L’idée d’une CVJR est noble et agréable. Seulement, pour qu’un pays fasse des avancées sur cette voie après des années de dictature, il lui faut absolument un changement majeur porté par des figures nouvelles dans son paysage politique, économique et social, paysage dans lequel les responsables des crimes sont écartés et affaiblis (désarmés), leurs institutions éradiquées et leurs réseaux démantelés. C’est ça, le minimum qui doit être acquis par les victimes et survivants des atrocités avant qu’ils n’explorent – à leur convenance – une Commission Vérité-Justice et Réconciliation parmi les options disponibles.
Par Kodjo EPOU
La recherche d’une coexistence pacifique d’anciens ennemis a conduit, dans une trentaine de pays à travers le monde, à mettre sur pied des structures éminemment politiques appelées : Commission Vérité-Justice et Réconciliation (CVJR). La plus connue sur le continent africain, est celle d’Afrique du Sud.
Des pays comme le Rwanda, le Ghana, le Maroc, le Nigéria, la Sierra Léone, la Centrafique l’ont choisie pour paver la voie vers la réconciliation. Le Kénya a crée sa propre commission après les violences électorales de décembre 2007. La RDC et le Libéria l’ont inscrite dans leurs accords de paix respectifs. Le Togo, pays singulier par le tempérament violent de son régime et toujours en crise, a cru devoir démarrer sa Commission.
On observe sur le continent et au-delà, à l’exception du Togo, que ce sont seulement des leaders bénéficiant d’une aura incontestable dans la population et issus du camp des victimes des atrocités qui ont entrepris, avec résultat, la difficile oeuvre de réconciliation. Le détail importe. Logiquement, plus que leurs bourreaux, les anciens opprimés sont mieux outillés pour porter le message du pardon. Ils ont plus de crédibilité pour convertir les opinions face à la question centrale à laquelle achoppent, très souvent, ces commissions : comment vivre avec ses anciens ennemis si ceux-ci ne sont pas rétribués à la mesure des actes de barbarie qu’ils ont posés en connaissance de cause?
Justice : une préoccupation et un dilemme.
Ces commissions Vérité-Justice et Réconciliation, partout, ne manquent pas de déchaîner les passions et des débats parfois très contradictoires. Pour certains politiques et praticiens du droit, le pardon ne peut pas se réaliser durablement si toutes les vérités ne sont pas dites et connues: “on ne peut absoudre celui qui ne se repent pas”. Et donc, que les violateurs des droits de l’homme doivent répondre de leurs forfaits si l’on veut décourager, à l’avenir, les tentations à l’animosité et construire des états de droit et des normes démocratiques viables .
D’autres observateurs trouvent plus prudent de faire courageusement un trait sur le passé et chercher plutôt à investir dans la restoration, en profondeur, des systèmes judiciaires pour les rendre à la fois dissuasifs et coercitifs. Ceux-ci – Brian Walsh, Chef Chercheur au Centre d’Etudes légales et juridiques de la Fondation Héritage aux USA en fait partie – ont conclu qu’à vouloir faire le procès des violateurs des droits des citoyens, on peut mettre en péril le processus de réconciliation. A peu près dans la même veine, d’autres se disent inquiets et soutiennent que ces procès, dans la plupart des cas, ont tendance à se bipolariser, dressant ethnies contre ethnies, mettant innocents d’un côté et coupables de l’autres. Et, comme tels, ils sont inappropriés pour corriger l’exploitation et la violence systématiques dont certains peuples ont été victimes.
