Révolution togolaise [Jean Baptiste K]

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« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise » Proverbe

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

Le paysage politique togolais est sens dessus-dessous. L’opposition est désunie. Le peuple est désorienté et perdu dans le maquis de contradictions et d’incohérences des partis politiques. Le fossé entre le peuple et ses élites devient un abîme. Certains partis participent à des élections locales pour lesquelles Mme Adjamagbo, coordinatrice du reliquat de la C14, reconnaît sans sourciller qu’il n’y a aucune garantie de transparence. Apparaît désormais un déphasage profond entre le peuple et ceux qui ont fait profession de porter ses aspirations. Les scandales financiers, les insoutenables légèretés de certains hommes politiques, leurs compromissions successives, l’hypocrisie et la félonie de certains autres ont fini de corroder profondément la confiance du peuple. La roche tarpéienne est très proche du Capitole. La tentation du « tous pourris » n’est pas loin. Le risque d’un approfondissement de la léthargie du peuple et donc d’une perpétuation de la dictature au Togo est réel. L’incompétence notoire de certains leaders de l’opposition tend à rendre acceptable le maintien de la dictature de Lomé 2. Droit dans ses bottes, le pouvoir fait montre de plus d’intelligence manœuvrière dans la mise à sac du Togo et la conservation du pouvoir ad vitam æternam qu’une certaine classe politique emmenée par le principal parti de l’opposition L’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) et son chef M. Jean-Pierre Fabre. En outre, la brutalité des prises de position de ce parti à travers les propos maladroits et inutilement outranciers de son président l’affaiblit et jette l’opprobre sur toute la classe politique togolaise. Les manifestations d’un peuple en mal de représentation A Kpalimé, Blitta, Sokodé, Kara et probablement dans bien d’autres endroits où il passera, M. Fabre essuie la colère du peuple. Cette figure de l’opposition est en difficulté. Elle récolte le fruit de ses choix calamiteux, de ses compromissions et d’un manque criard de stratégie de lutte. Ces racines amères font de lui le traître de l’intérieur, sous la coupe d’une hybris mortifère qui l’empêche de distinguer l’intérêt du peuple et de s’y conformer. M. Fabre cristallise le dépit du peuple qui ne veut plus se laisser duper et se voir mourir pour des politiciens véreux, prompts à monnayer sa détermination et son destin. Magnanime et patient le peuple a longtemps pardonné ses faiblesses, son incompétence, ses brutalités, la piètre qualité de sa communication, ses compromissions, ses incohérences, la morgue méprisante de sa parole et son absence de stature et de charisme politiques. Cet acteur politique porté aux nues, faute de mieux, n’a pas su situer la part octroyée par le peuple à sa stature de chef de file. Il a cru être quelque chose sans le peuple. Il s’est fourvoyé. À qui on donne beaucoup, on exige beaucoup en retour. Il ne l’a pas compris. Il n’a pas fini d’en payer le prix. La voix off de la vidéo de Sokodé proclame le ressenti de ce peuple : « tes turpitudes vont nous pousser à « désirer » nos bourreaux du RPT/UNIR et à leur donner nos suffrages ». On comprend le degré de désespérance d’une nation méprisée, instrumentalisée par ceux-là même qui s’arrogent le droit de la conduire vers sa libération et qui ne lui servent plus que la soupe embrouillée de discours et d’actes ineptes de renoncement, de complicité et de cupidité. Le peuple est solidaire de ses hérauts dont il attend en retour un minimum de bon sens, de fermeté et de simple honnêteté. Au lieu de cela les mêmes qui ont proclamé urbi et orbi : «pas de réformes, pas d’élections » ; qui ont fait de la libération des otages politiques la condition sine qua non de toute discussion avant de rentrer dans le labyrinthe des cocus sans obtenir ces mesures minimales d’apaisement ; qui ont réclamé le retour de la C92 avant de se contenter d’une réforme sur mesure pour le prince ; qui ont été floués, contraints, bernés avant de rentrer dans les rangs en acceptant de se départir de leur arme maîtresse des manifestations de rue ; qui ont