Ce que je pense de la démission de Mgr Marie-Daniel Dadiet [ Par Jean-Claude DJEREKE]

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Voulue par le Concile Vatican II (1962-1965), la renonciation des évêques catholiques à leur charge pastorale à 75 ans a été établie par le pape Paul VI en 1966 (cf. son motu proprio “Ecclesiae Sanctae”). Lorsque Mgr Marie-Daniel Dadiet annonce, le jeudi 12 octobre 2017, qu’il quitte ses fonctions d’archevêque de Korhogo, alors qu’il n’a que 65 ans, il n’est donc pas étonnant que la nouvelle fasse l’effet d’une bombe à Korhogo et au-delà. Pourquoi part-il plus tôt que prévu? A-t-il été révoqué par le pape François à la suite d’un rapport accablant du nonce apostolique ou de la conférence épiscopale ivoirienne?, se sont demandé certaines personnes. À moins que les informations que nous avons recueillies ici et là ne soient erronées, Mgr Dadiet n’a pas été démis par le souverain pontife comme le furent Mgr Franz-Peter Tebartz-van Els, l’ancien évêque de Limburg (Allemagne) en octobre 2013, et l’Américain Robert Finn, ancien évêque de Kansas City, le 21 avril 2015. Pour mémoire, il était reproché au premier d’avoir effectué des dépenses excessives pour la transformation de la maison diocésaine (initialement évalués à 6 millions d’euros, les travaux coûtèrent finalement 31 millions d’euros dont 15 000 euros pour la baignoire), tandis que le second avait été reconnu coupable par la justice américaine en septembre 2012 d’avoir couvert un prêtre pédophile. Non, Dadiet n’a pas été contraint à la démission; il a plutôt démissionné de son propre chef. Pourquoi? Des ennuis de santé le rendaient de moins en moins apte à gouverner et à conduire le peuple de Dieu à Korhogo comme il l’a mentionné dans la petite note adressée aux prêtres et diacres de l’archidiocèse. Cette démission est-elle un cas isolé? Pas du tout. Avant Dadiet, en effet, il y eut l’ancien archevêque de Strasbourg, Mgr Joseph Doré, en aoùt 2006. Celui-ci rendit le tablier cinq ans avant l’âge fixé par le droit canonique pour la retraite des évêques. C’est une grosse fatigue qui l’avait poussé à anticiper sa retraite. 7 ans plus tard, c’est l’évêque de Rome lui-même qui se démet de ses fonctions, chose qui n’était pas arrivée pour un pape depuis 700 ans. Benoît XVI était-il malade? La réponse est “non” si on se fie à ce passage de la lettre qu’il publia avant de prendre cette grave décision: “Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer de façon adéquate le ministère pétrinien.” Ainsi, peut-on démissionner pour “faiblesse et vieillesse” ou pour raison de santé.

Mgr Dadiet, qui vient d’abandonner sa charge pastorale parce que ses forces avaient considérablement diminué, quel souvenir laisse-t-il? Qu’a-t-il fait de bon et de beau pendant les 13 années passées à la tête de l’archidiocèse de Korhogo? Pour nous, seule la réponse à ces questions est désormais la chose la plus importante. En octobre 2013, une pétition avait été signée par plusieurs fidèles laïcs de Korhogo. Ces derniers reprochaient à l’archevêque métropolitain d’être plus présent à Abidjan et en France que dans son diocèse, de ne pas s’occuper de ses agents pastoraux, de laisser les bâtiments diocésains se dégrader, d’avoir peu construit à Korhogo, etc. Dans ces reproches, je ne voyais ni exagération, ni xénophobie, ni volonté de nuire gratuitement. Il y avait du vrai dans les mots, même s’ils étaient parfois durs. Dadiet le reconnut humblement avant de faire son mea culpa et c’est cette humilité qui m’amène à parler maintenant du souvenir qu’il laisse. De mon point de vue, Mgr Dadiet incarnait incontestablement le bon berger dont parle Jésus dans l’évangile de Jean, tant au plan humain qu’au plan pastoral. L’estime et l’affection que j’ai pour lui viennent d’abord de là: aller à la recherche de la brebis égarée, soigner celle qui est malade ou blessée, porter celle qui ne peut plus marcher, ramener celle qui s’est écartée de l’enclos (St Jean 10, 14-16 // Ézéchiel 34, 4). Avec celui d’Agboville, il est effectivement l’un des rares évêques ivoiriens à avoir accueilli des séminaristes et prêtres brimés ou rejetés par leurs évêques et donc condamnés à errer dans la nature; je connais personnellement tel ou tel prêtre que la tendresse de l’ancien archevêque de Korhogo a remis debout. Qu’ils soient baoulé, agni, akyé, dida, bhété, sénoufo ou tagbana, ces séminaristes ou prêtres accueillis par lui peuvent témoigner qu’ils doivent à la bonté de Dadiet d’avoir retrouvé le sourire et la joie d’annoncer le message du Nazaréen.

Je l’ai déjà dit: Dadiet n’a pas été chassé mais s’en est allé de sa propre initiative. Le fait est trop rare pour ne pas être souligné. En Afrique, en effet, on a coutume de mourir au pouvoir comme si celui-ci était une propriété privée ou la plantation de notre papa. Alors qu’il lui restait encore 10 ans à passer à Korhogo, Mgr Dadiet, lui, a préféré partir parce qu’il ne voulait pas s’accrocher malgré une santé de plus en plus défaillante, parce qu’il refusait de tricher. Les tricheurs sont ceux qui s’accrochent au pouvoir alors qu’ils n’ont plus la capacité de l’exercer, alors qu’ils ne sont plus d’accord avec une manière de voir et de faire, alors que leur bilan à la tête du pays, de la communauté, du diocèse, du syndicat ou du parti est largement négatif et que le peuple qu’ils prétendent aimer et servir est fatigué d’eux. Les amis et connaissances de Dadiet, ses frères et parents didas devraient être fiers de lui. Son honnêteté et son courage devraient interpeller et inspirer tous ceux qui sont au pouvoir dans l’Église et dans la société.

Enfin, quand Mgr Dadiet invite les prêtres et diacres de Korhogo “à collaborer avec son successeur dans le respect et l’obéissance conformément aux engagements de leur ordination”, on a simplement envie de dire : Quelle hauteur d’esprit! Car seuls les grands esprits et les personnes détachées peuvent s’exprimer de la sorte. Car de tels propos ne peuvent être tenus que par ceux qui ont compris qu’aucun évêque n’est propriétaire du diocèse qui lui est momentanément confié et que les hommes et femmes qui sont dans ce diocèse ne lui appartiennent pas mais sont véritablement le “Peuple de Dieu”.

Certains auraient aimé que Mgr Dadiet construise plusieurs écoles, dispensaires, centres de retraite, paroisses et églises à Korhogo et on peut les comprendre car toutes ces choses sont fort utiles mais chacun de nous devrait aussi savoir que “ce qui compte le plus est ce qui ne se compte pas” (Albert Einstein). La fidélité dans les relations, la compassion, l’accueil des personnes en détresse, la franchise, l’humilité, la simplicité, le courage, l’honnêteté font partie de ces choses qui ne se comptent pas. Merci à Dadiet de les avoir incarnées un tant soit peu!

Jean-Claude DJEREKE

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