M. Abbas Youssef : Je suis à Lomé parce qu’il y a une instruction en cours et que je dois répondre à une convocation du juge, d’après les informations qui m’ont été transmises par mes avocats. J’attends une confrontation avec messieurs Bertin AGBA, Pascal BODJONA et Jean-Pierre GBIKPI, ambassadeur à l’époque des faits et également impliqué dans l’affaire d’escroquerie dont je suis la victime.
Vous êtes soupçonné d’être instrumentalisé par le pouvoir togolais aux fins d’impliquer des personnalités politiques de notre pays dans le dossier. La preuve en serait qu’un jet privé vous aurait été mis à disposition pour faire le voyage de Lomé. Qu’y répondez-vous ?
Je suis venu à Lomé par le vol régulier d’Air France et je peux vous fournir une copie de ma carte d’embarquement qui indique clairement que j’ai voyagé avec cette compagnie et non avec un avion officiel (Monsieur Youssef est arrivé effectivement à Lomé par le vol régulier AF860 d’Air France du 26 août 2012, ndlr) . En plus, j’ai d’autres documents à l’hôtel prouvant que je suis arrivé de Dubaï à Paris à 6h du matin et de là j’ai rejoint directement Lomé.
Dans cette affaire, sont cités des noms comme celui du Français Loïc Le FLOCH PRIGENT, ancien Directeur général d’Elf-Aquitaine. N’est-ce pas curieux que vous n’ayez initié aucune procédure contre lui dans son pays ? Cela ne conforte-t-il pas l’idée que vous êtes manipulé ? Pourquoi ne portez-vous pas plainte contre monsieur Le Floch Prigent ?
Tout ceci est faux. La justice togolaise a émis un mandat contre monsieur Le FLOCH PRIGENT et établi une commission rogatoire à l’adresse de la justice française. Je peux vous assurer que très bientôt, une instruction sera ouverte dans ce pays contre lui. Etant donné que la justice française n’a pas réagi en dépit des documents envoyés par la justice togolaise, j’ai décidé d’enclencher une procédure parallèle qui partirait de Dubaï, passera par le canal diplomatique de mon pays pour atteindre Paris afin que M. Loïc Le FLOCH PRIGENT soit entendu. Vous avez raison : Il fait bien partie du réseau dont j’ai été victime.
Votre seule motivation aujourd’hui est-elle de rentrer dans vos droits par rapport aux fonds dont vous auriez été spoliés ? N’y a-t-il aucune arrière pensée politique ?
Je veux être clair sur ce point. Je suis un homme d’affaires. J’ai été escroqué par ce gang pour des millions de dollars et j’ai donc besoin d’avoir mon argent. Je n’ai aucun intérêt politique dans ce dossier. Partout dans le monde, lorsqu’il y a des ministres impliqués dans des délits d’escroquerie, cela devient une affaire d’Etat. Elle dépasse la cadre privé pour concerner tout le pays. Que les auteurs soient homme politique, haut gradé de l’armée, n’est pas mon problème. Seul m’importe de recouvrer mon argent. Le reste concerne le Togo et ses autorités.
Sans évoquer les éléments du dossier pour éviter de violer le secret de l’instruction, de quoi vous plaignez-vous exactement ?
Tout simplement d’avoir été escroqué. J’ai suffisamment de preuves sur cette escroquerie, notamment des transferts d’argent et des échanges d’emails avec les membres du gang. Ils n’ont donc aucune chance d’échapper à une condamnation ; et je n’abandonnerai pas tant que je n’aurai pas été remboursé. J’ai confiance dans les institutions de ce pays et je veux avoir l’assurance que personne ne peut être au dessus de la loi. N’est-ce pas là d’ailleurs le principe fondamental de toute Constitution ?
Pourquoi la prétendue fortune de Robert GUEI vous-a-t-elle intéressé ?
Je n’ai jamais été intéressé par une quelconque fortune. J’ai été commandant de l’armée de l’Air et sur ce point mon intégrité est sans équivoque. Il ne m’est donc pas permis de prendre de l’argent qui ne m’appartient pas. C’est la façon dont l’affaire m’a été présentée qui m’y a amené ; et la première personne à qui je me suis référé est Le FLOCH PRIGENT, puisque comme je l’ai dit, je ne connaissais pas vraiment l’Afrique.
De nombreux journaux à Dubaï se font souvent l’écho de nombreuses affaires d’escroquerie en Afrique et c’est pour cela que je me suis tourné vers Le FLOCH PRIGENT pour m’éclairer. Or, il s’est avéré que c’était lui le chef d’orchestre. C’est compliqué de vous dire exactement comment j’ai été embobiné. Mais l’argent dont on parle et qui se trouverait sur un compte, n’a rien de comparable à ma fortune personnelle.
Le gang voulait juste m’arnaquer. A un moment, je ne contrôlais plus rien. C’était bien programmé car à Dubaï, il est difficile de me rencontrer. J’étais, le jour de la première rencontre, à un rendez-vous d’affaires dans un hôtel. A la sortie, je me suis retrouvé seul parce que je voulais me laver les mains dans les toilettes. C’est là où ils m’ont abordé. Ils savaient exactement où me trouver et seul. Je n’ai jamais été intéressé par cette prétendue fortune. Il était question d’aider la famille du feu Président Robert GUEI à entrer en possession de fonds bloqués dans une banque togolaise ; et ensuite de la conseiller en matière d’investissement, ce qui fait partie de mes activités.
Vous utilisez souvent le mot « Gang » pour désigner ceux qui vous auraient escroqué. Qui sont les membres de ce gang ?
