Afin de clarifier la décision qui est sortie ce soir dans l’affaire Laurent Gbgabo, je vous fais parvenir quelques questions-réponses que j’ai préparées, voir document ci-joint.
Que signifie la décision des juges d’ajourner l’audience et de demander plus d’information au Bureau du Procureur?
Aujourd’hui, le 3 juin 2013, la Chambre préliminaire I de la CPI a décidé d’ajourner l’audience et de demander au Bureau du Procureur de soumettre des preuves additionnelles ou de conduire des enquêtes supplémentaires sur un certain nombre de points. Les juges ont considéré, à la majorité, que les éléments présentés par le Procureur dans cette affaire ne permettent pas de décider s’il y a des motifs substantiels de croire que M. Gbagbo a commis les crimes qui lui sont reprochés.
En particulier, la Chambre a demandé au Procureur de présenter davantage d’informations sur la structure organisationnelle des forces pro-Gbagbo, les confrontations possibles entre ces forces et des groupes armés opposés, et sur l’adoption alléguée d’un plan visant à attaquer la population civile considérée comme « pro-Ouattara ». Les juges ont également demandé au Procureur de présenter des informations supplémentaires sur les victimes, les préjudices qu’elles auraient subis ainsi que leur allégeance réelle ou supposée. La Chambre a établi un calendrier de communication entre les parties des éléments de preuves et de nouveaux documents, y compris un nouveau document contenant les charges. Le Procureur devra soumettre les observations écrites finales au plus tard le 24 janvier 2014. La Défense, qui aura reçu au fur et à mesure les éléments de preuve, aura jusqu’au 7 février pour y répondre. Par la suite, la Chambre rendra sa décision confirmant ou rejetant les charges dans une période de 60 jours suivant la réception des observations finales de la Défense. Les juges ont souligné que la présentation des éléments de preuve supplémentaires ne constitue pas une violation des droits de la Défense, la Défense disposant de suffisamment de temps pour préparer ses moyens de preuve.
Une telle situation s’était-elle déjà produite devant la CPI ?
Oui, en 2009, la Chambre préliminaire saisie de l’affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, avait décidé d’ajourner l’audience de confirmation des charges et avait demandé au Procureur de reconsidérer les charges, notamment quant à la forme de responsabilité qu’aurait M. Bemba en rapport avec les crimes allégués. L’Accusation avait alors modifié les charges et la Chambre a, par la suite, confirmé les charges et renvoyé l’affaire en procès.
Puisque les juges estiment ne pas avoir suffisamment d’éléments de preuve pour confirmer les charges présentées par le Procureur, cela veut-il dire que le Procureur n’a pas bien fait son travail ?
L’audience de confirmation des charges n’est pas un procès. Son objectif étant de permettre aux juges de vérifier si le Procureur dispose de suffisamment de preuves qui justifient qu’un procès ait lieu. Le Procureur n’est donc pas dans l’obligation de présenter à la Chambre préliminaire tous les éléments de preuve à sa disposition, mais seulement ceux qui, selon lui, seraient suffisants pour convaincre les juges qu’il y a des motifs substantiels de croire que M. Gbagbo a commis les crimes allégués afin de renvoyer l’affaire en procès. Les juges de la Chambre préliminaire ont toutefois considéré que les éléments de preuve présentés n’étaient pas suffisants pour confirmer ou pour rejeter les charges et, en conséquence, ont demandé au Procureur de présenter des éléments supplémentaires.
Quand et comment s’était déroulée l’audience de confirmation des charges dans l’Affaire Le Procureur c. Laurent Gbagbo ?
Durant l’audience de confirmation des charges dans l’affaire Le Procureur c. Laurent Gbagbo, qui s’est tenue du 19 au 28 février 2013, l’Accusation et la Défense ont présenté leurs éléments de preuves devant la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale. Les représentants légaux des victimes ont également eu la possibilité de présenter des déclarations liminaires et de clôture. Par la suite, les parties et participants ont complété leurs présentations par des requêtes écrites. Une audience de confirmation des charges n’est ni un procès ni un début de procès. C’est une audience publique durant laquelle la Chambre préliminaire de la CPI examine s’il y a des preuves suffisantes pour renvoyer l’affaire en procès. Les juges de la Chambre préliminaire examinent les charges et décident si elles sont suffisamment étayées par les éléments de preuve. La Chambre préliminaire décide s’il y a lieu de tenir un procès devant une Chambre de première instance composée de trois autres juges ; elle ne statue pas sur l’innocence ou la culpabilité du suspect.
