au Quartier Général abidjanais du candidat Alassane Dramane Outtara et les corps emportés nuitamment par l’armée régulière? C’est ignorer toute la cosmogonie des peuples qui habitent la Côte d’Ivoire et les rapports que ceux-ci entretiennent avec la mort. Les peuples Oui les danses macabres de la communauté internationale en Côte d’Ivoire sont autant de rappels douloureux du malentendu qui règne dans cette partie de l’Afrique et de la volonté hégémonique de l’ancienne puissance colonisatrice de maintenir une mainmise certaine.
Des spécialistes de tous acabit, viennent ainsi répondre aux questions que les ivoiriens n’ont pas eu le temps de se poser, parce que préoccupés qu’ils sont de leur côté par leurs cases, leur bétail, leurs récoltes qui brûlent. Ils n’ont pas le temps de trouver des réponses à leurs interrogations puisque leurs sont servies sur un plateau des solutions qui procèdent de la raison de l’Etat.
L’histoire, la véritable est imprévisible et c’est ce que nous vivons aujourd’hui en Côte d’Ivoire.
Les chancelleries occidentales semblent, pour une fois avoir oublié le maître-mot des relations internationales qu’est la stabilité, surtout en cette année du cinquantenaire des indépendances africaines. Il ne s’agit pas des indépendances des Etats, mais de celles des populations, celles qui souhaitent être actrices de leur propre devenir. La vision du monde, de leur monde n’est pas la même pour ces jeunes africains qui n’ont pas connu la colonisation puisqu’ils sont nés bien après 1960. C’est pourquoi le temps prend pour eux des accélérations qui échappent à ceux et celles qui de leur bureaux semblent vouloir tout choisir et décider à leur place. Le monde est en pleine mutation et cela suppose une redistribution des cartes et un partage équitable des responsabilités.
Les Institutions internationales n’ont pas pu circonscrire les conséquences de leur engagement partisan en Côte d’Ivoire. Les chancelleries occidentales, pour reprendre une expression consacrée en sciences politiques, ont plombé la candidature d’Alassane Dramane Ouattara. Elles ont fait du candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) leur homme, le coupant ainsi de sa base, le peuple, les populations des petits villages. Oui le Dr Alassane Dramane Ouattara n’est pas l’ange que l’on désigne et Laurent Gbagbo le monstre que l’on décrit.
Pour s’en rendre compte, prenons le rapport du 22 octobre 2010 de la très sérieuse Human Rights Watch intitulé: Côte d’Ivoire : Criminalité rampante et violences sexuelles dans l’ouest du pays http://www.hrw.org/fr/news/2010/10/22/c-te-d-ivoire-criminalit-rampante-et-violences-sexuelles-dans-l-ouest-du-pays Que lissons nous entre autre?
« Dans la région des Dix-Huit Montagnes, encore largement sous le contrôle de fait des Forces nouvelles, des soldats rebelles se répandent dans les postes de contrôle, les commerces et les stands des marchés pour réclamer de l’argent, en recourant à l’intimidation et à la violence pour faire respecter leurs exigences. Human Rights Watch a établi que dans la seule région des Dix-Huit Montagnes, les Forces nouvelles extorquent chaque année l’équivalent de dizaines de millions d’euros, pour l’essentiel aux personnes impliquées dans tous les secteurs des industries du cacao et du bois de construction.
« Les forces de police et de sécurité ont complètement failli à leur obligation de protéger la population de l’ouest de la Côte d’Ivoire contre le banditisme effroyable de ces gangs criminels », a conclu Corinne Dufka. « Le gouvernement doit de toute urgence améliorer sa riposte à cet état d’anarchie complète, qui cause des ravages dans les vies de la population locale. »
Ce n’est pas sur cette note que nous voulons conclure cette petite analyse de peur que ne triomphe l’idée qui veut que la pensée ait de plus en plus des difficultés à saisir le sens du bruit de l’histoire. Oui ce bruit est plus proche alors d’une assourdissante cacaphonie que d’une mélodie dont l’oreille humaine devrait aujourd’hui accepter de suivre le cours. Oui en Côte d’Ivoire, pour paraphraser Paul Valéry dans un passage devenu désormais classique: « L’imprévu lui-même est en voie de transformation et l’imprevu moderne est presque illimité. L’imagination défaille devant lui… Au lieu de jouer avec le destin comme autrefois une honnête partie de cartes, connaissant les conventions du jeu, connaissant le nombre des cartes et des figures, nous nous trouvons désormais dans la situation d’un joueur qui s’apercevrait avec stupeur que la main de son partenaire lui donne des gigures jamais vues et que les règles du jeu sont modifiées à chaque jeu ». (Paul Valéry, Regard sur le monde actuel, in Oeuvres, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, tome II, 1960.
A nous alors aujourd’hui de tenter de reconstruire la paix parce qu’elle est finalement le maître mot de ce que veulent les peuples qui vivent en Côte d’Ivoire.
Dr Vincent Sosthène FOUDA – Socio-polititologue – Chaire de Recherche du Canada en mondialisation citoyenneté et démocratie Université du Québec à Montréal – Canada