Affaire Bettencourt : l’audition de Nicolas Sarkozy chez le juge s’annonce mouvementée

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« À 12 heures. Pour monsieur Nicolas S. Pour information. » Le juge bordelais Jean-Michel Gentil, qui doit entendre la semaine prochaine Nicolas Sarkozy dans le dossier Bettencourt sur un éventuel financement illégal de sa campagne de 2007, ne manquera pas d’interroger l’ancien président sur cette mention elliptique inscrite dans l’agenda de Liliane Bettencourt.

Après avoir auditionné plusieurs proches de l’ancien chef d’État, dont son avocat Thierry Herzog, le magistrat devrait donc entendre cette semaine Nicolas Sarkozy, dont on apprend qu’il va être convoqué comme témoin assisté ou mis en examen. Selon l’AFP, son avocat aurait consulté le dossier chez le juge. Un « privilège » réservé seulement aux témoins assistés ou aux mis en examen. Cela n’empêche pas l’entourage de Sarkozy de penser que cette audition sera « une simple formalité ». Quoi qu’il en soit, son audition chez le juge Gentil promet d’être longue et mouvementée.

Le puzzle des rendez-vous de Nicolas Sarkozy

Celui que l’on surnomme le « cow-boy » pour ses méthodes qualifiées parfois de « brutales, humiliantes et inutilement coercitives » fourbit ses armes depuis plusieurs semaines. Selon nos informations, le magistrat n’a pas apprécié de découvrir au printemps dernier dans le Journal du dimanche les extraits de la lettre de sept pages que Thierry Herzog lui avait adressés avec les copies certifiées conformes des agendas de l’ancien président. Le juge Gentil soupçonne une manoeuvre médiatique pour décrédibiliser les témoignages des anciens employés de la milliardaire qui avaient suggéré sur P-V d’autres visites de Nicolas Sarkozy au domicile de Liliane Bettencourt, avec d’éventuelles remises d’argent.

En juillet dernier, le juge bordelais a perquisitionné le domicile et l’ancien cabinet d’avocat de Nicolas Sarkozy ainsi que ses nouveaux bureaux. Une « descente » qui lui a permis de repartir avec les agendas officiels et privés de l’ancien président. Depuis, le magistrat a méticuleusement reconstitué le puzzle des rendez-vous de Nicolas Sarkozy. « Le juge a accompli un travail remarquable », souffle une source proche de l’enquête en allusion à ces rendez-vous ayant eu lieu à l’Élysée en 2008, avec Liliane Bettencourt puis Patrice de Maistre.

Retraits d’argent suspects

Libération, qui a révélé ces nouvelles rencontres, cite les extraits d’un procès-verbal : « En novembre 2008, Nicolas Sarkozy reçoit successivement Mme Liliane Bettencourt le 5, puis Patrice de Maistre le 13. » Pour l’avocat de l’ex-président, qui ne comptabilisait qu’un seul rendez-vous de « 20 à 25 minutes » le 24 février 2007, la trouvaille du juge est embarrassante. Coïncidence fâcheuse, ces nouveaux rendez-vous correspondent à des retraits très importants d’argent sur les comptes suisses de la milliardaire. « Après ce rendez-vous, monsieur de Maistre se rend à Genève pour commander deux opérations de mise à disposition d’espèces de 1 000 000 d’euros le 8 décembre », précise le procès-verbal cité par le quotidien.

Ce n’est pas le seul retrait suspect que les juges imputent à Patrice de Maistre. Ce dernier est soupçonné d’avoir au total supervisé le rapatriement vers la France de quatre millions d’euros provenant de deux comptes en Suisse des Bettencourt. Deux retraits de 400 000 euros avaient eu lieu pendant la campagne et à l’entre-deux-tours en 2007. Cela avait alors nourri les soupçons d’un financement illicite de la campagne du candidat Sarkozy. Dans son ordonnance du 22 mars, le juge Gentil s’était interrogé ouvertement sur cette éventualité. « Il convient de noter que des témoins attestent d’une visite du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, au domicile des Bettencourt pendant la campagne électorale de 2007 », écrivait le magistrat, évoquant des « investigations nécessaires s’agissant de ces premières remises de 2007 ».

« De Maistre me dit que Sarkozy demande encore de l’argent »

Un mouvement d’argent rendu suspect par cette phrase écrite à la même date dans le journal intime de François-Marie Banier, le confident de Liliane Bettencourt : « De Maistre me dit que Sarkozy demande encore de l’argent. » Le photographe a eu beau minimiser la portée de ces écrits devant le juge Gentil, celui-ci soupçonne Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune des Bettencourt, d’avoir été le rouage d’un éventuel financement politique occulte.

Les policiers ont ainsi établi que, le 18 janvier 2007, la veille d’un rendez-vous avec Éric Woerth, alors trésorier de la campagne, de Maistre avait reçu 150 000 euros en liquide. Ils savent également que 3 semaines plus tard, le 7 février, 400 000 euros en espèces ont été retirés de l’un des comptes suisses des Bettencourt 2 jours avant une nouvelle rencontre entre de Maistre et Woerth. L’ancien ministre, mis en examen pour « trafic d’influence » et « recel de financement illicite de parti politique », a toujours nié, parlant de « construction intellectuelle ». Tout comme de Maistre, qui, incarcéré depuis le 23 mars, persiste à dire que l’argent n’était pas destiné à ces fins.

Nicolas Sarkozy ne pourra pas non plus échapper aux questions du juge sur ses rendez-vous avec l’ancien procureur de Nanterre Philippe Courroye. Le président et le magistrat se sont vus à huit reprises entre septembre 2008 et mars 2011, en pleine affaire Bettencourt. L’agenda de l’ex-chef de l’État fait état de rendez-vous privés avec un certain « Ph C » à des dates correspondant aux principaux rebondissements de l’affaire. « Il n’a jamais été question de cette affaire dans mes rencontres avec M. Sarkozy, a contesté l’ancien procureur. Je le vois une à trois fois par an pour évoquer des sujets généraux et institutionnels. Ce sont des rencontres privées. (…) Je ne dirais pas que nous avons des relations amicales, mais personnelles », a-t-il encore dit aux magistrats. Nicolas Sarkozy sera sans nul doute sur la même ligne…

JEAN-MICHEL DÉCUGIS, CHRISTOPHE LABBÉ ET MÉLANIE DELATTRE

 

 

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