Entre le contrat antisocial et la migration politique choisie
A l’occasion de la célébration de la fête nationale française du 14 juillet et au cours du défilé des troupes de 13 pays d’Afrique à Paris sur les Champs-Elysées, certains médias français[1] n’hésitaient pas à faire leur « mea culpa » en rappelant pour ce qui est de la relation entre la France et l’Afrique francophone « que si le panorama n’est pas glorieux, il n’est pas sans espoir ». Ils ont aussitôt « blanchi » la France en affirmant, non sans parti pris que : « sur le plan politique il n’y a pas de dictatures dans les pays francophones », tout en légitimant auprès de ceux qui veulent bien les suivre dans la logique de la politique africaine de la France, hors du bon sens et empreinte de post-colonialisme : « qu’il y a des pays ou les fils succèdent à leurs pères, c’est le cas du Togo, c’est le cas du Gabon, cette tentation héréditaire dont certains craignent qu’elle atteigne le Sénégal. Il y a ces présidents désignés à vie comme au Cameroun ou au Tchad et puis il y a des réussites relatives comme au Bénin ou au Mali…».
Pour les moins érudits que nous sommes, pour le Peuple africain de la francophonie et plus particulièrement celui du Togo, il faut comprendre donc que les relations entre la France et l’Afrique relèvent bien de la sous-traitance incestueuse mais, ce n’est pas si grave…puisque tout continue comme avant avec le syndicat des « jeunes » dont veut s’entourer une présidence française rajeunie.
Cette présentation contradictoire ne peut pas ne pas être commentée pour les nombreux citoyens et citoyennes de l’Afrique francophone qui savent que ce résumé de la politique africaine de la France n’est possible que si tout est fait pour organiser la contre-vérité des urnes. Le Gabon, le Togo et d’autres qui suivront sont des exemples qui n’anoblissent pas la France. Ces exemples qui font de la France le Champion de la démocratie en France et de la démocratie palliative et de façade dans ses « anciennes colonies » rappellent que le Royaume Uni, l’Espagne et le Portugal ont depuis longtemps accepté le principe d’une véritable autonomie des anciens pays qu’ils ont colonisés. La France est sur ce plan bien en retard, un retard institutionnalisé par la gestion des pays africains francophones par un préfet qui court-circuite le travail tant du Ministère de la coopération que celui des affaires étrangères en France. La démission d’Alain JOYANDET, secrétaire d’Etat à la coopération, celle de l’Ambassadeur de France au Sénégal Jean-Christophe RUFFIN, qui tous deux ont cru, à leur manière à une forme « gentille » de la rupture en dit long ! Ils ont fait à leurs dépens le bilan et sont partis car ils ne peuvent accepter d’être des manipulés à ce point.
Si donc la vigilance des médias, d’une armée républicaine et des mouvements citoyens ne sont pas au rendez-vous, comme contre-pouvoirs démocratiques, OUI, il faut craindre que ces nouvelles formes de dictature par des jeunes sous-traitants de « l’ex-colonie » ne fassent tâche d’huile dans les espaces francophones à travers l’Afrique.
Les Africaines et Africains concernés qui subissent au quotidien les tracas et les humiliations, conséquences de toute cette politique égoïste de protection des « intérêts bien compris », ne pouvaient pas se réjouir le 14 juillet 2010 lorsqu’une partie des armées qui ont défilé sont les mêmes qui ont tué, violé, emprisonné, frappé et commis des abus à l’encontre des droits humains restés impunis. Alors à chacun son anniversaire du cinquantenaire car le nombre de régimes autoritaires que ces peuples africains innocents ont été obligés de subir relèvent de l’exploit. Tout ceci parce que même l’Union européenne s’aligne maintenant sur le moins-disant démocratique de la contre-vérité des urnes et les Nations Unies se contentent de faire leur rapport en disant que rien ne s’est passé comme prévu… Quant à une certaine France de la Françafrique, elle joue son va-tout dans la perpétuation de l’ancien système en mettant des jeunes sous-traitants, avides de s’approprier le bien commun public pour en faire un bien privé distribué avec parcimonie à la clientèle choisie. Du coup, on peut peut-être comprendre que l’immigration choisie s’applique aussi en politique puisqu’il est question d’amener, par tous les moyens, même les opposants les plus farouches à accepter les termes de ce nouveau contrat antisocial. Il y a donc bien eu rupture et les conséquences risquent à terme d’être violentes !
Vu d’ailleurs et de loin, effectivement certains ont mal intégré la définition que donne le dictionnaire du mot dictature: « régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l’exercent sans contrôle, de façon autoritaire. »
Il est vrai que dans la lignée de la loi-cadre Defferre de 1956 confirmée par la Constitution de 1958, les indépendances acquises dans les années 1960 par les pays africains francophones, ont été, stricto sensu, des indépendances juridiques, et certainement pas des indépendances politiques de plein droit, encore moins des indépendances économiques, dans la mesure où elles ont permis à la métropole de continuer à faire fructifier les intérêts des grands groupes économiques solidement implantés sur les territoires africains et trouvé sur place des relais complaisants, les fameux sous-traitants pris au biberon, pour assurer, sous de nouvelles formes, la « continuité territoriale ».
C’est ainsi que dans le droit fil des indépendances juridiques, nous avons vu progressivement s’instaurer des dictatures juridiques permises grâce à de très subtils montages constitutionnels et des abus de pouvoir inspirés, tous sans exception, de l’exemple postcolonial.
Le trait caractéristique de ces dictatures juridiques est une absence totale de séparation des pouvoirs politiques et judiciaires, et l’instrumentation de l’institution judiciaire à des fins politiques, servant exclusivement les intérêts du pouvoir en place et non pas celui des citoyens dans leur ensemble.
Le Pouvoir togolais vient d’en donner un nouvel exemple, en choisissant d’utiliser les procédures juridiques dolosives pour tenter de mettre fin à l’existence des partis d’oppositions en commençant par OBUTS (Organisation pour Bâtir dans l’Union un Togo Solidaire). Tout ceci se fait d’ailleurs en violation fragrante de la Charte des partis politiques au Togo. En attendant que la Cour d’Appel ne se prononce sur la décision en dissolution d’OBUTS par le Tribunal de Première Instance de Lomé, tout indique à suffisance l’absence de contre pouvoir judiciaire à l’exécutif togolais. Que faut il en déduire et qu’en pensent les médias internationaux, chantres de la francophonie ?
Tout ce remue-ménage n’a pour objet que de priver le Peuple togolais des voix qui le défendent résolument. Le FRAC (Front Républicain pour l’Alternance et le Changement) et OBUTS gagneraient à officialiser leur combat pour une alternative crédible au Togo en proposant aux Togolaises et Togolais de passer de la médiocrité à la compétence afin que les résultats soient palpables pour toutes les couches sociales de quelque horizon que ce soit.
Une partie du Peuple togolais, qui a aussi choisi de faire de la migration en fonction des sommes d’enveloppes proposées, doit prendre conscience que le temps est venu où la transparence ne peut que les rattraper. Ce n’est uniquement sur cette base, et elle seule, que la confiance et la paix pourront reprendre leurs droits légitimes. C’est l’unique voie possible pour jeter l’ancre de la vérité des urnes qui ouvre véritablement le chemin à la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, et subséquemment à la vérité des comptes publics.
Qui croit encore qu’il n’y a pas de dictature juridique en francophonie ? Le Togo en est bien un laboratoire vivant !
Le 23 juillet 2010
Dr Yves Ekoué AMAÏZO
Coordinateur International Provisoire