Les 4 et 5 octobre à Bercy, siège du ministère français de l’Economie et des Finances à Paris, les 15 pays de la zone franc d’Afrique se réuniront pour célébrer avec les autorités françaises les 40 ans d’une coopération monétaire jugée inégale avec l’ex-puissance coloniale que des analystes appellent à abolir par l’adoption par les pays africains de leurs propres monnaies.
En prélude aux prochaines Assemblées générales du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, la rencontre-anniversaire de la capitale française placée marquée par un colloque sous le thème « Regards croisés sur les 40 ans de zone franc » symbolise, comme de tradition, une sorte d’agencement du fonctionnement de la zone franc avant les réunions de deux institutions de Bretton Woods, a déclaré à Xinhua l’ingénieur financier camerounais Babissakana.
En Afrique, l’émergence de nouvelles pensées idéologiques a suscité une remise en cause d’une coopération monétaire jugée plutôt protectrice des intérêts de la France au détriment de ses vis-à-vis du continent noir. Les réactions exprimées jugent surannée l’existence de la zone franc 40 ans après sa création et plus de 50 ans après les indépendances africaines.
Pour cette configuration sans pareil au monde, l’analyste financier camerounais Boniface Tchuenkam y voit un des vestiges de la colonisation française en Afrique qui ne se justifie plus aujourd’hui. « Si au début des indépendances l’Afrique n’avait pas de cadres compétents pour gérer la convertibilité de sa monnaie, 50 ans après ce n’est plus possible. Déjà dans les années 70, l’Afrique avait des cadres compétents ».
« L’Afrique a son porte-monnaie qui est gardé en France. On ne peut pas se dire indépendants ayant son porte-monnaie dans le sac d’une autre personne. C’est la France qui décide ce qu’elle nous donne et nous ne pouvons pas décider de placer notre argent dans un autre pays comme le Japon ou les Etats-Unis, même si les conditions de rentabilité sont favorables », ajoute-t-il.
30 milliards USD de réserves
Structurellement, la zone franc se compose de huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), de six d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine et Tchad) et des Comores. En février, le montant total des réserves extérieures de ces pays tournaient autour de 15.000 milliards de francs CFA (30 milliards USD). Comme Tchuenkam, Babissakana pense que cet argent représente du pain béni pour l’Etat français. « La France a signé des accords de coopération qui sont des accords d’aide. On peut dire que c’est l’inverse ; c’est plutôt les Etats africains qui sont en train d’ aider la France à financer son budget à des taux concessionnels ».
Sur ces réserves monétaires, un taux d’intérêt de 1,75 à 2,5% est appliqué, soit un taux marginal, « le plus faible que la France peut payer sur les crédits qu’elle reçoit, parce que la France émet beaucoup de titres pour avoir l’argent », observe l’ingénieur financier pour qui si les avoirs logés au Trésor français étaient placés sur les marchés financiers à un taux de rendement de 8 voire 10%, ils procureraient d’importantes devises aux pays africains pour financer leurs économies.
« Au début, rappelle-t-il, quand on était des colonies ou des pays sous tutelle, la France avait 100% des réserves extérieures de nos pays. Toutes ces réserves lui appartenaient. Après les indépendances, ils ont ajusté que maintenant vous êtes obligés de déposer 65% contre un fameux principe qui est complètement dénué de fondement, qui est la garantie, c’est-à-dire que c’est des dépôts qu’on donne en contrepartie de la garantie que la France accorde au franc CFA ».
Depuis juillet 2009, le volume des dépôts a été officiellement ramené à 50%. « Ça dépasse même 50%, parce que dans la gestion même effective, les banques centrales continuent à déposer plus, surtout la BEAC. Mais la BCEAO essaie de ramener à 50%. Mais, en tout état de cause, ces réserves financent l’Etat français et l’Etat français paie un intérêt au taux marginal de la Banque centrale européenne », note Babissakana.
En 1994, dans un contexte d’ajustements structurels vécus par les pays africains en pleine crise économique comme une pilule amère de la part du FMI et de la Banque mondiale quelques années plus tôt, le franc CFA a subi une dévaluation de 50% de sa valeur par rapport à la parité avec le franc français, une situation venue accentuer la paupérisation des populations africaines. De fait, aux yeux de Boniface Tchuenkam, la zone franc sous contrôle français apparaît comme « un des éléments de la pauvreté qui est entretenue ici en Afrique francophone ».
« Il faut profiter de ces 40 ans pour dissoudre cette histoire- là et qu’on prenne nos responsabilités pour récupérer notre argent et le gérer nous-mêmes ».
A ceux qui affirment que l’attelage monétaire commun a assuré aux pays africains une stabilité macroéconomique, il soutient qu’il est impossible de parler de gain. « Ce que nous perdons est plus grand que ce que nous gagnons. Tout à l’avantage de la France. C’est avec le contrôle de cette zone qu’elle nous tient ».
Accelérer la création d’une monnaie commune Africaine
C’est un avis partagé par Babissakana qui milite de son côté pour que les pays d’Afrique francophone s’associent véritablement aux pays Etats du continent pour accélérer le processus de création d’une monnaie commune africaine, élément clé pour la réussite de la renaissance africaine et de l’intégration économique tant proclamées sous forme de slogans lors des sommets de l’Union africaine (UA).
Il suggère une réforme de la politique de pilotage et de supervision du système de la micro-finance qui, à son avis, porte les stigmates des fameux accords de coopération monétaire décriés. Même proposition pour le système qui impose la présence d’administrateurs et de censeurs dans les trois banques centrales africaines de la zone : la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ( BCEAO) et le Banque centrale des Comores.
Au Cameroun par exemple, près de 400 établissements de micro- finance sont recensés, « mais ces institutions sont exclues services publics de la banque centrale, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas accès à la centrale des risques, la même chose pour les incidents de paiement ». Comble, la Commission bancaire d’Afrique centrale (COBAC) ne dispose pas de moyens pour venir superviser un système pourtant essentiel pour le fonctionnement de l’économie, déplore l’ingénieur financier.
Caricaturée par le fameux concept de « Françafrique » qui a fait émerger un florilège de réseaux mafieux et de chantage politique à l’égard de l’élite gouvernante en Afrique, la relation franco- africaine est ponctuée de coups d’Etat et d’interventions musclées opérées depuis Paris pour mettre au pas ou faire disparaître des dirigeants rebelles à la protection des intérêts français dans leurs pays.
« La France, avance Babissakana, n’a pas intérêt à avoir des pays démocratiques en face, parce que si vous mettez en place des institutions démocratiques, des présidents élus démocratiquement, la question monétaire va être absolument tranchée. Parce que des Etats normaux, avec une gouvernance normale, avec des peuples qui veillent à ce que les institutions fonctionnent dans leur intérêt, la première des choses, ça sera de mettre fin à ces accords monétaires ».
« La montée d’autres puissances, notamment la Chine, l’Inde, a fait que ces dernières années le centre de gravité de l’économie mondiale s’est déplacé de l’Occident vers l’Orient, et la structure des échanges a été modifiée de façon importante, de sorte que pour l’avenir, nous on n’a aucun intérêt à rester enfermés dans des accords de coopération totalement dépassés qu’on avec la France », conclut-il.
Raphaël MVOGO