Depuis l’assaut « Kadangais » contre le domicile du député Kpatcha Gnassingbé, les relations entre ce dernier et son frère ainé le chef de l’Etat, qui étaient déjà désagréables, ont franchi une nouvelle étape lourde de conséquences non seulement pour le pouvoir lui-même mais aussi pour l’ensemble du pays. Arrêté et inculpé pour « tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat avec association de malfaiteurs » après le refus de l’ambassade des USA de lui accorder l’asile, le « tout puissant » Kpatcha Gnassingbé est devenu, en quelques heures, le prisonnier le plus encombrant mais aussi le plus célèbre du pays.
Le 17 avril 2009 soit deux jours après l’arrestation de son frère, Faure Gnassingbé prononce un discours au ton larmoyant et requiert la fermeté de la justice contre le principal prévenu et ses complices : « …J’ai pris toutes les mesures pour que la justice s’exerce avec fermeté et sérénité à l’égard des auteurs de ces actes criminels et de leurs complices » déclarait le premier magistrat avant d’ajouter : « La justice suit son cours et les auditions des personnes en cause se déroulent sous la direction d’un juge d’instruction ». Plus de 7 mois après ce discours du chef de l’Etat qui a donné des garanties à la communauté internationale sur le respect du droit des prévenus et de la défense, le « dossier Kpatcha Gnassingbé » du nom du principal prévenu s’est embourbé dans une procédure judiciaire « monstrueuse », pour reprendre les termes du Bâtonnier français Charrière-Bournazel, avec en toile de fond l’instrumentalisation de la justice, de l’Assemblée Nationale et le ménage au sein de la Grande muette où, apparemment, tous ceux qui étaient soupçonnés à tort ou à raison d’être proches du député de la Kozah ont été débarqués de leurs postes de commandement. Malgré donc le discours visant à faire croire que tout sera mis en œuvre pour permettre à la Justice de faire son travail sans interférence, la situation de Kpatcha Gnassingbé et de ses coaccusés sur le plan judiciaire n’a pas fondamentalement évolué. Non seulement il est détenu au secret et n’a aucune possibilité de recevoir des visites de son épouse ou de ses proches, mais encore la procédure judiciaire est viciée et le dossier n’a connu aucune évolution sensible. Des « arrangements de couloirs »… Le gouvernement continue de soutenir jusqu’au début de cette semaine que le principal prévenu ne souhaitait pas avoir d’avocat.
De fil en aiguille, ce qu’on dénommait « tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat » qui devrait logiquement connaître une suite devant les tribunaux au vu et au su de tout le monde avec une défense qui prend connaissance du dossier est en train de quitter les couloirs de la justice pour des « arrangements de couloirs ». Où est donc passée la fermeté de la justice que proclamait Faure Gnassingbé dans son discours du 17 avril 2009 ? Qui a intérêt à régler cette affaire à l’amiable ? Dès le début de cette affaire, beaucoup n’ont pas hésité à dire clairement qu’il y a des doutes sur la version officielle. Que Kpatcha Gnassingbé nourrisse des velléités de devenir un jour président du Togo est peut-être possible. Qu’il entretienne des relations tumultueuses avec son frère Faure est peut-être aussi une réalité. D’ailleurs l’intéressé, lui, ne s’en cachait pas. Dans l’article « Les frères ennemis » paru dans Jeune Afrique et signé de la plume de Cheikh Yerim Seck, Kpatcha Gnassingbé déclarait : « Je ne prépare aucun putsch contre Faure. J’ai certes des divergences avec lui sur la conduite du pays et du parti, mais je n’utiliserai pas la force contre lui. Sur le plan personnel, il est vrai que nous ne sommes pas proches mais nous ne sommes pas obligés d’être des amis ». Il est évident que compte tenu des énormes divergences qui opposaient les deux hommes, chaque camp affûtait ses armes, mobilisait ses moyens humains et financiers « au cas où … ».