décidé de ne pas participer aux élections législatives ont cédé, à conditions constantes, sans aucune garantie, aux sirènes d’une élection locale. N’en jetez plus d’incohérences ! Pour le peuple, le vase est plein. Face à un tel constat, il se trouve encore des tartuffes qui jouent les vierges effarouchées. Étalement de mauvaise foi allant jusqu’à sommer le PNP de s’excuser et de condamner ce qui n’est que le résultat d’un dévoiement de la lutte que le peuple dans sa grande sagesse a bien perçu. Le déni de responsabilité et le mépris de la parole du peuple conduisent des thuriféraires de l’ANC à emboucher la dangereuse trompette du tribalisme en faisant mine d’oublier que le rejet s’est produit dans plusieurs localités contre des gens qui, hier encore, y étaient adulés et accueillis à bras ouverts. Il faut quitter rapidement ces oripeaux dangereux si une certaine opposition, bien plus sûrement que le pouvoir, ne veut provoquer l’embrasement du pays. L’obsession Atchadam ou les racines profondes du mal C’est indéniable. L’ancrage du Parti National Panafricain (PNP) sur l’échiquier politique a rebattu les cartes. Il ne s’agit pas d’une simple redistribution des rôles. Tikpi n’est pas venu prendre sa part dans le jeu de collusion incestueuse entre le régime et ceux qui jouent aux « opposants » à l’éclosion d’une véritable opposition à la dictature. Le bel ordonnancement complice de l’ANC en fut ébranlé. Le PNP est devenu ipso facto l’adversaire à abattre. Fabre et ses lieutenants ont été soudain saisis par une fièvre obsessionnelle nommée Atchadam Tikpi. Il était clair que la C14 ne pouvait atteindre ses objectifs. La chute du régime n’étant pas la visée de M. Fabre. Seul lui importait la mise à bas du PNP. Laissant l’ombre pour la proie, l’ANC a multiplié les obstacles, les chausse-trappes et les manœuvres pour contenir ce parti qui rencontre les faveurs du peuple par la simplicité percutante du discours et de l’action. Comment comprendre autrement l’acceptation d’un dialogue consécutif à un soulèvement sans la présence effective de l’auteur du 19 août 2017 ? Les exemples sont légion jusqu’au pathétique : la revendication par M. Fabre il y a quelques jours à Bafilo de la paternité du slogan PNP : « bindjé gué bindjé » et ses explications emberlificotées à propos des 30 millions perçus indûment. A ce niveau de la communication politique, il serait suicidaire de confier le destin du peuple à un esprit aussi étroit. Le peuple l’a bien compris. M. Fabre va rejoindre la longue charrette des hommes politiques oublieux du peuple qu’ils ont pourtant fait profession de conduire. Participer aux élections locales dont les leviers sont « entièrement » entre les mains du tyran, c’est signer la mort d’une génération de politiciens défaillants. Ils y voient une bouée de sauvetage lancée par « leurs alliés ». Ils se hâtent vers les mairies aménagées par la satrapie comme récompenses de bons et loyaux services. Il me souvient la réponse de M. Bawara au journaliste Babylas Boton peu avant le simulacre du 20 décembre 2018. Il disait que le pouvoir pensait à caser au Sénat ces politiciens de carrière privés de sièges de députés. L’ombre d’un contrat n’est pas loin. L’incompréhensible renoncement aux huit sièges à la CENI prend alors sens. De même, s’éclaire la décision de participer « sans garantie » aux élections locales. Le RPT / UNIR s’apprête à ouvrir sa hotte à Fabre et consorts en les « nommant », comme de vulgaires godillots aux postes de maires et de conseillers municipaux. Voilà le jeu délétère auquel on assiste. Voilà ce que le peuple a bien compris. Voilà la raison de son hostilité grandissante envers ceux qui ont pris délibérément le parti de le trahir. Le cauchemar de M. Fabre ne fait que commencer. Il ira en s’amplifiant. Il est appelé à connaître le sort de son mentor M. Gilchrist Olympio. Pour les militants sincères de l’ANC il convient de songer à l’après Fabre. Maintenir un si médiocre acteur à la tête d’un si grand parti, c’est lourdement hypothéquer son avenir. La valeur d’un arbre ne se mesure qu’à la qualité de ses fruits. L’arbre Fabre n’a laissé que des racines amères. Il faut les extirper sans ménagement.

Jean-Baptiste K.

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