Côte D’ivoire: Les frais d’inscription à l’université explosent !

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  L’AUGMENTATION DES FRAIS D’INSCRIPTION NE SERA PAS UNE USINE DE FABRICATION DE MEILLEURS ETUDIANTS

Le Président Alassane OUATTARA a fermé les universités publiques en Côte d’Ivoire dès sa prise de pouvoir. Le motif était simple : restaurer l’âme des « temples ». Cette décision est hautement critiquable puisque le savoir ne mérite pas un tel traitement. Après la construction des centaines de mètres de clôture et des couches de peinture, la rentrée a été fixée le 3 septembre 2012. Ce que les parents attendaient surtout c’était les prix d’inscription, dans un pays où la cherté de la vie a érodé considérablement le pouvoir d’achat des ivoiriens.  L’information est tombée comme un couperet : les étudiants Ivoiriens et étudiants de l’espace UEMOA paieront, pour la Licence, 100.000 FCFA, le Master 200.000 FCFA et le Doctorat 300.000 FCFA. Tandis que les étudiants hors espace UEMOA devront s’acquitter pour les mêmes niveaux d’étude respectivement de 300.000 FCFA, 400.000 FCFA et de 500.000 FCFA.

De 6.000 FCFA, les frais passent à 100.000FCFA, soit une augmentation de 1566 %. Ce qu’il faut retenir c’est que le Président Alassane OUATTARA veut tuer le savoir avec la complicité passive d’une certaine élite. Une augmentation aussi significative en période de morosité économique a forcément un substrat caché.

1. LES RAISONS FRAGILES D’UNE TELLE AUGMENTATION

Selon les trois présidents des universités de Cocody, d’Abobo-Adjamé et de Bouaké, cette contribution des apprenants au coût de leur formation, ajoutée aux autres ressources (Etat et propres), permettra de produire des diplômés mieux formés, mieux armés et plus compétitifs pour affronter la concurrence sur le marché du travail. Ils ont justifié cette nouvelle contribution à l’impérieuse nécessité d’accompagner l’Etat dans la mise en œuvre de cet ambitieux programme de rénovation des édifices et de réaménagement des enseignements qui a besoin d’importants moyens financiers. Pour les Conseils d’Université, avec l’ancienne contribution de formation de 6.000 FCFA, soit 0,5% du coût de formation réel d’un étudiant à savoir 1.200.000 FCFA, les universités de Côte d’Ivoire ont connu une décrépitude dont l’accélérateur a été la crise postélectorale. Il est établi qu’un mauvais diagnostic  ne conduit pas  à une réponse adéquate.  Si la qualité des trois présidents des universités est établie alors on peut affirmer qu’une telle décision est plus politique qu’académique.

2. LES FRAIS D’INSCRIPTION NE FONT PAS DE MEILLEURS ETUDIANTS

Il est illusoire de croire qu’en augmentant les frais d’inscription, on aura des super-étudiants. En tout état de cause, nous devons nous élever contre l’idée selon laquelle les frais d’inscription sont l’outil idéal, voire le seul outil, de la compétitivité internationale des universités. Selon cette logique, le « prix » d’un diplôme est censé refléter sa « valeur » sur le « marché mondial de l’éducation ». C’est une micro-idée qui aura un micro-impact.

D’abord il faut faire une nette distinction entre la formation et l’insertion professionnelle.  La formation met en jeu l’enseignant et l’apprenant tandis que l’insertion concerne le diplômé et le marché du travail.

Ensuite demander une augmentation des frais d’inscription aux parents ne va pas résoudre cette question complexe de la concurrence sur le marché du travail.

Enfin, le contexte lui-même est mal choisi. En obligeant les parents à payer des sommes élevées, on les prive de contributions nécessaires à l’accompagnement des étudiants durant l’année universitaire.

3. LA PÉRIODE D’HOUPHOUET BOIGNY INFIRME UNE TELLE ACCEPTION

Les étudiants sous Felix Houphouët Bobigny étaient brillants mais la contribution des étudiants ivoiriens à leur formation était quasi inexistante.  D’ailleurs comme le rappellent les présidents des universités, les frais d’inscription étaient faibles : de 2100 FCFA en 1963 ; 3100 FCFA en 1970 ; 4200 FCFA en 1971. Et de 1980 jusqu’à ce jour, les frais d’inscription étaient fixés à 6.000 FCFA. Ce n’est pas parce que la contribution à la formation représente  0,5% du coût de formation (1,2 millions FCFA par étudiant), que le diplôme est sous-évalué.  Les décideurs doivent méditer sur notre passé pour prendre parfois des décisions car comme le dit Cheikh Anta Diop « Les intellectuels doivent étudier le passé non pour s’y complaire, mais pour y puiser des leçons ou s’en écarter en connaissance de cause si cela est nécessaire ».

Sous Felix Houphouët Boigny , l’Etat de Côte d’Ivoire  a offert des bourses  et des conditions suffisantes pour étudier convenablement. Les enfants de pauvres, aujourd’hui devenus professeurs refusent que l’école de la république soit accessible aux pauvres. On ne peut pas prendre l’argent du contribuable pour réhabiliter les universités et leur demander de  payer  la note.

