Dans un entretien avec www.togonews.info L’Auteur du livre » l’Arbre fétiche de Makassi «paru aux éditions Odem de Libreville en Mars 2015 , parle pour la première fois de son livre, un livre riche en rebondissements, un livre qui reflète les douloureux conflits entre la tradition africaine matérialisée parfois par le paranormal et la modernité. Un livre à lire absolument.
Togonews.info : Bonjour Mr Worou Alabassa, pouvez-vous, vous présenter à nos lecteurs qui aimeraient plus découvrir l’écrivain que vous êtes ?
Alabassa Worou : D’abord, je vous remercie de m’avoir accordé ces instants pour parler de mon ouvrage qui a en effet pour titre « L’arbre fétiche de Makassi » paru il y a quelques mois déjà. Je m’appelle Alabassa Worou, je suis Togolais et je vis en Allemagne depuis quelques temps déjà. J’aime beaucoup l’écriture et les intrigues.
L’écriture a toujours été ma passion, même si j’étais convaincu qu’une chose est d’écrire, mais une autre est de paraître ; c’est pourquoi je suis ravi et je remercie tous ceux qui ont cru en moi et m’ont aidé à publier cet ouvrage.
M. Alabassa Worou, en lisant votre ouvrage, on a l’impression de lire une histoire vraie surtout ceux qui ont une origine africaine. Qu’en est-il exactement ?
Sincèrement, en écrivant mon ouvrage, je n’avais pas su que cela s’apparenterait à une histoire vraie et vous n’êtes pas le seul à le penser. Je pensais plutôt mettre en exergue un petit scénario qui montrait que même si l’Afrique était encore à la traîne, elle pourrait valablement utiliser son génie caché pour sortir de cette précarité, de cette léthargie, des sentiers battus, qu’elle disposerait de beaucoup de potentialités qu’elle devrait valoriser. Beaucoup de lecteurs m’ont demandé si je n’avais pas appartenu à des réseaux de trafiquants, puisque le roman parle entre autres du trafic de stupéfiants. Je leur fais savoir qu’on peut bien écrire un texte sur certaines pratiques en n’en faisant pas partie, mais les plus teigneux insistent, semblerait-il sur les détails croustillants de mon roman qui ne pourraient être que l’œuvre d’un repenti. Tout ce que contient cet ouvrage est sorti de mon imagination. Je me rappelle encore ce lecteur qui m’a appelé un jour et qui voulait savoir si je comptais traduire mon roman en allemand. Je lui ai répondu sans savoir ses réelles intentions que c’était mon vœu pieux, mais comme cela dépendait de mon éditeur, je n’en savais rien. C’est alors qu’il me fit savoir que s’il ne tenait qu’à lui, ce roman ne devrait pas être traduit en allemand, car la police allemande ne me lâcherait plus les baskets. J’avais beaucoup ri et lui ai répondu que j’avais la chance de vivre dans un pays un peu policier où au nom d’une sécurité tout était connu des autorités. En réalité, même si je suis encore en apprentissage, je pense que certains romans s’inspirent des faits réels que leurs auteurs travestissent pour en faire des œuvres. Si cette histoire s’était avérée, j’aurais eu peur et je ne l’aurais peut-être jamais écrite. Affirmer que les réseaux fonctionnent textuellement comme je l’ai raconté est un pas que personnellement, je ne souhaiterais pas faire, car ce serait trop facile. (Rires). Il suffirait alors à ceux qui aiment le gain facile d’aller chercher un devin en Afrique et de revenir en Europe se faire des millions par le truchement du trafic de stupéfiants. Je ne dis pas que le paranormal ne s’invite pas dans le trafic des stupéfiants, mais j’avoue ignorer comment cela fonctionne. Dans ce roman, j’ai voulu mettre en exergue un certain génie africain, même si je reste persuadé que l’occident serait passé par là aussi et je m’interroge sur le fait que s’il pouvait tenir tête aux connaissances modernes, c’est que l’Afrique pourrait prendre un jour son envol. C’est une voie que je demande de prospecter, sans être sûr qu’elle permettrait à l’Afrique de se développer. J’ai toujours pensé, peut-être que je me trompe, que ceux qui ont construit des avions, des bateaux, des voitures, des ordinateurs, se sont fondés sur les mathématiques, la physique, la chimie et sur beaucoup d’autres sciences occultes qui restent enveloppées dans des secrets que tout non-initié ne pourrait pas facilement découvrir et ces secrets, les Africains les ont aussi.
Il paraît que durant votre jeunesse, le théâtre et la poésie étaient un pan auquel vous étiez très attaché : pourquoi donc avoir choisi d’écrire un roman plutôt que des pièces de théâtre ou des poèmes ?