La présentation des faits après l’attaque du domicile de Kpatcha et les contorsions puériles de la gendarmerie et du procureur de la République de Lomé n’étaient pas en réalité suffisantes pour déduire la préparation d’un coup d’Etat qui était en phase d’exécution alors que le principal prévenu ainsi que les supposés complices étaient tranquillement chez eux à la maison. Il est manifeste que dans cette guerre de velours qui opposait les deux héritiers du clan Gnassingbé, on a compris dans l’entourage de Faure que la meilleure défense c’est l’attaque. Alors il a été décidé d’en finir avec l’empêcheur de tourner en rond qui est le député de la Kozah avant que ce dernier ne leur réserve une surprise, surtout que les bruits couraient sur une éventuelle candidature à la présidentielle de 2010 de l’ancien ministre de la Défense. Comme le disait ce mardi les avocats mandatés par le principal prévenu, l’objectif du commando qui a pilonné le domicile du député de la Kozah était de l’assassiner et puisque ce plan macabre a échoué alors on a trouvé des subterfuges pour parler d’atteinte à la sûreté de l’Etat ; ce qui d’ailleurs était difficile à prouver tant le dossier est vide à en croire les propos des trois avocats qui ont eu pour la première fois à le consulter. Kpatcha Gnassingbé étant devenu un prisonnier encombrant, il a bénéficié de l’effet du temps qui progressivement dégage les zones d’ombre et met à nu l’ampleur de la machination. Que ce soit dans le RPT, au sein de la Grande muette et même dans l’entourage immédiat de Faure, les langues commençaient par se délier reléguant la thèse du coup d’Etat dans la rubrique des « complots imaginaires ».
L’irruption des avocats Gally et Ajavon constitués par l’épouse de Kpatcha n’est pas pour arranger les choses. « Maudit soit le jour où ces messieurs se sont mêlés de cette affaire » disait presque furieux un proche de la présidence. Malgré les menaces, les montages visant à faire croire que Kpatcha ne voulait pas d’avocats, les deux hommes ont tenu et leur action a contribué un tant soit peu à faire jaillir la vérité autour de cette ténébreuse affaire. Le renfort des deux éminents avocats français Stasi et Bournazel a fini par compliquer la tâche aux longs couteaux de l’entourage de Faure Gnassingbé qui, visiblement, commençait par faire l’unanimité contre lui dans ce dossier. Non seulement ils ont réussi à diviser sa famille, son propre parti en le mettant en lambeaux mais aussi l’armée qui est le socle du pouvoir RPT dont il a hérité connaît des dissensions. Que ce soient les représentations diplomatiques, les personnes ressources, on aurait intercédé auprès de Faure pour la libération de son frère. Mais le locataire du Palais de la Marina, n’a pas souscrit à cette démarche tant les uns et les autres sont allés trop loin dans cette affaire et l’humiliation et la crainte d’une vengeance des prévenus dès leur sortie de prison inquiètent sérieusement. Mais ont-ils un autre choix que celui-là ? Apparemment non puisqu’un procès devant les tribunaux pour un dossier vide mettrait à nu le gros mensonge du pouvoir dans cette affaire. Face aux pressions diverses (avocats, parti, armée, famille, diplomates, militants RPT) on s’est résolu du côté de la présidence à régler l’affaire à l’amiable pour trouver une porte de sortie honorable à chaque camp. On prend alors l’initiative de jouer la « carte Toyi », le frère jumeau de Kpatcha. Le message est clair : « Il faut récuser les avocats constitués par ton épouse et tu es libre ». Kpatcha qui n’en croit pas bien sûr un mot refuse. Plus le temps passe plus la situation devient difficile à tenir surtout à l’approche de la présidentielle de 2010. Le RPT privé de moyens, alors que des associations de soutien à Faure sortent de terre tous les jours, agonise ; l’inquiétude gagne tous les barons. A la dernière réunion du Comité Central, seuls 9 barons étaient présents sur les 32. Du côté de l’opposition, l’UFC, quand bien même elle vient d’être déboutée, ne cache plus ses intentions de surfer sur l’affaire Kpatcha. Elle saisit officiellement la Cour Constitutionnelle sur l’illégalité de la détention du député Kpatcha. Comme quoi la politique c’est aussi le choix des opportunités ! Pour le camp de Faure Gnassingbé, c’est désormais la quadrature du cercle. Alors détenant les leviers du pouvoir, on manœuvre pour calmer les pôles de contestation. Avec Abdou Assouma dont on dit que les relations du pouvoir avec lui se sont énormément refroidies, sa femme, la médiatique Suzanne AHO épouse d’Assouma est nommée vice présidente de la Délégation Spéciale de la Mairie de Lomé. Un strapontin pour calmer Assouma et sa femme ? Reste à savoir si la toute puissante Suzanne AHO ne vaut pas plus que ce poste. A Kara où la tension était perceptible après le défoulement des bérets rouges sur les populations, on nomme un préfet. Malgré cette redistribution des cartes dont le but est de calmer les esprits, le dossier Kpatcha reste entier,pollue l’atmosphère et bloque le fonctionnement normal du pays.
