Les drones ne servent pas qu’à faire la guerre ou à amuser les enfants. Ils peuvent aussi devenir des armes pour lutter contre le pillage des ressources naturelles. L’ancien ministre de l’environnement sénégalais, Haïdar El-Ali a rendu publiques, jeudi 26 mai à Dakar, des images montrant l’un des centres névralgiques du trafic de bois de vène (pterocarpus erinaceus) entre la Casamance et la Gambie. Il s’agit d’un bois précieux utilisé en Chine pour la fabrication de meubles de luxe destinés aux nouvelles élites.
A 50 mètres d’altitude, l’appareil positionné au-dessus du marché de Saré-Bodjo, un village situé à un kilomètre de la frontière sénégalaise, filme des milliers de troncs alignés prêts à être chargés dans des camions de gros tonnages. On voit plusieurs véhicules qui ont déjà fait le plein et des hommes qui s’activent à sangler les dernières grumes avant de tirer une grande bâche pour dissimuler la cargaison jusqu’à Banjul, la capitale, où elle sera revendue à des opérateurs chinois.
« Installer le désert »
Ces troncs proviennent d’arbres illégalement coupés dans le département du Medina Yoro-Foula, en Casamance, du côté sénégalais de la frontière, comme le montrent aussi ces images en suivant les charrettes chargées de bois. Tirées par des chevaux ou des ânes, elles font la navette pour approvisionner le marché de Saré-Bodjo.
Dans le Code forestier sénégalais, le bois de vène est une espèce protégée et interdite d’exportation depuis 1998. Par ailleurs, la Gambie, qui n’a presque plus de forêts, n’a autorisé qu’une seule entreprise à exporter du bois, Westwood, directement rattachée au chef de l’Etat, Yayah Jammeh. Elle est le passage obligé pour écouler le bois frauduleusement prélevé en Casamance vers la Chine.
La frontière, à cet endroit, n’est qu’une ligne immatérielle au milieu d’une savane clairsemée. Haïdar El-Ali a lancé son drone à quelques mètres de là, côté sénégalais. Au retour de l’appareil, après le survol du marché, il dénonce, face caméra, l’inaction du gouvernement sénégalais et la complicité du régime gambien sur un trafic qui a commencé en 2010 pour prendre une ampleur croissante. « Le gouvernement ne met pas les moyens pour surveiller le Medina Yoro-Foula. Les Chinois installés en Gambie pillent et souillent notre pays en installant tranquillement le désert », déclare l’ancien ministre et écologiste engagé. Outre Saré-Bodjo, Haïdar El-Ali a identifié quatre autres lieux de stockage le long de la frontière.
Le film, tourné début mars et diffusé jeudi, a été adressé au président sénégalais Macky Sall il y a quelques semaines. « Des militaires ont été envoyés en inspection, mais cela ne suffit pas. Ils viennent et ils repartent. Il faut installer une unité mobile d’hommes déterminés à ce que cela cesse. Pas des agents corrompus qui prennent leur part du trafic », exige l’ancien ministre de l’environnement.
Mi-2015, l’Etat avait annoncé le recrutement de 400 agents supplémentaires pour faire face au trafic de bois en Casamance, où subsistent les dernières étendues forestières du pays. Dans un contexte très tendu entre les deux pays, marqué par l’arrestation en avril de trois agents sénégalais en Gambie, le film de Haïdar El-Ali va raviver la polémique.
Le trafic du bois de vène est présent dans toute l’Afrique de l’Ouest, qui est devenue une source d’approvisionnement majeure pour les trafiquants chinois après avoir largement prélevé d’autres bois rouges dans les forêts d’Asie. En 2015, plus de la moitié des bois rouges importés par la Chine provenaient d’Afrique, selon les statistiques des douanes chinoises. Dont les trois quarts d’Afrique de l’Ouest. La Gambie, malgré son absence de forêts, arrivait en deuxième position, juste derrière le Nigeria.
Laurence Caramel
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