Chokri Belaïd, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates, savait qu’il était la cible des milices qui infestent la Tunisie – dont celles des Ligues de protection de la révolution (déjà responsables de la mort de Lotfi Naghd, militant du parti Nidaa Tounès, dans une manifestation à Tatouine, en octobre 2012). Mais les menaces semblaient ne pas avoir de prise sur cet homme de convictions, éternel défenseur des valeurs démocratiques. Il paye vraisemblablement de sa vie son franc-parler et ses prises de positions : il a été abattu mercredi matin à 7h30 par des hommes armés postés à bord d’une voiture, devant son domicile, dans le quartier résidentiel d’El Menzah VI à Tunis.
Un témoin assure : « c’était des professionnels ; ils ont déboulés à toute vitesse et en un rien de temps, ils l’ont visé à la tête ». La veille au soir, sur Nessma TV, Chokri Belaïd avait déclaré « Rached Ghannouchi [chef d’Ennahdha en photo ci-contre, NDLR]en demandant la libération des agresseurs de Lotfi Naghd, a donné le feu vert et légitimé la violence politique. »
Son frère accuse
« Mon frère a été assassiné, je suis plus que désespéré et déprimé », a dit Abdelmajid Belaïd. « J’emmerde tout le mouvement Ennahdha et j’accuse Rached Ghannouchi d’avoir fait assassiner mon frère », a-t-il affirmé. Selon l’épouse de l’opposant, s’exprimant sur radio Mosaïque, Chokri Belaïd a été touché par deux balles alors qu’il sortait de son domicile. Zied Lakhdher, membre du Parti des patriotes démocrates, a lui déclaré que le secrétaire général du parti avait été atteint par trois balles. Transporté dans un état critique à la clinique de la cité Ennasr, il aurait succombé à ses blessures lors de son transfert.
Âgé de 48 ans, cet avocat de profession avait participé à la mise en place de la transition démocratique en tant que membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Après l’échec de sa formation aux élections, il avait pris une position d’opposant qui s’élevait contre la mainmise des islamistes sur les structures de l’État et dénonçait les dysfonctionnements et les dérives de la justice. Il avait aussi alerté l’opinion sur les dangers de la violence politique.
Précédents
Ses positions étaient toutes à l’opposé du projet politique et sociétal des islamistes ; de plus en plus populaire, il devenait l’homme à abattre pour les radicaux. Plus d’une fois, durant les derniers mois, il avait été confronté personnellement à des agressions physiques et verbales tandis que les réunions de son parti étaient souvent chahutées ou empêchées par des salafistes ou des milices. Son parti avait rejoint le Front populaire, alliance de gauche qui avait le vent en poupe dans le milieu ouvrier et les régions démunies.
À Tunis, l’émotion est grande. Tous les partis politiques ont battu le rappel de leurs bureaux exécutifs et se fendent de déclarations. Si le crime n’a pas été revendiqué, les soupçons se portent automatiquement sur les milices soutenues par les islamistes et le Congrès pour la République (CPR). Certains, dramatiques, estiment que le pays entre dans un scénario à l’algérienne et affirment : « ils nous élimineront tous ». D’autres se demandent, fatalistes : « à qui le tour ? ».
Jeune Afrique