Oui, j’ai été un acteur de théâtre et j’ai joué dans plusieurs groupes, mais pas en tant que professionnel. J’aimais trop le théâtre. J’avoue que cela m’a beaucoup formé. J’avais eu la chance d’aimer le théâtre et la poésie très tôt à travers le groupe théâtral créé par mon grand frère Akondoh Ali, ensuite au lycée de Sokodé, puis à la TTUB, entendez la Troupe Théâtrale de l’Université du Bénin à Lomé. Je suis toujours inspiré par le théâtre et je suis persuadé que j’écrirai un jour une pièce de théâtre. Quant à la poésie, j’ai toujours pensé que c’était une autre dimension, qu’elle appartiendrait à une autre caste, à la caste la plus élevée de la littérature. Quand je lis un poème merveilleux, je me demande souvent comment l’auteur a-t-il pu agencer de telles belles phrases. Je ne pense pas être fait pour la poésie, parce que je n’aime pas trop réfléchir. (Rires)
Le choix du titre de votre livre » l’Arbre fétiche de Makassi » n’est il pas audacieux, quand on sait que vous-même vous êtes originaire d’une région où le mot fétiche prend un autre sens ?
Audacieux, je ne le pense pas, puisque le titre reflète l’essence de mon roman. À propos de ce titre, j’ai reçu quelques coups et j’en reçois encore d’ailleurs sans que cela ne m’émeuve. Je le considère comme un baptême de feu et cela ne m’empêche vraiment pas d’avoir le sommeil. Je n’écris pas pour vivre de ma plume ; du moins pas pour le moment. J’écris parce que c’est une vraie passion. J’en rêvais depuis tout petit. Je suis arrivé un peu tard à l’écriture, peut-être parce que vivant depuis plus de deux décennies dans un pays d’expression autre que française, j’ai longtemps douté de moi, de mes capacités à écrire une phrase française correcte. Il a fallu que je rencontre des professionnels, surtout deux intellectuels Togolais, l’écrivain et intellectuel Sami Tchak qui vit à Paris et le linguiste Zakari Tchagbalè qui enseigne à l’université de Cocody à Abidjan. Je les ai rencontrés par hasard dans un groupe sur Facebook, dénommé « Parlons Tem » où je publie hebdomadairement quelques petites nouvelles pour susciter le débat autour de la culture tem, la nôtre. Ces deux intellectuels m’ont permis de prendre confiance en moi. Ils m’ont rassuré que ce n’était pas si mauvais ce que je publiais, mais que j’avais juste besoin de me parfaire et de beaucoup lire les classiques. Quand on vit depuis un temps hors de la sphère de la langue qu’on maîtrisait relativement jadis, on se demande si l’on a encore une certaine verve, si le français n’est pas tombé déjà dans les oubliettes.
Je sais que la littérature ne se résume pas uniquement au choix de quelques mots compilés, à l’érection d’une intrigue, mais c’est beaucoup plus que ça.
Pour le titre, on m’intente juste un mauvais procès, parce que certains pensent peut-être à tort que je fais l’apologie des fétiches, au moment où ma région vivrait au rythme d’un Islam « rigoriste » ; au point de faire l’amalgame entre la culture arabe dont chaque Arabe devrait être fier et la culture tem dont mon peuple devrait s’en réjouir. Nous devrions faire beaucoup attention à ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, dans nos régions, à la pauvreté qui est un terreau fertile à la manipulation des masses incultes, aux interprétations fallacieuses, à l’esprit de gain facile. Nous savons très bien ce qui se passe aujourd’hui sur les nouveaux médias et certaines réactions font un peu peur. Le rôle d’un intellectuel, d’un écrivain et d’un auteur qui viennent de ces régions, puisque ma région n’est pas la seule, il y a celles avoisinantes, c’est de s’interroger continuellement sur les amalgames, de ne pas démissionner face à un certain intégrisme maladroit. Je ne dirais pas que c’est parce que je viens d’une région donnée que des critiques pleuvent au sujet de ce titre. J’aurais voulu que ceux qui ont lu ce livre critiquent le mauvais choix de son titre. J’ai reçu des critiques objectives des lecteurs qui me conseillent ce que je devrais faire pour m’améliorer. Ceux qui critiquent le choix du titre ne l’ont pas lu, ne veulent même pas l’avoir dans les mains sous prétexte que j’aurais parlé des fétiches, alors qu’il n’en est rien. Personnellement, j’ai été très surpris par l’accueil que ce livre a eu. Vous savez M. Tchassanti, si vous avez la chance d’être lu par un écrivain de la trempe de Sami Tchak, une plume mondialement connue et reconnue, un écrivain rigoureux envers lui-même, un intellectuel pour qui chaque mot a un sens précis, si vous avez la chance d’être lu par le Professeur Zakari Tchagbalè, un intellectuel et universitaire hors-pair, je pense que vous pourriez dire merci à la Providence de vous avoir donné une telle inspiration.
