Dans notre édition passée nous avions porté à votre connaissance un litige foncier entre Kara et Bafilo. Nos dernières investigations ont révélé que ce problème a, pour la première fois,a été porté à l’attention des autorités compétentes depuis le début des années 60 par l’élu d’Assoli, feu Jules Moustapha Bayor. Mais il était en cours de règlement quand, se sont succédé les coups d’Etat, et le litige est mis en berne. Le problème ayant toujours été remis à demain, Faure Gnassingbé en est actuellement le grand héritier. Va-t-il pouvoir arrêter la fuite en avant pour regarder la réalité en face au risque de compliquer la situation pour les générations futures?
Le litige foncier entre Bafilo et Kara est enfin en règlement au niveau de l’autorité. Du moins c’est ce qu’on nous fait croire. Notre Rédaction a revisité le terrain après le premier article. Ainsi,
avions-nous découvert en effet ce qui suit:
Les faits
Un certain Tamalé Koffi, cultivateur demeurant à Bouladè, localité au Nord de Bafilo et au Sud d’Awandjaliou, occupant le domaine des Ouro-Ako de Bafilo, a été attrait devant le tribunal de Bafilo le 12 février 2008 par le Sieur Ouro-Ako Taïrou. En effet, de son vivant, le père de Ouro-Ako Taïrou avait donné, essentiellement pour exploitation, un domaine au père de Tamalé Kofi au niveau de Bouladè. En contrepartie, celui-ci apportait au père de Ouro-Ako les grains de néré récoltés sur le domaine qu’il exploitait. Mais après le père, le fils Tamalé Koffi a commencé par élever des prétentions sur le domaine. Ce n’est plus, pour lui, un terrain à titre d’exploitation comme le faisait son père, mais une propriété à d’autres usages. En dehors du domaine cédé à son père il agrandit son influence et chasse même les gens installés par Ouro-Ako en détruisant les bornes implantées ici et là. Toutes les tentatives pour l’amener à la raison ayant échoué, Ouro-Ako Taïrou l’a convoqué au Tribunal de Bafilo. Mais il n’a pas répondu sous prétexte que son chef canton, donc le chef canton d’Awandjaliou, lui a demandé de ne pas s’y rendre. Le chef canton de son côté a reconnu avoir ainsi instruit Tamalé Koffi parce que, M. Ouro-Ako, à la lecture du chef canton, devait convoquer Tamalé devant lui et non à la justice car le domaine litigieux, d’après lui, était sous son territoire. La justice donne raison à Ouro-Ako et ordonne l’expulsion de Tamalé Koffi et celle de toute personne installée par ses soins du terrain litigieux. Mais les deux lots qui abritent ses habitations lui sont reconnus. Quand la justice s’est rendue sur le terrain pour faire exécuter le jugement, le chef canton d’Awandjaliou et un groupe de jeunes armés de gourdins se sont opposés alors l’huissier Nakpo Kodjo et les gendarmes ont tout simplement replié avec les géomètres pour éviter un affrontement. M. Ouro-ako et le chef canton Iratéyi de Bafilo saisissent le préfet d’Assoli. Le préfet à son tour saisit le préfet de la Kozah. De là, l’affaire a atterrit au gouvernement. Voilà comment les gens se sont retrouvés au palais des congrès de Lomé. Il convient de relever que M. Tamalé Kofi, dans sa pagaille, a le soutien du chef canton d’Awandjaliou. Au-delà de l’affaire Tamalé, le chef canton lui-même réclame désormais la propriété sur des domaines où il a été lui-même témoin de la vente dans le compte des Ouro-Ako de Bafilo. En 2007 en effet, le Chef Bidé d’Awandjaliou a été témoin de la vente d’un terrain, à la Mairie de Kara, par la famille Ouro-Ako, mais aujourd’hui il dit que tout le domaine qui renfermait ce terrain vendu devant lui est sa propriété.
Commentaire
Paradoxal n’est-ce pas ? De 2007 à nos jours il se peut que les ancêtres du chef canton lui soient apparus en songe pour lui signifier que ce domaine où il avait été témoin de la vente en 2007 est à eux. Le terrain a été vendu à quelques encablures de son canton et il n’a rien dit en 2007, plutôt il a signé en témoin, aujourd’hui il va plus loin vers Bafilo pour réclamer des terres. Voilà ce qui crée des ennuis, des gens s’installent et à chaque année qui passe, ilségratignent les terrains des autres. Voilà ce qui a fait que feu Iratéyi a demandé aux gens de venir prendre tout Bafilo pour adjoindre à leur territoire. Le chef Bidé lui-même n’a pas pu empêcher la vente de terrain chez lui car il reconnaît les vendeurs comme propriétaires mais aujourd’hui il change la veste et soutient ses frères qui réclament des domaines qui ne les appartiennent pas.
La fuite en avant continue
Du côté du fleuve Kara, nous avions constaté que les plaques minéralogiques que les Allemands avaient placées à différents endroits contre des barres de fer servant de support à l’ancien pont du fleuve Kara ont disparu. Ces plaques servaient de délimitation territoriale entre Bafilo et Lama-Kara. Vouloir déformer la réalité n’a jamais changé le cours de l’histoire. Les faits restent toujours rebelles.