De la fermeté de la Justice à la « conciliation » « Kpatcha donne mandat à ses avocats d’entamer une procédure de conciliation avec son frère pour l’intérêt du Togo et de la famille » a déclaré le Bâtonnier Bournazel avant d’ajouter : « cette démarche de Kpatcha Gnassingbé n’est pas un aveu de culpabilité encore moins un signe de réédition mais la réponse à des signaux émis du côté de la présidence ». En clair Kpatcha en optant pour le processus de « conciliation » à ne pas confondre avec « réconciliation » ne fait que souscrire à un désir manifesté du côté de son frère Faure. Sans conjecturer sur les mobiles de ce changement de position de Faure qui avait requis la fermeté de la justice, même si on peut facilement le deviner, il est acquis que le dossier Kpatcha est en train de quitter les arcanes de la justice pour un arrangement qui permettra à chacun de sortir la tête haute. Mais toujours est-il que lorsqu’on a joué au procureur en requérant la fermeté de la justice contre son frère et ses supposés complices et qu’on cherche aujourd’hui un règlement à l’amiable c’est qu’on est confronté à des difficultés. Pour autant, on peut se poser des questions sur la sincérité de la démarche qui vient du Palais de la Marina puisque les locataires sont connus pour leur volte face, leur double langage et leur roublardise.
Me Charrière-Bournazel qui a tenté en vain d’être reçu par Faure espère que cette démarche de conciliation n’est pas un artifice de la part du pouvoir pour gagner du temps dans une affaire qui devient de plus en plus embarrassante. Pour les avocats de Kpatcha la vigilance est de mise et on se donne 10 jours pour cette démarche. En donnant mandat à ses avocats dans cette procédure de conciliation Kpatcha Gnassingbé accentue la pression sur son frère président qui doit désormais prouver sa volonté de réconcilier les Togolais même si la plupart de ses concitoyens accordent peu de crédit à ses déclarations. A moins de trois mois de la présidentielle de 2010, la situation se complique pour Faure Gnassingbé. Les braquages à mains armées avec morts d’hommes se multiplient, les exactions et bavures des forces de l’ordre et de défense sur les populations aussi. Le gouvernement n’est pas au mieux de sa forme avec un premier ministre complètement mis sous éteignoir. La situation du pays se dégrade avec des infrastructures calamiteuses et une misère corrosive des populations.
La liberté de presse et d’expression est menacée avec l’adoption de la nouvelle loi organique portant fonctionnement de la HAAC conduisant du coup les journalistes à être sur le pied de guerre. La succession de tous ces événements les uns aussi inquiétants que les autres poussent le commun des Togolais à se demander de quoi 2010 sera fait ? Du côté de l’UE on est préoccupé. La France quant à elle est inquiète même si l’on tente de dédramatiser les choses. Mais pour Pascal Bodjona, la situation est sous contrôle et il n’y aura pas d’apocalypse au Togo. Et pourtant c’est de plus en plus compliqué pour Faure Gnassingbé. On se demande s’il a vraiment toutes les cartes en mains.
Ferdi-Nando