Togo: De quoi est mort au juste Gnassingbé Eyadema ?

0

Les circonstances du décès toujours floues, la fratrie Gnassingbé à couteaux tirés, la gouvernance restée intacte…5 février 2013, cela fait huit (08) ans que l’auteur du coup d’Etat ayant renversé le père de l’indépendance et premier président post indépendance du Togo, Gnassingbé Eyadema disparaissait. Ce n’est pas de ces événements intéressants dont il est nécessaire de se souvenir. Le concerné ne fait d’ailleurs pas partie de ces grands hommes qui ont laissé une empreinte positive dans l’Histoire. Il a confisqué à lui tout seul le pouvoir durant trente-huit (38) bonnes années, embrigadant ainsi le sort de tout un peuple, avant de s’en aller. Une telle disparition était synonyme d’un nouveau départ pour le Togo. Mais quelle est la situation huit ans après ?

Omerta sur les causes du trépas

De quoi est mort au juste Gnassingbé Eyadema ? Cette question, beaucoup de Togolais se la sont posée à l’époque, lorsque le décès de celui qui a été à la source de leurs malheurs durant 38 ans, fut annoncé. Mais la question reste toujours d’actualité. Un communiqué officiel avait fait état de ce que l’homme avait rendu l’âme lors de « son évacuation vers l’Europe », à la suite d’une crise cardiaque (sic). Rien de plus. Qu’est-ce qui diantre était à l’origine de la crise cardiaque ? Un accident ? Le second accès de dysenterie de sa vie ?…Les Togolais n’en savent rien jusqu’à présent. Officiellement aucune précision ultérieure n’a été donnée. Et c’est tout un mystère qui a entouré les obsèques. A Lomé le 13 mars au Palais des congrès, c’est juste un cercueil recouvert du drapeau national placé sur une estrade dans une grande salle remplie de photos du défunt que les populations ont vu. Pas de chapelle ardente pour leur permettre de voir le corps de leur président bien-aimé sic). Tout s’est déroulé dans une intimité totale, et les cérémonies n’étaient ouvertes qu’aux initiés.

L’absence de communication du côté des officiels et le secret qui a entouré les obsèques ont ouvert la voie aux supputations. Beaucoup de Togolais étaient convaincus qu’on leur cachait quelque chose sur la mort du « Baobab » ; certains ont même raconté que le « Vieux » aurait été poussé dans de l’eau chaude dans sa baignoire. Un leader d’opinion, à l’époque proche de l’homme mais aujourd’hui très actif dans l’opposition, a laissé entendre au cours d’une émission que l’homme n’était pas mort de sa propre mort, et pris à témoin le Prince de la République. Jusqu’à présent, les circonstances de la mort d’Eyadema restent floues.

Une succession en lambeaux

Union sacrée, c’est ainsi qu’était qualifiée l’entente parfaite dont avait fait preuve la progéniture d’Eyadema lors de sa succession. Les envies avaient créé un peu de frictions et les égos avaient parlé un moment. Kpatcha qui lorgnait aussi le fauteuil, ne voulait pas laisser passer l’occasion. Mais l’union s’est très vite faite pour sauver le tout premier héritage et le garder dans le giron familial, et ce dernier s’éclipsa au profit de Faure qui, selon les informations, était désigné par son père pour lui succéder. Les deux frères rivaux se sont sans doute rappelé ce conseil de leur géniteur : « Si vous laissez le pouvoir vous échapper, vous ne le retrouvez plus jamais ». C’est donc tout unie que la famille a choisi le successeur, et c’était Faure l’heureux élu. La honteuse cérémonie d’allégeance du quarteron d’officiers dont l’un, le Général Assani Tidjani a été récemment tué (sic) par son protégé, s’était déroulée le 5 février 2005 avec l’aval et en présence de Kpatcha. Une sorte de bénédiction donc pour Faure.

