Yawovi Agboyibo, du mythomane à l’homme de toutes les fausses stratégies

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Aux premières heures des discussions pour la création du Collectif « Sauvons le Togo », il manœuvrait dans l’ombre. Non seulement il a tenté de dissuader certaines personnes voire des organisations à adhérer à cette initiative, mais en plus il s’est attelé à distiller dans l’opinion à travers un certain nombre de porte-voix souffrant d’une inculture politique, que les organisations de la société civile ne doivent pas s’immiscer dans le débat politique. Ses manœuvres pour empêcher la naissance du CST ayant échoué sur toute la ligne, il a décidé de sortir de l’ombre pour agir désormais à visage découvert à travers une interview le 26 juillet sur une radio de la place. Adepte des faux postulats, il a même tenté dans cette interview d’appeler les morts pour justifier ses errements. Et ce n’était que le ballon d’essai.

Depuis, il est passé à la vitesse supérieure en portant sur les fonts baptismaux sa coalition Arc-en-ciel, une alliance électorale des partis boiteux. Il avait annoncé sa retraite politique, mais en réalité il n’a passé que le volant du CAR à son disciple Me Dodji Apévon, gardant le pied sur l’accélérateur. Eternel roublard de la politique togolaise, un observateur avisé le qualifie de Maradona de la politique, c’est-à-dire l’homme qui dribble tout le monde, même le gardien mais revient marquer le but contre son propre camp. Pour un autre, il est le prototype du « boulanger » en chef. Lui, c’est Me Yawovi Madji Agboyibo, le Bélier noir qui vient de sortir du bois avec un autre concept dit Arc-en ciel, après avoir abreuvé les Togolais, sans succès, de sa cogestion, de la fameuse refondation de la République, de cette image de Jésus contre Barabas et de bien d’autres concepts. Zoom sur un homme politique qui, malgré son âge avancé et surtout sa santé fragile, refuse de quitter la scène et s’emploie à semer la confusion dans les esprits.

Yawovi Agboyibo, du mythomane à l’homme de toutes les fausses stratégies

L’actuel Président d’honneur du CAR, pour ne pas dire le vrai Président de ce parti, Appolinaire Yawovi Madji Agboyibo, est un homme réputé pour sa prétendue force mystique. On le disait avoir disparu avec le fauteuil présidentiel de Gnassingbé Eyadéma, mieux, englouti dans la terre juste après des paroles incantatoires des militaires envoyés pour l’appréhender. Il est aussi connu comme l’homme qui aurait libéralisé la commercialisation du sodabi dans les années 1990, pour le grand bonheur des villageois, et des jeunes qui s’en abreuvent à coeur-joie. Ses disciples qui déblatèrent souvent sur les médias, n’hésitent pas à lui décerner l’exclusivité du brevet de la prétendue instauration de la démocratie au Togo en prenant soin de réduire les autres leaders à un statut de spectateurs. Fambaré Natchaba, la grande gueule du pouvoir au sommet de sa gloire, ne cessait d’ironiser sur les prétendus pouvoirs mystiques du Bélier noir en évoquant souvent la prise en otage suivie de l’agression des Hauts Conseillers de la République où l’homme n’a pu disparaître. Interrogé sur la disparition avec le fauteuil d’Eyadéma par le confrère Guy Mario lors d’une émission débat sur radio Métropolys en 2004, il a préféré botter en touche.

C’est donc autour d’une certaine méthode basée sur de prétendus pouvoirs mystiques que cet homme politique d’une rare intelligence (il faut le lui reconnaître) a basé son action politique. Point n’est besoin de revenir ici sur l’ensemble de ses actes politiques, mais nous mettrons l’accent sur quelques aspects qui font de l’homme un adepte de la duplicité.

En juin 1991, au cours d’une plénière des forces démocratiques, il avait donné son accord pour la grève générale illimitée jusqu’au départ d’Eyadéma du pouvoir. Mais juste au lendemain, il fait distribuer des tracts pour dire que l’objectif de la grève n’était pas le départ d’Eyadéma, mais l’obtention de la conférence nationale.