Une cousine m’a appelé à la sortie de l’ouvrage, alors qu’aucun lecteur ne l’avait lu encore, à part l’une des personnalités que j’ai évoquées plus haut et m’a dit ceci : « Cousin, j’ai appris que tu as sorti un livre. D’abord, félicitations. Mais, les gens me disent que tu as parlé des fétiches dans ton ouvrage et que ce n’est pas bien qu’un musulman parle des fétiches ». Cousine je viens de recevoir le livre moi-même. C’est pour te dire que nul ne l’a encore lu. Comment savent-ils que j’ai parlé des fétiches. Tout le monde sait que tu as parlé des fétiches. D’accord, leur as-tu demandé ce que j’ai dit à propos des fétiches ? Non, ils ne me l’ont pas dit. Connaissant nos liens, ils m’ont appelé pour que je te dise de ne jamais évoquer les fétiches dans tes écrits. Cousine, je peux te poser une question. Oui, je t’écoute. Les fétiches sont une bonne ou une mauvaise chose ? C’est mauvais les fétiches,. Cria-t-elle, comme si à l’instant même où nous parlions, elle venait d’apercevoir un fétiche qui circulait. D’accord, et si j’ai écrit dans mon livre de se méfier des fétiches, parce qu’ils ne seraient pas bons, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? C’est une très bonne chose. Comme ils ne l’ont pas lu, comment ont-ils su si j’ai dit du bien ou du mauvais des fétiches. Cousine, je pense que tu comprends mieux que moi l’obscurantisme qui guide certains raisonnements. S’ils l’avaient vraiment lu, ils n’auraient pas critiqué ce choix, car l’histoire que révèle le roman, n’a rien à voir avec les fétiches. Vous comprenez alors que leurs préoccupations seraient ailleurs. Le peuple tem a sa culture, le peuple togolais a ses cultures, le peuple africain a les siennes. L’Afrique est le seul continent qui abandonne ses propres cultures au détriment d’autres, sous prétexte que celles-là seraient bénies de Dieu. Je suis persuadé que si Dieu n’aimait pas ma culture, Il ne l’aurait pas créée. Cette acculturation excessive s’apparente à une déchéance dont nous devrions nous méfier.
Votre livre est il déjà lu au Togo, dans le cas contraire quand pensez-vous le présenter aux populations togolaises?
Je voudrais bien le faire depuis longtemps, mais j’avoue ignorer la procédure. Je suis un nouveau venu dans le monde de la littérature. C’est un domaine un peu complexe et je ne sais pas comment m’y prendre. Je pense que je vais me renseigner, car je serai ravi d’être lu par mes compatriotes, surtout que ces populations se sentent concernées par une partie de mon roman ; si ce n’est pas l’intégralité.
A quand la sortie d’un prochain livre ? Avez-vous déjà une idée ?
Je pense éditer un second roman cette année, voire un troisième d’ici la fin de l’année. Je ne sais pas encore quand, mais cela ne tardera pas.
Étant donné que vous résidez en Allemagne depuis plus d’une vingtaine d’années, pourquoi pas un livre dans cette langue que vous maîtrisez d’ailleurs bien ?
J’ai un projet d’écriture d’un roman directement en allemand. Je l’ai commencé depuis deux mois déjà, mais comme ce n’est pas vraiment ma langue maternelle (même si la langue française n’en est pas une), cela n’avance pas comme s’il s’agissait d’un roman écrit en français. Je pense que cela nécessite beaucoup plus de temps, non pas pour l’inspiration, mais pour le choix des mots appropriés. Vous savez qu’écrire déjà en français. n’est pas chose facile pour moi, en raison de mon séjour prolongé en Allemagne et le faire directement en allemand qui est une langue apprise sur le tard me prendrait plus de temps. Mais je m’y attelle, car les Allemands aiment beaucoup lire les autres cultures ; tout ce qui est exotique.
Avant votre mot de fin pouvez-vous nous donner les points de vente ou les procédures à mener pour l’acquisition de ce livre ?
Pour le moment, je pense que le seul canevas que je connais pour l’acquisition de mon ouvrage est une commande sur le site de mon éditeur www.editionsodem.com , malheureusement. Je vous remercie de m’avoir accordé ces instants. Mes remerciements vont également à toute l’équipe de Togonews.info. Monsieur Tchassanti, je voudrais vous faire une révélation. Avant de me lancer dans l’écriture, je pensais qu’il n’y avait plus rien à dire d’original, d’intéressant, que tout avait déjà été dit par les grands hommes, les grands penseurs, les grands écrivains, mais je comprends peu à peu que tant que cette boule sur laquelle nous vivons, sera toujours en activité, il y aura toujours quelque chose à dire pour édifier les lecteurs. J’invite donc tous les frères et sœurs Togolais de la diaspora et ceux qui vivent au pays, qui pensent avoir du talent, à se lancer dans l’écriture. Mon rêve est de voir des écrivains togolais remporter des prix littéraires, pourquoi pas le prix Nobel un jour, pour donner plus de visibilité à la littérature togolaise. D’aucuns penseront que c’est un beau rêve. Bien sûr que c’est un rêve, mais qui ne rêve pas, ne va pas loin. Je sais que nous avons des potentialités immenses et nous pouvons beaucoup apporter à la littérature africaine francophone. Je vous remercie.
Entretien réalisé par Ali Tchassanti pour www.togonews.info
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