72 ans : c’est un bel âge, mais cela ne fait pas pour autant de vous un vieillard même en Afrique, où des gérontocrates autrement plus âgés se cramponnent encore à la barre. Alors, pourquoi a-t-il été stoppé, lui, le Chouchou de la Communauté internationale, l’Économiste de talent grâce auquel une Côte d’Ivoire officiellement florissante, aurait aujourd’hui dépassé la Chine en termes de croissance ? Un pays phare bientôt desservi, noblesse oblige, par sa majesté l’airbus A380 ?
Il a été frappé à la cuisse, comme autrefois le patriarche Jacob, blessé par l’ange avec lequel il combattait. Mais la ressemblance s’arrête là. Jacob a lutté toute la nuit, avant de remporter la victoire et de comprendre, à l’issue de ce corps à corps salutaire, que c’est D.ieu qui l’a frappé. Et s’accrochant au « destin » qui lui fait barrage, il le supplie : « je ne te lâcherai, que tu ne m’aies béni ! ». La sciatique de Ouattara, qu’elle soit ou non liée au crabe qui le ronge depuis 1998, ce coup d’arrêt imposé à sa brillante carrière, l’ont-t-ils rapproché de ses frères en humanité, eux aussi créatures de Dieu, qui souffrent, exilés, abandonnés ? N’a-t-il a depuis longtemps cessé de compter les morts, le jour où le compteur international s’est arrêté ? A-t-il perçu l’indécence des soins exceptionnellement coûteux et sophistiqués dont il bénéficie, lui qui avait, il y a trois ans, cautionné l’infâme boycott imposé par la France sur les médicaments ? Toujours entre deux séances de soins en Métropole, n’en a-t-Il pas moins condamné à mort la sœur de Simone Gbagbo, qui, faute de pouvoir renouveler son passeport, n’a pu recevoir à l’étranger les soins qui qu’exigeaient son cancer; comme il avait auparavant condamné à mort son collègue l’économiste Bohoun Bouhabré, en l’empêchant, en Israël, de financer la greffe de rein qui aurait pu le sauver ?
Le voilà aujourd’hui frappé à son tour par l’ange de D.ieu, mais il n’est pas Jacob-Israël. On lui a fait croire que Mossi était synonyme de Messie, alors que tout n’était qu’une sinistrement « divine » comédie; il n’a pu que singer la réalité des vérités spirituelles, sous la bannière d’un dieu travesti, la très puissante et funeste idole du Profit, qui asservit les hommes au lieu de les libérer. La souffrance va-t-elle aujourd’hui le faire communier à celle endurée par ses victimes, à cause de lui, à cause de son allégeance à ces maîtres dont il n’était que le suppôt ?
Comme un sous-marin qui, passé un certain seuil d’inclinaison et de vitesse, ne peut plus redresser la barre, il fonce vers son destin, dernière plaie d’Egypte, mais clé de la libération du peuple. Dans la tradition juive, on dit que D.ieu n’a pas apprécié la jubilation des anges, après la noyade des chars et des cavaliers égyptiens, victimes de l’endurcissement d’un Pharaon courant à sa perte, entraînant après lui un pays économiquement ruiné par sa faute, hypothéquant par orgueil l’avenir de populations entières endeuillées par la mort de tous les premiers-nés…
Sur cette photo de Ouattara, on découvre l’image d’un homme souriant, riant même, dévoilant quelque-chose d’une réalité sans artifices, d’une humanité riche de cœur et d’émotions. C’est l’image d’un Ouattara qui aurait pu évoluer autrement, s’il n’avait pas prêté l’oreille aux sirènes de l’Occident, s’il était resté attaché à son D.ieu, à ses valeurs, en misant sur une vraie famille et de vrais amis; s’il avait été moins flatté, moins adulé. L’Occident, par le biais d’une anodine bourse d’études, lui offrait la chance de s’extraire, tout jeune encore, d’un cadre prétendument sans avenir, enfant pauvre d’une campagne pauvre de haute Volta; les Occidentaux, les Français en particulier, ont beaucoup pratiqué ce type sélection des cadres africains. « Grâce » à eux, Ouattara a pu côtoyer un monde différent, soi-disant évolué », aux manières raffinées; il a goûté aux mets délicats de ses « bienfaiteurs », porté comme eux des vêtements chics, et conduit à leur exemple des voitures luxueuses; il a connu les élites pensantes et dirigeantes, croyant naïvement dès lors appartenir à cette nouvelle race de Seigneurs, de décideurs, de banquiers tuteurs et tueurs d’états endettés.