Mais cette belle époque n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir. Très vite, les divergences ont commencé à se faire jour et les vieilles envies sont ressuscitées. Kpatcha qui était presqu’un Vice-président, fut débarqué du gouvernement en 2007. C’était le début de la fin. Deux ans plus tard, on trouva de quoi l’accuser pour le neutraliser : tentative de coup d’Etat. Dans la nuit du 12 avril 2009, une mission commando conduite par le beau-frère de la famille, Félix Abalo Kadanga fut envoyée pour le tuer. Mais il fut sauvé par l’intervention in extrémis de son demi-frère Rock Gnassingbé, à l’époque au commandement du Régiment blindé de reconnaissance et d’appui (Rbra). Néanmoins, il sera appréhendé 72 heures plus tard, privé de liberté, puis détenu depuis septembre 2011 à la prison civile de Lomé. Quant à Rock, il paiera son culot par son débarquement du Rbra et la perte de la présidence de la Fédération togolaise de football (Ftf). La vengeance du Prince étant implacable, il est humilié et renvoyé sur les bancs de l’école militaire des officiers supérieurs de Pya.

Dans cette affaire Kpatcha, Faure s’est mis à dos toute la famille qui n’approuve pas le traitement réservé à son demi-frère. D’autres membres de la grande fratrie sont aussi emprisonnés. Très vite, des différends naîtront jour autour de l’héritage familial. Le plus « Faure » est accusé de vouloir tout garder pour lui tout seul. Ce qui était jusque-là rumeur, a été révélé par Rock au cours du procès dans le dossier d’atteinte à la sûreté de l’Etat. C’est Tina, leur sœur ainée qui est venue confirmer, et elle n’a pas échappé au fouet de Faure. Elle est simplement expulsée d’une des résidences togolo-familiales qu’elle occupait à Paris, et en plein hiver. Aujourd’hui la famille est tellement divisée, ou plutôt le Prince se l’est tant mise à dos qu’il suspecte tout le monde. Le dernier à subir cette paranoïa est le frère jumeau de Kpatcha, Toyi dont le domicile a été perquisitionné le samedi 2 février dernier. Aujourd’hui dans la famille, le Prince est seul contre tous, et il voit le diable partout. La famille n’existe que de nom, les rejetons se regardant en chiens de faïence.

Le roi est mort, vive le roi !

La mort d’Eyadema avait été conçue comme un nouveau départ pour les Togolais dont le sort a été embrigadé par 38 ans de régence. Même s’ils abhorraient la façon dont il était monté au trône, les Togolais avaient un brin espéré que Faure Gnassingbé pouvait gouverner autrement que son défunt père. A raison, car lui, il a été à l’école. L’intéressé même leur a mis de l’eau à la bouche, en se faisant passer pour un « Esprit nouveau », désavouant presque la gouvernance de son géniteur par sa célèbre phrase : « Lui c’est lui, moi c’est moi ». Mais de toute vraisemblance, c’était juste un effet d’annonce. Après huit ans de gérance, les populations peinent à faire la différence entre Faure et Eyadema. Les méthodes de gouvernance sont restées les mêmes.

Le pouvoir politique est toujours détenu par l’armée. La navigation à vue et les mêmes pratiques de perpétuation au pouvoir restent de vigueur. Le hold-up électoral, Faure en a usé en avril 2005, avec une bonne dose de violence à l’appui qui a coûté la vie un millier de compatriotes. Mars 2010 n’a pas échappé à la règle. La démocratie, il veut la faire sans l’opposition. On ressuscite les vieilles méthodes pour coincer les opposants et les empêcher de jouer leur rôle et participer aux échéances électorales. C’est le cas avec l’affaire des incendies. La réconciliation chantée n’est qu’un vœu pieu, les Togolais restent aussi divisés qu’à l’époque. La gouvernance économique n’est pas meilleure qu’avant février 2005. Les ressources nationales sont accaparées par une minorité. Et Faure Gnassingbé même l’a tout récemment reconnu. Des cossus, il y en avait à l’époque d’Eyadema, mais ils se comptaient au bout des doigts. Aujourd’hui, sous le Fils, les milliardaires ont pignon sur rue, et ils affichent de façon ostentatoire leur richesse. La corruption n’a pas régressé. Tout cela se passe sous l’expert financier (sic), formé dans les grandes écoles occidentales. « Ce qui a changé depuis 2005, c’est le prénom de celui qui dirige le pays », a résumé un compatriote, comparant les deux époques. En clair, c’est tout comme si Eyadema n’était pas mort, les pratiques n’ayant pas changé.

Tino Kossi

 

Partager

Laisser une réponse