Il y a parfois des histoires qui ne laissent pas les lecteurs indifférents lorsqu’elles sont faussement dites et surtout quand elles incitent à la haine entre les peuples par son auteur. C’est justement le cas d’une certaine Victoire Kao qui, par un de ses articles, tente d’opposer de façon implicite et malsaine deux peuples frères dont elle ne connaît en réalité pas l’histoire. Mlle Kao n’est peut-être pas l’auteur des propos malveillants à l’encontre des Kotokoli. Mais, puisqu’elle s’en fait le porte-écho, c’est à elle de porter et de supporter sa propre croix et celle des autres.
L’auteur a en effet publié un article intitulé «La difficile cohabitation entre les Kabye et les Kotokoli» publié le 16 Juin dernier dans les colonnes de la Dépêche, un hebdomadaire togolais proche du régime en place à Lomé. Elle y traite les Kotokoli dans un langage déconcertant comme si elle s’adressait à ses petits copains dans un jeu de sable : « Les Kabye, mangeurs de chiens sont plus intelligents que les Kotokoli, fainéants. » Est-ce une plaisanterie de mauvais goût ou bien une ignorance de l’histoire ? « L’hirondelle qui provoque la pluie en tire les conséquences« , dit l’adage. Mademoiselle a osé gros en évoquant un point sensible.
Il ne me revient pas le devoir de faire de l’histoire à l’apprentie journaliste. Mais je voudrais tout simplement dire à Mlle. Kao de recourir aux vieux sages Kabye, détenteurs de la vraie histoire sur l’origine de son peuple et sa cohabitation avec ses voisins Kotokoli. Les Kotokoli ont leur histoire séculaire et colorée. Les Kabye ont aussi la leur, riche en traditions que nous respectons même si de pseudo historiens mal intentionnés font avaler cru à ceux qui veulent les écouter que l’ancêtre des Kabye serait tombé du ciel et que les empreintes de ses pas seraient gravées sur un rocher quelque part dans les massifs montagneux de la Kozah !
Mlle. Victoire Kao serait née en 1970 à Lomé. Elle y aurait grandi. Elle aurait par la suite fréquenté le lycée de Retz en France et y aurait fait sa formation de libraire ! Un détail qui ne trompe pas. Puis, cela n’étonne guère qu’une telle fille à la jupette relevée à tour de bras, raconte des histoires à dormir debout. Que peut-on donc apprendre d’une déracinée qui à force de trimer dans les rues de Lomé s’exerce sans succès au métier de journaliste pour quelques billets de francs CFA que lui jettent ses « dépécheurs »? Qu’est-ce qu’une ratée des rites initiatiques peut-elle apporter de constructif sur le plan des valeurs traditionnelles, morales et humaines aux autres, lorsqu’elle-même est loin des dures réalités quotidiennes que vivent de braves paysans Kabye qui se battent afin de pouvoir nourrir leurs familles plutôt que de se livrer au mépris, à la calomnie et à l’injure du peuple voisin ? Manger la viande de chien, manger de la kola, lire le Coran ou être chauffeur de camion ne sont pas en mon sens des injures. Mais, dire que le Kabye est plus intelligent que le Kotokoli ou que le Kotokoli est fainéant, est inadmissible et intolérable.