Donc mille ans étouffée, la vérité se révèle avec la même éloquence. On peut voler un bien mobilier, le changer de place, le déformer, voire le faire disparaître, ou en faire une propriété, mais la terre
est une réalité à part. Il est toujours impossible de s’entendre jusqu’au bout, quand on s’arrange pour s’emparer des biens d’autrui. Si on ne se fait pas prendre en exécutant le plan, on se bat forcement au moment du partage. C’est cette loi de la nature qui met présentement Pya et Lama dos à dos. Faure pourra-t-il faire comprendre aux populations de Lama que s’il est possible de retarder l’expression de la vérité il est impossible de l’étouffer car tout ce qui est comprimé s’explose?
Pourra-t-il faire comprendre à ses frères de Pya qu’ils ne peuvent pas traverser trois à quatre cantons pour venir réclamer des terres au Sud de Kara? Le Chef de l’Etat pourra-t-il faire comprendre aux gens que décoller les plaques délimitatives sur l’ancien pont du fleuve Kara ne fait pas d’eux les maîtres de cérémonie sur les terres de Bafilo? Pourra-t-il faire comprendre que cela ne peut pas faire disparaître le fleuve Kara, ni le changer d’emplacement, moins encore faire disparaître les autres preuves selon lesquelles le droit foncier des populations de Bafilo s’étant jusqu’à ce fleuve ?
Les faits parlent d’eux-mêmes pendant que les acteurs jouent la comédie.
En effet, les frères de Lama qui occupent la partie sud du fleuve Kara, quand arrivent toutes sortes de cérémonies, ils le font du côté nord du fleuve, notamment dans les monts kabyè, jamais du côté
sud du fleuve. Ils auraient pu faire ces cérémonies à kara-sud parce qu’ils se disent sur leur territoire. Quand bien même les gens s’adonnent arbitrairement à la vente des terres d’autrui à Kara Sud, jamais dans l’histoire, il ne nous a été signalé qu’une lutte Evala, ou une cérémonie de la danse Kondona, une célébration de Habyè ou des rites initiatiques Akpéma ont eu lieu sur la rive sud de Kara moins encore à Awendjaliou.
Pourquoi à notre siècle, où on se dit plus émancipés, on ne peut pas s’inspirer de la cohabitation de nos parents ? On se rappelle que feu Chef Atom, quand il s’est installé à Bafilo, a eu tout un domaine à sa disposition. Il avait même la latitude de donner des terres cultivables à ses frères qui arrivaient après lui. Mais il reconnaissait le maître des lieux. Jusqu’ici à Bafilo, au-delà de ce qu’on pouvait penser entre les Kotokoli et les Kabyè, l’hospitalité légendaire des populations, la sagesse et la bonne cohabitation de feu Atom et ses frères Kabyè, ont donné le nom Atomdè à tout un quartier en hommage à feu Atom. Mais ses fils ne peuvent pas, par exemple, s’arroger des droits qui ne leur appartiennent pas. Jusqu’au début du règne de feu Eyadema au pouvoir en 1967, avec comme ministre de l’éducation nationale feu Yaya Malou, les élèves de Djamdè et d’Awandjaliou ne venaient-ils pas composer pour le C.E.P., Certificat d’Etude Primaire, et le concours d’entrée en sixième à Bafilo? Nous vous invitons à parcourir ce document adressé au «Ministre de l’Intérieur, de l’Information et de la Presse » par Feu Jules Moustapha BAYOR, député de Bafilo à l’Assemblé Nationale du TOGO. De grâce, il faut regarder la réalité en face. On ne peut pas réduire une région ou une préfecture à des considérations ethniques. Les Kotokoli plus à l’aise en terres kabyè que partout il y en a, les Losso plus Tchokossi que les Tchokossi à Mango il y en a, les Kabyès plus en paix à Sokodé qu’à Kara il en aura toujours. Rien ne peut résister au brassage des ethnies.
L’intention n’est pas de montrer à qui que se soit son lieu de provenance, mais tout ce que les gens demandent c’est que l’occupant reconnaisse jusqu’où il peut jouir de l’hospitalité à lui accordée et où commence la fierté territoriale de l’autochtone. Quand les gens vendent des terrains qui ne les appartiennent pas, se font nommer chef canton des localités où ils ne peuvent pas répondre des us et coutumes, agrandissent leur domaine au fur et à mesure qu’ils gagnent en notoriété, c’est scandaleux. Cette vile tradition, Faure doit la combattre c’est par là que doit d’ailleurs commencer sa
politique de réconciliation s’il y en a une. Les Togolais peuvent se battre pour toutes les raisons, mais pour des considérations foncières et ethniques, les générations futures leur en voudront. Et pourtant si rien n’est fait, les problèmes de terres font partie des poudrières par où tout peut arriver. Cette énergie on en a besoin pour construire « l’or de l’humanité ».
Abi-Alfa
LE RENDEZ-VOUS N° 158 DU 28 MARS 2011