Quant à la norvégienne Elin Skaar, Directrice de recherches à l’Institut Michelsen (Norvège), elle se démarque des deux principales thèses qui s’opposent :“le choix d’une Commission Vérité, d’un Tribunal ou de Rien pour solder le passé d’un pays sorti de crise dépend du rapport de force en présence. C’est selon que le pouvoir déchu est totalement affaibli ou resté actif, que la pression du public est très forte ou que la communauté internationale s’en mêle et y met tout son poids”. Mais Elin ne dit pas laquelle des options est la meilleure. Ce n’est pas le cas de Martha Minow. La Directrice de la faculté de Droit à Havard (USA), est plus précise lorsqu’elle estime que “Commission Vérité et tribunal pénal peuvent coexister pendant une période de transition dirigée par un Gouvernement de Mission ayant pour tâches spécifiques de faire aboutir les deux structures, de tempérer les rancœurs et d’organiser des élections ».
Critères essentiels.
Tous ces experts avertissent qu’une Commission Vérité de façade ou un tribunal de complaisance dont le but est de couvrir malicieusement les crimes de sang ne doivent pas avoir leur place sur la liste des options. Et, font-ils savoir, l’on doit surtout éviter que l’initiative provienne et soit pilotée par les coupables. A l’Ile Maurice par exemple, le gouvernement de Sir Anerood Jugnauth, pour couper court à tout soupçon sur la Commission visant à affronter les horreurs de l’histoire de l’Archipel, a confié sa présidence à un étranger en la personne du sud-africain Alex Boraine, ancien vice-président de l’institution similaire d’Afrique du Sud à la fin de l’Apartheid. D’une voix concordante, les observateurs avisés relèvent qu’un processus de réconciliation nationale qui veut tenir ses promesses se distingue par des actes de bonne volonté de la part des dirigeants. La reconnaissance, par les criminels, de leurs atrocités et l’arrêt total des crimes doivent en constituer le point de départ.
On constate que le facteur commun à toutes les Commissions Vérité, Justice et Réconciliation, dans presque tous les pays qui en ont fait le choix, c’est qu’elles sont instituées seulement après que les cliques ayant terrorisé et pillé leurs peuples aient été déposées du pouvoir – d’une manière ou d’une autre – et dépossédées de la gestion des affaires publiques. C’est ce qui s’est passé en Argentine après la chute de la dictature militaire, au Guatémala après des décennies de violences politiques, en Afrique du Sud après que la minorité blanche a été détrônée, en Sierra Léone après la guerre civile qui avait divisé le pays en factions rivales.
Cas du Togo, un cas cocasse.
Au regard des différents exemples, on peut affirmer que le Togo n’est pas prêt pour une CVJR. Le pays vit toujours dans une crise politique aigue. On le voit, le processus de réconciliation annoncé chemine, main dans la main, avec dissolutions de partis politiques, emprisonnements, dérives autoritaires des ministres en fonction, enlèvements et tortures d’opposants, dilapidation tous azimuts du patrimoine national et autres forfaitures. C’est refoulant. Raison pour laquelle la Commission Vérité du Togo – c’est palpable – s’identifie, dans le public, plus à la stratégie du guet-apens permanent du pouvoir qu’à sa volonté réelle d’unifier le peuple. Conséquemment, cette commission ne compte d’adeptes nulle part. Elle ne fait même pas l’unanimité dans la propre famille de son créateur, Faure Gnassingbé. Beaucoup se demandent d’ailleurs comment celui que l’on appelle encore au Togo “le charcutier de 2005”, un chef dépourvu de fondation morale et de respectabilité intérieure, peut-il entreprendre avec succès de réconcilier son peuple.
C’est, sans note discordante, un même langage que tiennent, la plupart des observateurs qui ont étudié de près les processus de réconciliation dans différents pays. Ce sont leurs expériences qui ont peut-être inspiré, il y a quelques mois, Nicolas Lawson, leader d’une petite formation politique (PRR) et ancien opposant au régime de Faure Gnassingbé : “ce n’est pas une Commission Vérité qu’il nous faut au Togo dans les circonstances actuelles, c’est d’abord et avant tout, un changement de régime”. En effet, le RPT, cheville ouvrière des assassinats politiques au Togo, a gardé sa haute main sur l’Etat et ses institutions. Ses miliciens et ses barons règnent toujours sur leurs victimes. L’impunité est demeurée la règle, sous un gouvernement pléthorique bricolé à des fins publicitaires, après un scrutin présidentiel foncièrement scandaleux.