En 1994, le CAR conclut une alliance électorale avec l’UTD d’Edem Kodjo. Les deux partis remportent la majorité des sièges aux législatives de février 1994. L’UTD obtient 7 sièges, le CAR 34 et le RPT 38. Deux sièges du CAR avaient été invalidés, de même qu’un siège de l’UTD, mais les deux partis de l’opposition à l’époque avaient la majorité. Commencèrent alors les tractations pour la nomination du Premier ministre, dans une incompréhension totale. Contre toute attente, Edem Kodjo est nommé Premier ministre, Yawovi Agboyibo crie à la trahison et le pays s’emballe. Mais sur cette page de l’histoire du pays, voici ce qu’en dit Edem Kodjo dans le livre Edem Kodjo, un Homme un Destin de Vénance Konan : « J’avais des doutes sur l’attitude réelle d’Agboyibo à l’égard de ses partenaires de l’UTD, mon parti. Bien que des réunions se soient multipliées entre nos représentants et souvent entre nous- mêmes, des rumeurs me parvenaient avec insistance sur la volonté d’Agboyibo de traiter avec le RPT pour constituer une grande alliance qui rejetterait l’UTD en marge de la donne politique. Pour contraindre Agboyibo à plus de coopération, je fis une déclaration affirmant que l’UTD est l’appoint indispensable pour une majorité parlementaire et qu’à ce titre, elle pouvait être considérée comme un parti charnière. Cette déclaration, qui n’était pas comprise parce qu’on ne pouvait pas en mettre les menus détails sur la place publique, a fait beaucoup de bruit. J’ai convoqué mon bureau politique qui a écrit une lettre au CAR que j’ai signée de ma main, pour lui signifier que nous nous rangions derrière eux. Nous étions d’accord pour qu’Agboyibo soit le Premier ministre. Nous avons rendu cette lettre publique, ainsi nous pensions que les rumeurs allaient s’estomper. Le calme revint. Les réunions entre nos deux partis ont repris et on s’est mis à plancher sur un programme de gouvernement. Mais Agboyibo allait souvent voir Eyadema qui ne le nommait pas. Finalement, Eyadema lui a demandé de proposer trois noms parmi lesquels il allait choisir le Premier ministre, parce que la Constitution prévoit que c’est le chef de l’Etat qui choisit le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire. Or Eyadema, ce que nous apprîmes plus tard, avait l’intention depuis longtemps de me nommer Premier ministre. Selon son expression, c’est au forgeron que l’on demande de forger et au charpentier que l’on demande de raboter. On ne donne pas le rabot au forgeron et le marteau au charpentier. Il disait qu’Agboyibo ne connaissait rien à l’économie, à l’administration, et aux affaires de l’Etat. Comment le nommer Premier ministre alors qu’il avait à côté quelqu’un qui avait fait tout le parcours probant ? Ministre des Finances, ministres des Affaires étrangères, Secrétaire général de l’OUA. Il ne s’en cachait pas devant ses intimes. Il pensait qu’Agboyibo allait mettre mon nom sur la liste, mais ce dernier a plutôt mis les noms de deux obscurs individus, dont un qui aurait des démêlés avec la justice, et lui-même s’est placé en troisième position.

Quand Eyadema a vu cela, il a ri. La preuve ultime que j’ai eue, c’est qu’Agboyibo passait me voir tous les jours, avant d’aller voir Eyadema à Lomé 2. Un jour, comme « le bon Dieu est à cheval », il est venu me dire qu’il avait rencontré Eyadema, mais que ce dernier ne lui avait rien dit à propos de sa nomination et de la situation politique du pays. Mais voilà qu’Eyadema me convoque l’après-midi. Il me parle d’Agboyibo et je lui dis : « Mais vous vous êtes vus ce matin. Il m’a dit que vous ne lui avez rien dit de concret ». Eyadema sourit, contourne son bureau, ouvre un dossier, en sort un papier, et me lit douze points dont ils avaient discuté ensemble, Agboyibo et lui-même. C’était un programme commun de gouvernement avec le RPT. J’étais tellement abasourdi que j’ai dit : « Ce n’est pas vrai ». Il me dit : « Tu vas voir. » Il appelle M. Djondo, un de ses anciens ministres qui a été le fondateur et le président du conseil d’administration d’Ecobank. Il demande à Djondo comment ça allait avec Agboyibo. Djondo lui répond qu’Agboyibo se trouvait justement avec lui. Eyadema demande à lui parler, me regarde fixement puis ouvre le haut-parleur pour que j’entende la conversation. Il lui demande « Alors, maître, sur quelle base marchons-nous ? » ; et l’autre de lui répondre : « Mais sur la base que nous avons convenue, c’est-à-dire que vous prenez la Présidence de l’Assemblée nationale, je prends la Primature, on fait la jonction et on sort le pays des difficultés. » Et le Président lui demande : « Et Kodjo, qu’est-ce qu’il devient ? » Agboyibo lui répond : « Mais celui-là, il ne représente rien dans le pays. D’ailleurs il est malade. J’ai été le voir l’autre jour, il est alité. Il est défait complètement. Non, non il ne compte pas ». Eyadema a raccroché, m’a regardé et m’a dit : « Tu as vu ? ». J’ai dit : « J’ai compris » et j’ai décidé que si Eyadema m’appelait pour être Premier ministre, je n’hésiterai pas une seconde parce que toutes les rumeurs qui circulaient avec insistance se confirmaient. Mes yeux commençaient par s’ouvrir ; le double jeu de mon partenaire devenait évident ».

