Selon une enquête menée par « Le Monde » et « The Guardian », le régime togolais a utilisé un logiciel ultra-sophisitiqué pour cibler des religieux catholiques, des militants de la société civile et des opposants politiques.
A ses paroissiens de Kpalimé, ville agricole du sud-ouest du Togo, Mgr Benoît Alowonou aime répéter que « Dieu connaît la vérité du cœur ». Pas tout à fait les secrets qui intéressent le régime togolais ; lui « connaît » jusqu’au contenu du smartphone de l’homme de foi.
Selon une enquête menée par Le Monde et The Guardian, le religieux de 71 ans est l’un des six Togolais identifiés pour l’instant à avoir été ciblés par un logiciel espion très sophistiqué dénommé Pegasus. Une arme numérique développée et vendue aux Etats par la société israélienne NSO Group, officiellement pour lutter contre le terrorisme et la grande criminalité. Au Togo, elle a été utilisée contre des religieux catholiques, des militants de la société civile et des politiciens de l’opposition. Ces voix qui critiquent le pouvoir du président Faure Gnassingbé ont subi à leur insu des infections de leurs smartphones au cours de l’année 2019.
« Je n’ai rien à cacher, mais il semble clair que ce type de logiciel est dangereux pour nos libertés, pour notre démocratie », répond Mgr Alowonou, joint par Le Monde. En tant que président de la Conférence des évêques du Togo, il a eu à orchestrer des dialogues et des tractations délicates entre l’opposition et ce pouvoir que les religieux critiquent régulièrement pour ses dérives autoritaires. « Il est de notre devoir de dire publiquement des vérités qui dérangent », insiste l’évêque de Kpalimé. Cette liberté de parole lui a-t-elle valu d’être ciblé par le logiciel Pegasus, qui permet notamment, dans sa version basique, de géolocaliser la victime, lire ses messages et ses courriels, voire activer le micro et la caméra de son smartphone ?
« Cette violation claire des libertés des citoyens est très grave », pense le père Pierre Chanel Affognon. Avec le mouvement citoyen Forces vives Espérance pour le Togo, ce prêtre est lui aussi engagé dans la lutte pour la démocratie dans ce pays d’Afrique de l’Ouest dirigé d’une main de fer par la famille Gnassingbé depuis 1967. L’actuel président, Faure Gnassingbé, 54 ans, a entamé son quatrième mandat en mai, réélu avec un score écrasant de 70,78 % fortement contesté par l’opposition et la société civile. Son principal rival, Agbéyomé Kodjo, a été interpellé puis placé sous contrôle judiciaire, avant de disparaître. Il est aujourd’hui sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice togolaise.
Le monde