Qui sont les juges qui ont rendu cette décision sur la confirmation des charges et quelles options avaient-ils ?
C’est la Chambre préliminaire I de la CPI qui a rendu sa décision aujourd’hui, composée de la juge Silvia Fernández de Gurmendi (Argentine) juge présidente, du juge Hans -Peter Kaul (Allemagne) et de la juge Christine Van den Wyngaert (Belgique). Les juges de la CPI sont des personnes jouissant d’une haute considération morale, connues pour leur impartialité et leur intégrité, et réunissant les conditions requises dans leurs États respectifs pour l’exercice des plus hautes fonctions judiciaires. Tous ont une grande expérience, pertinente au regard de l’activité judiciaire de la Cour et une compétence reconnue en droit pénal et en procédure pénale.
A l’issue de l’audience de confirmation des charges, la Chambre avait plusieurs options : Elle
pouvait :
1-Confirmer les charges, toutes ou une partie, pour lesquelles elle a conclu qu’il y a des preuves suffisantes, auquel cas l’affaire est renvoyée en jugement devant une Chambre de première instance pour le Procès ;
2- Refuser de confirmer les charges et arrêter la procédure à l’encontre de Laurent Gbagbo ;
3- Ajourner l’audience et demander au Procureur d’apporter des éléments de preuve supplémentaires ; ou, dans l’alternative, lui demander de modifier toute charge pour laquelle les éléments de preuve produits semblent établir qu’un aut re crime que celui qui est reproché a été commis.
C’est cette troisième option que les juges ont décidé. Les deux parties à la procédure peuvent toutefois demander à la Chambre préliminaire l’autorisation d’interjeter appel contre la décision sur la confirmation des charges.
Pourquoi la décision sur la confirmation des charges a-t-elle été rendue en retard, comme certains disent ?
La décision rendue aujourd’hui par les juges n’est pas arrivée en retard. Selon les règles de procédure devant la CPI, le délai de 60 jours dont bénéficie la Chambre pour rendre sa décision, a commencé à courir à partir du premier jour ouvrable suivant le dépôt des observations écrites finales, d’où en pratique le fait que le délai a commencé à courir le 2 avril (premier jour ouvrable après le 28 mars), et donc la décision devait être rendue au plus tard le lundi 3 juin 2013, comme elle l’a été. Les juges ont minutieusement examiné les éléments présentés à l’oral et par écrit, par les parties et participants à l’affaire, et ont conclu qu’il était nécessaire de demander un complément d’information avant de prendre une décision sur la confirmation des charges.
Pourquoi la décision a-t-elle été adoptée avec une opinion dissidente ? Quel cela signifie t’il ? Que pense la juge qui a émis cette opinion dissidente ?
En l’absence d’un consensus, une Chambre préliminaire peut adopter sa décision à la majorité. Une opinion dissidente, donc ne concluant pas au même résultat, peut être attachée à la décision de la majorité. Celle-ci expose alors la position du juge, différente de celle de la majorité, mais elle n’a pas d’autorité judiciaire.
En ce qui concerne la décision ajournant l’audience de confirmation des charges, Mme le juge Sylvia Fernandez de Gurmendi a adopté une opinion dissidente. En effet, l’opinion de Mme juge de Gurmendi diverge de l’opinion de la majorité sur plusieurs points qui ont amené la majorité à ajourner l’audience et à ne pas décider sur la confirmation des charges d’après les preuves déjà présentées.
Que va-t-il se passer pour Laurent Gbagbo ? Va t’il être libéré et rentrer en Côte d’Ivoire ou sera-t-il maintenu en détention ?
Dans l’attente de la décision sur la confirmation des charges, les juges ont considéré qu’il est nécessaire de maintenir M. Gbagbo en détention à la CPI. Les juges sont tenus d’examiner, au moins tous les 120 jours, la question du maintien en détention des suspects.
Quelles conséquences cette décision a t’elle pour les victimes ? Cela veut-il dire que la Cour ne les considère pas comme de vraies victimes ?
Les juges n’ont ni confirmé ni rejeté les charges, mais ont décidé d’ajourner l’audience et de demander plus d’informations. L’affaire à l’encontre de Laurent Gbagbo reste ouverte et la participation des victimes continue à avoir lieu dans les mêmes conditions qu’avant.
Caroline Maurel CPI