Ennuyeuse homélie d’un prélat …
La Commission que préside Monseigneur Nicodème Anani Barrigah-Bénissan est une pâle copie que les togolais jugent sidérante. Sa composition même n’est pas affranchie de conflits d’intérêts. A part peut-être le prélat – la soutane du prêtre a cessé d’être sainte au Togo depuis la cascade de scandales dont l’ancien Archevêque de Lomé, Dosseh-Anyron, avait abreuvée ses fidèles – tous les dix autres membres sont des inconditionnels avérés du RPT. A commencer par la vice-présidente Kissem Tchangai-Walla, cette dame qui avait, à la tête de la CENI, validé la mascarade électorale de 2005 soldée par des centaines de morts et la destruction massive d’urnes par des militaires.
En définitive, le schéma togolais se ramène à un genre où, des criminels, responsables de massives violations des droits de l’homme, sans à aplanir les sujets litigieux, sans faire le moindre geste de repentance, et plus grave, sans mettre un terme à leurs actes de brutalité sur les populations civiles, s’arrogent le droit de convoquer leurs victimes à un processus de réconciliation placé sous leur contrôle. Cette CVJR là, c’est du bidon. C’est un artifice cousu de fil blanc. Simplement, c’est une cocasserie qui chamboule tout bon sens.
… dans un environnement démoniaque
Certainement, Monseigneur Nicodème Barrigah est au courant que ses compatriotes n’ont pas le cœur à suivre son (ennuyeuse) homélie sur cette formule RPT de la CVJR. Comme le dit l’autre, “il se contente de prôner la réconciliation”. Dans le désert. Ni les criminels – ils n’ont pas fini d’étancher leur soif de sang et de s’enrichir – ni leurs victimes, ne l’écoutent. Si l’Evêque d’Atakpamé croit devoir foncer, sans enseigner les quatre “nobles vérités” à son mandataire, c’est que forcément, lui et ses amis fileront, seuls, le mauvais coton jusqu’au bout. Sans le peuple qui nourrit des griefs profonds contre le régime.
Une chose est indéniable: faute d’adeptes, le projet introduit de façon cavalière par purs calculs politiciens est voué à une impasse pour ne pas dire à une mort bien méritée. Les torrents de critiques émanant du public siéent à merveille au prélat, accusé de marcher avec de sadiques galapiats qui font le mal et y prennent du plaisir. L’Archevêque d’Atakpamé commet un péché lorsqu’il se laisse instrumentaliser, avec aise apparente, par des gens qui n’ont jamais caché qu’ils sont d’infâmes hypocrites sur qui il est impossible d’avoir une quelconque emprise angélique.
La CVJR togolaise est un autre labyrinthe que le pouvoir abhorré a érigé pour flouer “les blancs” ( le RPT est friand de cela ). Il s’écroulera ou se fera superficiellement. Bishop Nicodème aura alors doublement péché pour avoir attendu si longtemps avant de comprendre que Faure Gnassingbé, c’est le Roi Hérode, et le RPT, l’Empire des ténèbres – leurs discours ne sont que duplicité, mensonge et transgression – En s’empêtrant dans cette structure de dédale qu’est la CVJR créée par un président vastement contesté, l’archevêque entache sa soutane et ne peut en sortir que diminué. Il lui faudra, pour redevenir lumière aux yeux de ses fidèles, mille neuvaines et mille jours de jeûne ininterrompus. C’est à ce prix que le Roi des Nations, Jésus, redorera son blason et le purifiera des souillures qu’il projette à la face de la Nation Togolaise.
Kodjo Epou
Washington DC
USA
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