Dans le même texte, Victoire évoque les problèmes d’expropriations de terres aux Kabye par les Kotokoli et inversement à Awéndjaleou, Fazao, Sotouboua etc.… Puis à la fin c’est aux Kotokoli qu’on attribuera le tort aussi bien dans les litiges fonciers que dans les troubles sociopolitiques dans quelques-unes de ces localités. Peu importe le droit. Peu importe la raison. La force étant la seule raison pour donner droit aux non-ayant-droit. Le cas de Sotouboua les 30 et 31 Mai 1992 fut le plus troublant. Pour une simple affaire de paillote qui devait se régler le plus humainement possible, avait été transformée en conflit sociopolitique au cours duquel de paisibles populations Kotokoli avaient été massacrées à coups de fusils et de machettes. Ce fut le cas des Kotokoli parmi tant d’autres, du vieux Tchakpédéou (chauffeur), Aboubakar Sebabi dit Sèmo (Assistant médical). Des maisons entières de Kotokoli incendiées. D’autres qui avaient réussi à s’enfuir comme M. Aléhéri Ouro Djobo (enseignant), étaient devenus des réfugiés dans leur propre pays. Qui, accueillis dans des familles à Sokodé, qui, moins chanceux, avaient été parqués comme du bétail pestiféré dans l’enceinte du Service Régional des Affaires Sociales de la ville, à la merci du soleil et de la pluie pendant des semaines entières. La morgue du CHR où nous étions allés voir et prendre des photos, était restreinte pour contenir tous les corps des tués. J’en ai encore le souvenir traumatisant de cette animosité d’un autre âge.
J’ai voulu par ce rappel d’événements douloureux signifier à notre journaliste occasinnelle qu’ »On ne parle pas de la corde dans la maison d’un pendu ». Ne réveillons plus les vieux démons de la division et de la haine car les blessures dans les cœurs ne sont pas encore définitivement cicatrisées. À Sokodé comme partout ailleurs dans les pays tem, les Kabye et les Kotokoli cohabitent en parfaite harmonie, dans la tolérance et le respect mutuel de leur valeur intrinsèque depuis le temps où le sort et le hasard les a mis ensemble. Feu Eyadema Gnassingbé du temps de son règne sans partage ne s’était-il pas entouré de dignes cadres Kotokoli ? Était-il allé les tirer d’un fastidieux boulot de chauffeurs ? Nos illustres disparus, paix à leur âme, tels que Djobo Boukari, Mamam Fousséni, Dr. Boukari, Dermane Ayéva, Ali Dermane Frédéric, Idrissou Kododji Mamam Dadi pour ne citer que ceux-là, n’avaient-ils pas suffisamment donné à leur pays pour qu’une Victoire Kao sortie du néant ne vienne déverser son dévolu sur leur peuple ? Et ceux de nos tristes frères qui gravitent et offrent leurs loyaux services au jeune Kabye Faure Gnassingbé, sont-ils aussi inintelligents et fainéants au point de mériter des injures de Victoire Kao ? Que ces fils Kotokoli apprennent à leur dépens qu’on ne s’accroche pas à un homme, fut-il président, pour se faire ensuite gifler par les « frères et sœurs » de ce dernier.
Les Kabye et les Kotololi ont, au même titre que les autres peuples du pays, subi les affres d’un système rétrograde. La misère sévit aussi dans le vécu quotidien du Kabye du village qui s’attelle à sa terre nourricière. Ceux qui se vantent d’être nés intelligents devraient mettre cette faculté au service des leurs afin de les sortir de leur précarité ambiante. Tous les peuples se valent et devraient avoir les mêmes droits et devoirs. Aucun ne doit prétendre avoir la primauté sur les autres.
Dans un pays normal où les lois de l’État sont respectées par ses propres gouvernants, nul ne s’arrogerait le droit d’insulter impunément tout une ethnie. On peut critiquer un système et ses laborantins mais pas un peuple. Nous sommes malheureusement au Togo du Prélat Nicodème Barrigah, le parent pauvre d’une réconciliation annoncée qu’on remet chaque jour en question par une violence policière aveugle.
Fainéants ou travailleurs, intelligents ou sots, on en trouve partout dans toutes les couches de notre société. Sinon il n’y aurait pas des criminels et autres gros tricheurs professionnels qui trônent dans les plus hautes instances dirigeantes du pays.
La sortie de mademoiselle Victoire Kao sur la cohabitation entre Kabye et Kotokoli est moins une victoire intellectuelle qu’un chaos journalistique.
Allemagne, le 26 Juin 2011.
Ali Akondoh
(Membre admis au P.E.N. Club International pour écrivains en exil. Section allemande)