En fonctionnaire fidèle et zélé, il a gravi les échelons : de retour chez lui diplômé, certifié, estampillé du label magique « international », il pouvait désormais accéder à de hautes fonctions portant la même estampille; et sceller une alliance de béton avec la femme d’affaires à poigne qui s’offrait à le seconder; tout cela sous les auspices bienveillantes d’une France qui avait tout à gagner : Dominique n’était-elle pas prête à tout pour se hisser sur le devant de la scène, pour réussir, elle, la petite émigrée de Constantine, déjà mariée à 18 ans à un brave coopérant, sans bagage universitaire, mais bien déterminée à se faire un nom, à se tailler un empire ? Servie par son tempérament de battante, jouant habilement de son minois au teint de pêche, elle était déjà passée maître dans l’art de se rendre indispensable jusque dans les hautes sphères du pouvoir.
Avec Dominique, Dramane a voulu tourner cette page qui lui faisait honte, oublier son passé d’enfant pauvre, né dans une famille simple, sans histoires. Au contact des démarcheurs de l’Occident, il s’est pris à rêver : le voilà devenu l’illustre descendant de la non moins illustre dynastie de Kong, héros de l’un de ces feuilletons-fleuves américains à plus de 3000 épisodes; il devenait le sauveur, l’homme incontournable, au bras de sa blonde égérie. A la tête de la BCAO, sa signature sur les billets de banque, c’était autant de milliers d’autographes distribués généreusement au commun des mortels, plus gratifiants que ne le seraient jamais ceux inscrits lors d’une soirée dédicace sur la page de garde d’un livre jamais écrit, jamais pensé : où sont en effet sa vision de l’Afrique et de la Côte d’Ivoire ? d’ailleurs, pourquoi penserait-il ? « On »pense pour lui. Toujours en décalage par rapport à lui-même; refoulant sa personnalité au lieu de la cultiver, reniant son enfance au point de s’inventer une mère autre que la sienne, il sera dorénavant le migrant de service, jonglant avec les cultures, États-Unis, France, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, FMI, Union Africaine.
Au fond, qui est Ouattara ? Ce qu’il a choisi d’être : l’homme du FMI et des lobbies financiers, le fonctionnaire, ou bien Alassane né Dramane, son premier prénom ? Le plus triste, c’est qu’Il ne se sent bien que comme Ado; Ado, ça sonne bien, c’est un nom de scène, c’est le nom du héros qu’il va devenir, il s’y adjoint même un totem, comme chez les scouts, « Solution ». Ado-Solution, c’est le « sésame-ouvre toi », le « table dresse-toi », le miraculeux mirage des contes de fée. Il a même voulu punir ceux qui l’appelleraient Dramane, lui renvoyant l’image de l’étranger qu’il est.
Or Dramane n’est jamais devenu Ado, encore moins « solution ». Coincé dans son rôle de haut fonctionnaire imposé par la force, dans le fracas des armes de la communauté internationale, il n’a pas su se faire aimer, parce qu’il est apparu comme un dresseur de fauves dans l’arène, un fouet à la main. Du haut sa hauteur, il n’a jamais su se baisser, prendre la température de ce peuple à qui on l’a imposé. Refusant ses propres origines, il a cru qu’en privant les ivoiriens de leur passé, de leur histoire d’amour avec un chef aimé, son amnésie finirait par devenir la leur. Au lieu de s’asseoir, de réfléchir, de comprendre qu’on ne naît pas politicien, chef d’état, mais qu’on le devient par la pratique et l’amour du peuple; dépassé et malade, il a laissé les occidentaux décider pour lui : pauvre Ado, qui se croyait enfin roi à la place du roi; mais qui n’était que le coursier de ses commanditaires…
Pauvre Ouattara : Son monde s’écroule, tous les membres du « gratin », hier encore à ses pieds s’activent déjà à prendre langue avec son successeur. Les rivaux commencent à s’affronter : Soro, accroché à une Constitution qui aujourd’hui le favorise en faisant de lui le dauphin légitime; Kablan Duncan, récemment mis en avant par le PDCI; et enfin Dominique, laquelle, en cheville avec Hambak, prépare fébrilement sa reconversion à la tête du pays. Plus soucieuse de survivre politiquement aux bouleversements en cours que d’entourer de son affection les progrès de son époux convalescent − comme en témoigne son retour à Abidjan, prévu pour aujourd’hui ou demain − elle connaît à fond tous les dossiers : c’est donc sur elle − tout officieusement bien sûr, son statut d’épouse ne lui donnant aucun rôle officiel – que la France compte pour assurer une transition qu’il est urgent d’habiller sur mesure avec les vêtements de la légalité et de la légitimité. Dans sa brume d’hôpital, à peine sorti d’une grosse opération, très handicapante au niveau des jambes, certainement astreint à une lente et pénible rééducation, Ouattara est aujourd’hui le témoin impuissant de sa propre déchéance. Après avoir activement contribué pendant douze ans au dépeçage de la Côte D’Ivoire, il doit assister au dépeçage ce qui lui reste, y compris sa signature tant convoitée, pour qu’au pays, avec ou sans lui, petites et grandes combines continuent sans encombre à battre leur plein.
