Affaire Abacha : la Suisse va restituer 380 millions de dollars au Nigeria

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La justice suisse a annoncé ce 17 mars la restitution au Nigeria de 380 millions de dollars confisqués à la famille Abacha, mettant fin à une procédure lancée en 1999.

En Suisse, l’affaire Abacha, qui a occupé pendant des années les tribunaux, connaît son épilogue. Le Ministère public de Genève a annoncé, le mardi 17 mars, la restitution au Nigeria des 380 millions de dollars qui avaient été confisqués à la famille de Sani Abacha, qui a dirigé le pays ouest-africain entre 1993 et 1998. La procédure, engagée par Abuja en 1999, est désormais classée.

Ces décisions font suite à un accord global conclu par les autorités nigériannes, qui se sont battues pour récupérer l’argent pillé par le clan Abacha, durant la dictature du général. L’argent détourné avait été placé sur des comptes à l’étranger. Les 380 millions de dollars avaient été saisis en 2006 au Luxembourg, sur ordre de la justice genevoise.
Leur confiscation et leur rapatriement à Genève avaient été décidés dans le cadre d’un accord conclu en juillet 2014, entre le Nigeria et la famille Abacha. L’accord prévoyait l’allocation des avoirs confisqués au Nigeria et l’abandon par les autorités nigériannes des charges contre Abba Abacha, le fils de Sani Abacha.
Au total, ce sont 2,2 milliards de dollars que l’ancien dictateur aurait détournés. Entre 2005 et 2009, le Nigeria est parvenu à récupérer 808 millions de dollars, rétrocédés par les banques suisses. En juin 2014, le Liechtenstein a, à son tour, accepté de restituer au pays environ 167 millions d’euros détournés par Sani Abacha. Enfin, en août 2014, la justice américaine a obtenu le droit de saisir plus de 480 millions de dollars, cachés sur des comptes bancaires en Europe par les proches de l’ancien dictateur.

(Avec AFP)

Enquête – Nigeria : Genève clôt en catimini le dossier du dictateur Abacha

Par Marie Maurisse (Genève, correspondance)

LE MONDE|

Des milliards volés dans les caisses du Nigeria, des comptes cachés partout dans le monde, des procédures pour blanchiment. Depuis la fin des années 1990, la question des fonds Abacha, du nom du dictateur nigérian qui a terrorisé son pays entre 1993 et 1998, hante les Palais de justice de nombreux pays. Pourtant, c’est dans la plus grande discrétion que le ministère public de Genève a récemment décidé de régler ce dossier d’une ampleur internationale.

Le 14 juillet 2014, l’Etat du Nigeria signait, sous l’égide de la justice genevoise, un accord secret avec les fils de Sani Abacha. Ce document confidentiel, dont Le Monde Afrique a obtenu copie, met fin aux procédures judiciaires à l’encontre de l’un de ces fils, Abba Abacha, poursuivi depuis 1999 pour « participation à une organisation criminelle ». Dans une ordonnance datée du 12 février 2015, Olivier Jornot, procureur général genevois, classe donc définitivement la procédure. Il y relève que « tout bien pesé (…) l’intérêt au rapatriement des fonds l’emportait sur la condamnation d’Abba Abacha ».

Ce « repatriation agreement» (accord de rapatriement) » prévoit en effet la restitution de 1,1 milliard de dollars détournés par l’ancien dictateur et bloqués sur des comptes au Luxembourg, au Liechtenstein, à Jersey, en France et en Angleterre. La procédure n’a pas tardé à se mettre en route: selon nos informations, 650 millions auraient, depuis la signature de l’accord, déjà été versés à l’Etat nigérian, représenté dans la transaction par Mohammed Bello Adoke SAN, ministre de la Justice du pays.

Une fin en queue de poisson

Au sein de l’ONG suisse « La Déclaration de Berne », Olivier Longchamp est estomaqué par cette fin en queue de poisson. « Ni vu, ni connu… Voilà qui prouve que les mécanismes d’entraide internationale en matière pénale ne fonctionnent pas, estime le spécialiste de l’ONG, qui suit le dossier Abacha depuis le début. Cet accord est presque une incitation à cacher de l’argent en Suisse: même s’il est bloqué, ceux qui l’ont détourné ne seront pas condamnés ».