Félix Houphouët Boigny disait toujours ceci : « Je sais que mon pays, entre plusieurs préoccupations, a choisi de privilégier deux d’entre elles. D’abord la paix dans la liberté, dans la dignité, dans la tolérance, dans l’amour. La deuxième préoccupation, c’est l’éducation des enfants, la formation de la jeunesse, notre espoir , notre certitude du meilleur devenir de notre pays ».  Prenons garde de ne pas « tuer » notre espoir, c’est-à-dire,  la formation de la jeunesse.

4. LA VALEUR D’UN DIPLÔME DÉPEND D’AUTRES FACTEURS

Pour bien aborder cette question, il faut sans doute, définir ce qu’on entend par université. On peut la définir comme  un établissement qui fédère en son sein la production (recherche scientifique), la conservation publications et bibliothèques) et la transmission (études supérieures)de différents domaines de la connaissance. Elle se distingue en cela des Ecoles et grandes écoles qui sont centrées sur la seule transmission d’un domaine bien défini de la connaissance.

Avec une telle définition, on comprend que ce n’est pas parce que dans le système anglophone, les étudiants contribuent au coût de leur formation à hauteur de 30%, qu’ils sont meilleurs, comme le dit le Pr. Ly Ramata.

Les experts de l’éducation ne manquent pas de répéter que la valeur d’un diplôme dépend principalement de son contenu et de la qualité des enseignements qui y sont dispensés.  La qualité des diplômes dépend d’autres facteurs dont les plus significatifs sont les suivants.

En premier lieu, un enseignant bien formé et motivé.

Les enseignants jouent un rôle crucial dans la transmission des connaissances à l’école. Dans le même temps, leurs salaires constituent le poste de dépense le plus important du budget de l’éducation. En effet, dans la plupart des pays développés et des pays en développement, les salaires des enseignants représentent entre la moitié et les trois quarts des dépenses d’éducation. Dans certains pays, ce pourcentage peut atteindre 90% (Banque mondiale, 2002) .

Les compétences des enseignants constituent un deuxième aspect qui est potentiellement lié à leur satisfaction professionnelle. Il est évident que, pour transmettre des connaissances avec succès, il faut maîtriser la matière enseignée et les outils pédagogiques qui permettent d’inculquer ces connaissances aux apprenants.

En second lieu, la formation initiale de l’apprenant. Ce qui suppose la maîtrise des étapes de la formation depuis la maternelle jusqu’à l’université.

En troisième lieu, les conditions de vie des étudiants. Sous Félix Houphouët-Boigny , les étudiants étaient mieux traités. Les restaurants fonctionnaient parfaitement. Ils avaient la bourse, des conditions de transport acceptables, la précarité était limitée.

En quatrième lieu, les infrastructures universitaires. Les amphithéâtres  suffisants pour accueillir les étudiants, des salles de conférence , des salles informatiques, des bureaux pour les enseignants.

En cinquième lieu, la situation institutionnelle des universités et le mode de gouvernance. Le fonctionnement et la situation institutionnelle des universités britanniques diffèrent de ceux de leurs homologues françaises. Les institutions britanniques bénéficient d’une très large autonomie financière, de recrutement, de gestion etc. Toutefois cette autonomie est assortie d’une très importante notion de responsabilité vis-à-vis du gouvernement et de certains organismes publics, et ce pour l’ensemble des aspects, administratifs comme académiques, du fonctionnement de l’établissement. Le mode de gouvernance et les mécanismes sont également différents.

En sixième lieu, la recherche d’une meilleure adéquation entre la formation des étudiants et les besoins de l’économie et des entreprises. Un des principaux objectifs du partenariat entre université et entreprises consiste à adapter l’enseignement aux besoins d’une économie en voie d’industrialisation. Les universités pensent parfois qu’elles doivent se consacrer à leurs tâches traditionnelles d’étude et de recherche et qu’on ne peut pas leur demander de tout faire. Mais pour pouvoir réaliser un équilibre convenable entre formation universitaire et formation professionnelle, il faut qu’elles entreprennent et entretiennent le dialogue avec les entreprises qui utilisent leurs services et leurs diplômés.

Mais finalement, au niveau macro, la relation formation – emploi est loin d’être réalisée : « une formation ne donne pas systématiquement accès aux métiers ou aux emplois auxquels elle est censée préparer. Cela tient à la fois à des dysfonctionnements du marché du travail et à la diversité des modes d’acquisition des compétences, de la formation ‘diplômante’ à la formation sur le terrain  ». Le principal critère d’embauche reste la  personnalité du diplômé.  Un étudiant anglais peut faire des études de théâtre et se retrouver agent de change dans la City. « 45% de nos offres d’emploi sont ouvertes à tous les diplômés de n’importe quelle discipline, explique Tony Raban, qui dirige le service des carrières de l’université de Cambridge. Les études britanniques sont courtes – trois ou quatre ans – et les employeurs, selon une longue tradition, forment leur personnel eux-mêmes. Sauf dans quelques domaines, comme la médecine ou l’électronique, ils recrutent des jeunes pour leurs compétences intellectuelles, leur capacité à résoudre les problèmes. ».

Avec cette augmentation des frais d’inscription, c’est le début d’une longue marche vers la privatisation des universités.

 DR PRAO YAO SERAPHIN

 

 

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