Pauvre Ouattara : même l’Onuci et la Licorne n’ont plus de temps à lui consacrer. Sur le terrain, en Côte d’Ivoire, il faut sécuriser, être prêt à intervenir. Seul un retraité, Jean-Marc Simon, vestige de l’ère Sarkozy, est venu passer quelques instants auprès de lui, pas longtemps, de peur de le fatiguer. Le voilà déjà relégué dans le passé : très passé, quoique vivant. La représentation avait pourtant bien commencé, un vrai conte de fée : belle installation, beau décorum. Des amis en foule, la perspective, avec leur soutien, d’élargir le rêve à un second mandat. Et puis brusquement, l’arrêt, la panne, qu’aucun mensonge, si savant soit-il, ne peut plus camoufler. L’Histoire va continuer de s’écrire, elle s’écrira sans lui, elle s’écrira avec Dominique si le plan des Français se déroule comme prévu; mais ce faisant, tout le monde verra que Dominique était, avant lui, le choix de la France. Parce que dans un travail de déménagement, il faut une logistique et des gros bras. Pour vider la Côte d’Ivoire de ses ressources et laisser sur place les balayeurs et pique-assiette, on n’a pas besoin d’un Économiste, mais seulement d’une armée de barbouzes. Lui n’aura été qu’une devanture, le gage bien visible d’une respectabilité dont au fond ni Sarkozy ni Hollande, ni Obama ne de soucient…
Pauvre Ouattara, dépouillé, jeté avant même sa date de péremption : octobre 2015. Puisse-t-il, du fond de son impuissance, crier à Dieu de toutes ses forces, et s’employer à faire le bien dont Il reste capable. Semé par lui, le moindre grain de sable susceptible de gripper les rouages bien huilés de l' »après-sans-lui » imaginé par ceux qui se croient les maîtres du jeu sera le bienvenu. Remise entre les mains du Créateur, sa faiblesse même ne saurait l’empêcher de poser encore des actes vrais, des actes rédempteurs, comme la confession de ce qui s’est vraiment passé. S’il lui est impossible de ressusciter les morts semés par sa rébellion, il peut encore désigner les donneurs d’ordre, les vrais assassins, les vrais méchants. Rien dans son métier ne le destinait à finir tueur à gages, pour le compte de patrons qui n’ont actuellement d’autre souci que de le remplacer au plus vite par un autre grand naïf.
« Jette ton pain à la face des eaux, avec le temps tu le retrouvera ».
Même si Ouattara n’a plus de force, qu’au moins il confie à L’Eternel sa détresse et sa peur. La perspective d’un enterrement en grande pompe n’a jamais consolé personne. Le face à face avec D.ieu, si. Dans toute la Bible, seul le récit de la Genèse évoqué plus haut nous parle de sciatique : alors, qu’il s’accroche à Celui qui fait mourir et qui fait vivre, et puise dans sa dignité d’homme créé à l’image de D.ieu la volonté d’accomplir des gestes de vie; la volonté de jeter quelques miettes de vie sur cette mer de sang : gestes symboliques, peut-être sans grande portée apparente, mais scellés dans les Cieux, pour devenir, dans le secret de ces retrouvailles de Dramane avec son D.ieu, les germes d’un avenir auquel l’Occident et ses hommes de l’ombre ne pourront barrer la route. Toutes les cartes ne sont pas encore distribuées : puisse Ouattara consacrer ses dernières forces à remettre à D.ieu sa cause; à se laisser racheter, lui et « sa solution » devenue inefficace, au profit la solution d’En-Haut : celle en vertu de laquelle, au travers de l’autodestruction des méchants, notre Éburnie exsangue sera délivrée.
« Jamais au grand jamais, Il ne sera jamais dit que moi Gbagbo j’ai cherché à tuer Ouattara. Çà ! Jamais. Il se consumera comme une bougie… » Cette phrase prophétique de Laurent Gbagbo prend aujourd’hui tout son sens. Ma prière, c’est que la bougie qui se consume ait encore la force et le courage de mettre le feu aux poudres et de déranger, de bouleverser les plans des vrais méchants, les commanditaires du mal, pour que se lève enfin une ère de Justice, dans un monde authentiquement pacifié, rendu à sa vocation de royaume de D.ieu.
Shlomit Abel, 20 février 2014