En fait, c’est une équipe. Il y a Loïc Le FLOCH PRIGENT, Bertin AGBA, Pascal BODJONA, Jean-Pierre GBIKPI, Mounir AL SAGUEI, Mamadou KEITA, Mahmoud SAMARAI alias Abou TAHAA, Ali ABDOU, Abdel AZIZ et bien d’autres qui, je crois, résideraient au Ghana. Certains noms qui m’ont été donnés sont peut être faux. Mais Bertin AGBA apparaît clairement comme le chef de ce gang. Il est malheureux et choquant que l’ancien ministre de l’Administration territoriale Pascal BODJONA se soit montré ouvertement comme faisant partie de ce groupe. Je le connais personnellement. C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment.
Dans le lot, y a-t-il des personnes que vous connaissiez avant ou c’est au début de l’affaire d’escroquerie que vous les avez tous rencontrés ?
La seule personne que je connaissais et qui travaillait pour moi comme conseiller personnel en dehors des conseillers de ma société, c’est Le FLOCH PRIGENT. Il est établi aujourd’hui qu’il était de mèche avec tout ce beau monde avant moi ; et que c’est lui qui m’a attiré dans cette affaire d’escroquerie.
De combien avez-vous été spolié dans cette affaire ?
En prenant les transferts et les éléments dont je dispose, cela fait entre 40 et 50 millions de dollars (environ 25 milliards de FCFA, ndlr). Il y en a plus ; mais c’est ce montant que je pourrai prouver.
Est-il possible à ce stade d’envisager encore un règlement amiable ?
S’ils me remboursent, j’arrête toutes les procédures en cours.
Maintenez-vous l’accusation contre le Ministre Pascal BODJONA et son éventuelle appartenance à ce que vous appelez gang ? Si oui, que lui reprochez-vous exactement? D’avoir crédibilisé à vos yeux les manœuvres ou d’avoir participé à l’escroquerie ?
Le fait est qu’ils ont toujours montré que Pascal BODJONA est un allié et un protecteur dans toutes leurs manœuvres et qu’il se présentait lui-même comme ministre en exercice. C’est l’élément fondamental qui m’a poussé à leur faire confiance.
Que faites-vous exactement dans la vie ? Puisqu’il y a également toute une polémique autour de vos activités. Vous vous présenterez parfois comme responsable de sociétés fictives.
La personne qui se présente comme responsable de société qui ne lui appartient pas c’est Le FLOCH PRIGENT. Quand j’utilise le terme conseiller personnel parlant de lui, c’est parce qu’il n’est pas directement employé par ma société et qu’il n’a de ce fait, aucun lien avec elle. Je suis un homme d’affaires qui investit et a des intérêts un peu partout dans le monde : Chine, Cuba, Allemagne, Roumanie, Argentine, Chili, Uruguay et bien d’autres pays encore.
Vous investissez pour votre propre compte ou pour le compte d’un groupe de compagnies ?
Pour mes affaires personnelles. C’est pourquoi je vous dis que je suis un homme d’affaires et non un employé. Et dans mon groupe, je suis le patron.
Avant cette affaire, connaissiez-vous l’Afrique ?
Pas du tout, je connaissais très peu l’Afrique.
Pourtant sur des photos qui ont circulé, on vous a vu en compagnie du Président Denis Sassou N’guesso au Congo, ou encore avec l’ex-Président Dadis Camara de la Guinée ?
Ce n’est pas en visitant un pays africain l’espace d’un jour qu’on peut se targuer de connaître l’Afrique. J’ai effectivement une fois visité la Guinée Conakry et j’y ai rencontré le Président Dadis CAMARA. Cette rencontre organisée par les auteurs de l’escroquerie, fait partie des manœuvres destinées à la commission de leur acte. Je suis un homme d’affaires et je ne puis être fermé au monde extérieur. Quand l’on me propose de me faire rencontrer des personnalités, de surcroît des autorités, je ne saurais donc refuser. Car à chaque rencontre, je suis à l’affût d’opportunités d’affaires.
Quant au Congo, j’y investis dans le pétrole et le gaz. J’ai donc rencontré le Président Sassou N’Guesso que je considère comme un ami car il m’a donné une vraie opportunité d’investissement dans son pays. Et je suis fier aujourd’hui des résultats ainsi que de tous ceux qui collaborent avec ma société au Congo. Je sais que Loïc Le FLOCH PRIGENT a fait de la prison pour une affaire d’escroquerie. Mais j’ai voulu lui donner une seconde chance en lui offrant du travail. Malheureusement, il m’a prouvé avoir l’escroquerie dans le sang. Dans cette affaire, je lui ai fait confiance parce qu’il a une meilleure connaissance de l’Afrique que moi. En plus, je m’étais dit qu’à son âge, il aurait appris de ses erreurs. J’ai été naïf sur ce point.
Vous êtes au Togo pour combien de temps ?
Nous sommes là pour une semaine. Ce matin, nous avons informé le juge de notre présence. Mais il nous a signifié avoir été dessaisi de l’affaire à cause de l’appel fait par monsieur BODJONA. Nous attendons que le juge nous rappelle pour la suite.
Vous sentez-vous en sécurité au Togo ?
Nous sommes tous de grands croyants en Dieu. En plus, j’ai été pilote dans ma vie et vous mesurez à quel point j’ai eu à prendre des risques. Un dicton de chez nous dit : « un poltron meurt tous les jours mais le brave homme ne meurt qu’une seule fois. »
Source : | Focus Info