Ce témoignage que nous avons retrouvé dans le livre de Venance Konan est certes long, mais il permet à chacun de se faire une idée réelle des actes posés par Yawovi Agboyibo en cette période cruciale de notre histoire et surtout de la marche des populations togolaises vers un Etat de droit. Edem Kodjo forme son gouvernement et a la motion de confiance à l’Assemblée nationale, les députés du CAR boycottent la séance. Agboyibo refuse la Présidence de l’Assemblée nationale, mais accepte que l’un des ténors de son parti, notamment Gahoun Hegbor occupe le poste de Vice-président du même Parlement. Ses députés passent neuf mois à jouer aux abonnés absents et n’ont signé leur retour à l’hémicycle que lorsque le pouvoir a menacé de couper leurs indemnités. Lors des élections partielles de 1996, Agboyibo a fait campagne contre son ancien allié l’UTD en se désistant au profit du RPT. Voici ce que Fambaré Natchaba dit sur cet épisode toujours dans le livre de Venance Konan : « Politiquement, Edem Kodjo était devenu notre prisonnier. C’est peut-être ce que les autres voulaient. Et lors des partielles de 1996, le CAR est allé jusqu’à se désister pour que le RPT gagne, histoire de marginaliser encore plus Edem Kodjo ». Sans commentaires. Ce jeu du clair-obscur a entamé la crédibilité du parti des déshérités dont certains députés, en l’occurrence le fameux Allagbé Bayedjè de l’Est-Mono et Tchègnon du Moyen Mono ont rejoint avec armes et bagages le RPT. Un mercato très juteux auquel Agouda Moumouni, député de l’UTD à Tchaoudjo a cédé, permettant au parti au pouvoir d’obtenir la majorité et à Eyadéma de se séparer d’Edem Kodjo.

En 1998, pour neutraliser Claude Améganvi, le Bélier noir fait écrire dans le journal de son parti « Le Phare » que le leader du Parti des Travailleurs est allé chercher de l’argent chez Eyadéma. Claude Améganvi attaque le journal au Tribunal et gagne le procès.

En 2003, après sa sortie de prison, Me Agboyibo a fait sa campagne électorale bible à la main, jurant à qui voulait l’entendre qu’il n’avait jamais pris de l’argent chez Eyadéma. Cette profession de foi ne lui avait pas permis d’engranger un bon score à cette élection.

En 2005, à la mort subite d’Eyadéma, des rumeurs faisaient état de ce que le leader du CAR était en intelligence avec Faure Gnassingbé qu’il connaissait depuis que ce dernier était devenu ministre des Mines, des Postes et Télécommunications de son père. Face au cafouillage de la succession dynastique, les populations pressaient les forces démocratiques de désigner un candidat unique. Yawovi Agboyibo se rangea à contre cœur derrière la candidature de Bob Akitani tout en espérant que le régime en place ne concédera jamais le pouvoir à l’UFC, pour ainsi se servir de la situation pour dire aux Togolais que le parti « des teints clairs » ne pourra jamais prendre le pouvoir. Au lendemain de cette élection avec son lot de massacres, le CAR qui soutenait la candidature de Bob Akitani, était le premier à déclarer que ce dernier n’avait pas remporté l’élection présidentielle comme l’affirmait l’UFC.

En 2007, après son expérience à la Primature et ses bisbilles avec l’UFC, le boulanger Agboyibo a fait sa campagne électorale en inventant un nouveau concept, celui de Jésus et Barabas. Il demandait aux Togolais de faire le choix entre lui Jésus et l’UFC qu’il assimilait à Barabas. A l’époque son parti avait fait un budget électoral de plus d’un milliard. Il vous souvient qu’après le débat houleux sur la TVT entre les représentants de la CDPA, du CAR et du RPT/UNIR, un ministre présent à ce rendez-vous aurait lâché qu’il n’accepterait jamais que certains lui manquent de respect sur un plateau de télévision. Tout simplement parce que c’est le pouvoir qui a financé la campagne de 2007 du parti de l’un de ses contradicteurs, et c’est lui-même qui était allé déposer chez Bongo père les sous que le leader de cette formation politique était allé chercher. Voilà qui commence par être clair.

Nous reviendrons dans notre parution de vendredi sur d’autres aspects des actes de ce leader, notamment la rupture avec certains cadres de son parti, son jeu trouble pour empêcher la naissance du FRAC en 2010 à Paris, son appréciation du travail de Koffi Kounté à la tête de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh), ses manœuvres ubuesques visant à saboter la création du CST, le mépris qu’il manifeste vis-à-vis du Collectif, la création de son Arc-en-ciel après une première tentative sans succès avec Nicolas Lawson, son utilisation à géométrie variable de la société civile, etc.

Ferdi-Nando

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