Depuis plusieurs années, la Suisse clamait pourtant que sa politique sur les biens mal acquis était exemplaire. Et pour cause: Berne avait été le premier Etat à restituer une partie de ces fonds – 700 millions, sur un total de un milliard de dollars dissimulés dans des banques helvétiques, avaient été rendus à la République Fédérale du Nigéria entre 2004 et 2010. En 2006, le ministère suisse des affaires étrangères avait même pris l’engagement de « poursuivre (…) une politique visant à restituer les fonds de potentats si possible rapidement, dans leur intégralité, en toute transparence et en toute lisibilité. » Un voeu pieux: quand Genève a signé cet accord secret l’été dernier, le ministère suisse des affaires étrangères n’a même pas été mis dans la confidence…

Le pactole des avocats suisses

Pour l’avocat français William Bourdon, spécialiste des biens mal acquis, « une restitution en catimini est inacceptable. Il s’agit d’argent public, donc les citoyens devraient avoir accès à l’information. Sans quoi cela ne peut que nourrir le soupçon sur des concessions qui pourraient être anormales, excessives, et sur des avantages indirects, ou directs, tirés par certains ».

Les avocats, est-il ainsi mentionné noir sur blanc dans l’accord secret, toucheront respectivement des commissions de 4% et 2.8% du total des fonds rapatriés. Me Enrico Monfrini, avocat à Genève de l’Etat nigérian, qui a vécu au Gabon et en Côte d’Ivoire, compte déjà l’ex-dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier à son tableau de chasse et participé à la traque des avoirs de Mobutu en Suisse. Pour son travail sur l’argent d’Abacha, il a déjà perçu environ 24 millions de dollars. « Je n’ai rien à cacher, dit-il. Ce sont des frais qui correspondent à 15 ans de travail acharné, à retracer les milliards détournés ». Christian Lüscher, qui défend Abba Abacha depuis décembre 2011, a récupéré 17 millions. Contacté, l’avocat, qui est aussi député de centre-droit au parlement suisse et vice-président du Parti libéral-radical, explique que cette somme a été redistribuée à d’autres avocats qui on travaillé sur l’affaire et qu’au final, son cabinet n’a perçu qu’1.8 million, une rétribution « tout à fait justifiée au vu du résultat ».

Sani Abacha (1943-1998), tel que toujours représenté dans la galerie nationale, à Lagos, où figurent les portraits de tous les dirigeants du pays. Ce tableau, daté de 1995, est signé Felix Osiemi i
Au total, les honoraires des avocats pourraient dépasser les 70 millions de dollars, soit environ 7% des fonds restitués, ce qui est élevé comparé aux standards internationaux. Une convention de l’ONU de 2003 sur la rétrocession de fonds issus de la corruption indique que les Etats qui conduisent les investigations peuvent garder une part « raisonnable », estimée à environ 2%, pour couvrir leurs frais.

L’accord précise aussi que ces honoraires seront calculés sur « tous les montants rapatriés ou transférés au Nigeria, qu’ils soient versés sur le compte de l’Etat nigérian auprès de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) à Bâle, ou qu’ils soient alloués, en liquide ou sous toute autre forme, au bénéfice du Nigeria ou de son peuple » . A la Déclaration de Berne, Olivier Longchamp doute de la bonne allocation de ces fonds. « En 2005, une partie substantielle des sommes qui avaient été rendues par la Suisse au Nigeria avaient disparu dans les méandres du Trésor nigérian, se souvient-il. Ce risque ne peut être exclu dans la situation actuelle. » Comme de nombreux autres spécialistes, il souhaite que les populations civiles soient impliquées dans les procédures de restitution des biens mal acquis. Au Nigeria, l’Etat n’a toujours pas rendu public l’accord passé avec les héritiers de son ex-dictateur.

Avec François Pilet (l’Hebdo)

Marie Maurisse

Genève, correspondance

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